Huit levers de rideau pour satisfaire un public qui ne manquera pas d’aller applaudir cette production irrésistible de La Cenerentola , un des opéras-phares de ce génie de la musique et du théâtre, le sieur Gioachino Rossini. Deux distributions se partageront le plateau de ce qui doit être comme “un livre d’images plein de rires et de couleurs traduisant le caractère joyeux de la musique de Rossini“. Il vous reste cinq représentations et, soyez persévérant pour ce qu’il en est des disponibilités.
> Relire mon annonce sur la production, ceci n’étant qu’un compte-rendu.
On est surpris de constater qu’au Théâtre du Capitole, ce monument rossinien fut si peu à l’affiche, comparé au célèbre Barbier de Séville : du un pour vingt-cinq en moyenne ! On comprend mieux quand on se rend compte du niveau des difficultés accumulées pour monter l’ouvrage. Il se trouve que le célèbre conte de Cendrillon qui sert de toile de fond à l’opéra La Cenerentola a subi dans cette production quelque transposition. Mais les responsables, le tandem célèbre, metteur en scène, chorégraphe, scénographe Barbe&Doucet, ont un tel savoir-faire, un tel bon goût, le résultat est tellement pétillant et irrésistible que l’on s’incline. Et, de plus, devant tant de productions qui transforment l’héroïne en Cosette vêtue de haillons, un de leurs principaux mérites, c’est bien de ne jamais sacrifier la dimension humaine de l’intrigue au bénéfice de la comédie, menée tout de même ici tambour battant. Bien difficile de trouver un compromis entre le semibuffa et le semiseria. Il est ici formidablement réussi.
Avec Barbe&Doucet, c’est un joyeux drame pour adultes. Ils ont transposé l’histoire dans l’ambiance du cabaret new-yorkais des années 1930. On a même droit à un tableau sur la prohibition. Pour que Ramiro puisse hériter d’un théâtre de son père récemment décédé, il doit se marier. Le théâtre King’s Follies était autrefois considéré comme l’une des revues les plus prestigieuses de New York, mais le style est désormais démodé et son grand succès appartient au passé. Pour améliorer les affaires, Alidoro, le conseiller juridique de Ramiro, lui propose d’épouser la belle-fille de Don Magnifico, le propriétaire du Button Club, un spectacle burlesque délabré. Angelina (Cenerentola), s’occupe pour l’instant de ses sœurs et des autres artistes du Button Club mais son rêve est bien de concevoir des décors et des costumes pour le théâtre. La vision créative d’Angelina l’aide à devenir partenaire de l’entreprise de Ramiro, mais sa personnalité attrayante le fait tomber amoureux d’elle.
Avec l’équipe des responsables pour le côté théâtre, on admire les résultats d’un professionnalisme sans faille, tout réglé au millimètre près, accompagné par des décors et des costumes aussi pertinents que colorés, sans parler des lumières et des intermèdes chorégraphiques, réjouissants, osons le qualificatif ! Quant à l’occupation de l’espace, la scène du Théâtre, chapeau ! Et aucune outrance, ni vulgarité dans les quelques gags rajoutés.
On ne lambine pas dans la fosse. Après une brillante Ouverture, immortalisée dans cet opéra et venu en droite ligne de l’ouvrage La Gazzetta, ciselée à ravir par l’orchestre dirigé tout au long de l’ouvrage à la perfection par Michele Spotti, c’est parti pour trois heures durant lesquelles on peut apprécier tant l’équilibre permanent entre fosse et plateau, beauté sonore au niveau de tous les pupitres, continuum compris avec l’incontournable Bob Gonella, sûreté technique, panache et brio exigés par Rossini. Et l’on passe ainsi avec aisance de la légèreté des scènes bouffes à la nostalgie des moments – rares – plus dramatiques. Le tableau illustrant le coup de foudre est confondant. On remarque l’attention permanente portée aux exigences du chant, du bel canto à profusion. Ce jeune chef est vraiment une perle.
Pour éviter de le répéter trop souvent, on peut signaler tout de go, que ça vocalise à tout va ! d’un bout à l’autre, et tous. C’est impressionnant, tout autant pour la prononciation, même dans ces passages périlleux soumis à des tempi trépidants. Sans parler des, quintette, sextuor et septuor : enivrant……
Et, comme à l’habitude, les membres du Chœur de l’Opéra national du Capitole assurent leur part à la réussite du spectacle, sans faillir. Ça chante, ça joue, ça bouge, ça s’appelle un chœur d’opéra, quoi.
Impossible de détailler les tableaux successifs qui le mériteraient pourtant, tous. D’entrée, on se doit de signaler le duo épatant que constituent les deux sœurs, Clorinda, la soprano Céline Laborie et Tisbe, la mezzo Julie Pasturaud, fort divertissantes et chantantes dès leur apparition jusqu’au septuor final, plus pittoresques que monstrueuses, et c’est tant mieux. Elles sont vraiment parfaites ! Et autre atout encore dès les premières minutes, c’est Alex Rosen dans le rôle d’Alidoro duquel il a toute l’ampleur et la stature. Présence et sûreté dans l’intonation sont bien là dans le difficile « La del cielo nell’arcano profondo ». Même constat pour Adolfo Corrado au timbre de voix impressionnant. Remarquable Vincenzo Taormina, drôle et pas sobre du tout ! d’une solidité vocale, d’une clarté dans l’élocution, esprit et finesse au rendez-vous en permanence, rien ne manque à cette incarnation. Une performance. Quel trio, le papa et ses deux filles reconnues !
Nouveau défi avec Angelina pour la soprano Adèle Charvet, récitaliste de grand talent. Il est brillamment relevé dès le « Una volta c’era un re », dépourvu de toute affectation mais touchant à souhait. Virtuose dans le rondo final, sans aucun souci tout au long du : « Nacqui all’affanno e alpianto…Non più mesta accantoal fuoco ». On note la puissance vocale et l’aisance dans les coloratures déjà au rendez-vous. Et, de surcroît, ce qui n’est pas négligeable pour Angelina, désolé ! un physique séduisant. Les remarques sont globalement identiques pour Floriane Hasler qui s’approprie le rôle avec beaucoup d’atouts et que l’on découvre complètement. L’avenir paraît tout tracé.
On en vient au couple Prince et valet. Ils sont deux, à savoir Florian Sempey et Levy Sekgapane puis Philippe Estèphe et Michele Angelini. La chance pour certains de pouvoir apprécier les deux. Au bilan, des qualités évidentes de chant pour chacun avec, au rendez-vous, technique de vocalisation, musicalité et prononciation. Peut-être un plus pour Florian qui semble descendre tout droit de la famille Rossini. Est-ce bien quelque peu de sang italien qui coule dans ses veines ?! Quant à don Ramiro, pas le même type d’émission pour les deux surtout dans les suraigus mais toutes les difficultés sont surmontées avec aisance et brio et bonheur pour nos oreilles. Ah, le « Si ritrovarla io giuro ». Et que dire de la technique dans les vocalises de la cabalette « Dolce speranza ».
Vous l’avez compris, c’est vraiment Joyeuses Pâques pour tous ceux qui peuvent assister à cette brillante et irrésistible production. Cinq encore : aux guichets, ne lâchez rien !!
Photos : Mirco Magliocca