Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre injustement méconnu.
Seize ans après La Route, la parution ce 3 mars du nouveau roman de Cormac McCarthy est l’événement éditorial de ce début d’année. Un double événement en quelque sorte puisque sortira le 5 mai un autre roman de l’écrivain, Stella Maris, manière de prequel du Passager. De quoi est-il question dans ce dernier ? De La Nouvelle-Orléans à Ibiza, on suit l’errance et la fuite de Bobby Western. Plongeur chargé de récupérer des épaves, il fut naguère pilote de Formule 2 après avoir suivi une formation de mathématicien et de physicien. Surtout, il demeure hanté par le souvenir de sa sœur Alicia – enfant surdoué, schizophrène, qui se suicida dix ans auparavant dans un asile psychiatrique. Quant à leur père, il fut l’un des concepteurs de la bombe atomique américaine.
Au cours de l’une de ses missions, Bobby découvre qu’un avion crashé au fond des eaux compte un passager manquant tandis que de mystérieux enquêteurs et les services fiscaux vont le contraindre à prendre le large.
Au cœur des ténèbres
Entre le roman noir et la fable métaphysique, Le Passager nous parle du silence et de l’absence de Dieu, d’Hiroshima et de Nagasaki, de la guerre du Vietnam, des Kennedy, de physique quantique. Un personnage, mi-onirique mi-surnaturel, s’invite dans des chapitres déroutants qui mettent en scène les délires d’Alicia. L’auteur de Méridien de sang et de Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme brouille les pistes. Son style, hypnotique, envoûtant, fait accepter les bizarreries du récit.
Une scène de tempête sur une plateforme de forage compte parmi les morceaux de bravoure de ce roman aux dialogues aussi percutants que désolés. La paranoïa s’invite par moments, mais c’est dans une angoisse existentielle que baigne Le Passager. L’Apocalypse guette, prête à « dépouiller les hommes de leur âme ». Cormac McCarthy décrit « un monde qui se précipite vers des ténèbres excédant les hypothèses les plus amères », un monde où « Les plus haïssables des criminels réclameront un statut. Les tueurs en série et les cannibales revendiqueront le droit à leur mode de vie. » Le roman se déroule en 1980. En 2023, nous y sommes presque.
Le Passager • Editions de l’Olivier