Quand l’audace conduit vaillamment à la réussite, nous aurons vu et entendu un public manifester son enthousiasme au cours des neufs représentations de ce singspiel pas du tout évident à produire car La Flûte enchantée se révèle souvent rebelle, à divers titres, et pas toujours “enchantante“.
D’aucuns se targuent d’en savoir beaucoup sur la dernière œuvre scénique du compositeur. Pour cette nouvelle production au Théâtre du Capitole, ils n’hésitent pas à démolir le résultat d’un travail considérable, étant sûrement à la fois musicien, chef de chant, et dramaturge, décorateur,…… et de conclure leur brillante analyse sur le ton adéquat : « après tout, on a vu pire. ». Pour ma part, après lecture de ces quelques milliers de signes critiques signifiants, je dirai : « après tout, on a lu pire. »
Détaillons un peu la chose. La direction musicale ? Après avoir mené près d’une cinquantaine de représentations en dix ans de cet opéra, le chef Frank Beermann est heureux d’apprendre qu’un grand mozartien est prêt à lui discuter les tempi choisis, en remettant certains en cause, tout comme se targuant d’être un véritable métronome meilleur que les Maëlzel d’époque, donc, pas des Maëlzel (il faudra attendre Beethoven). La réussite ici s’appuie justement, très justement sur le chef, et les 24 musiciens dans la fosse. Clarté, finesse et justesse, une direction ni maniérée, ni démonstrative, c’est déjà pas si mal, me semble-t-il. Et même la scénographie, par moments déroutante, n’impose rien qui puisse distraire durablement la perception de l’orchestre. Le chef a comme épousé les soubresauts sur le plateau : ce n’est pas donné à tous.
Deuxièmement, le chant. On informe certains scribes, même à retardement, que les chœurs ont travaillé sous la férule de Patrick Marie Aubert, ancien directeur des Chœurs du Capitole, juste avant Alfonso Caiani, puis parti diriger les Chœurs de l’Opéra de Paris, et qui est revenu, ayant quelque expérience, spécialement, pour cette production. Je pense que Gabriel Bourgoin s’est occupé de la partie Les trois garçons qui se trouvent être trois filles, sur recommandations appuyées de quelques ligues féministes, peut-être. Faudra-t-il penser pour la prochaine Flûte à trois transgenres ?
Toujours pour le chant, on sait les seconds rôles nombreux et, par conséquent, qu’ils ne doivent, plus que jamais, en aucun cas être négligés. Pas de faille ici, et c’est bien là un autre pan de la réussite globale. Investissement et intelligence musicale sont au rendez-vous. Grand merci au responsable de la distribution. Jusqu’à Monostatos, affublé de cette énorme “caisse“ de livraison, qui ne doit pas lui faciliter ni déplacement, ni respiration. Au vu des paroles qu’il chante, on peut réfléchir au devenir de Die Zauberflöte dans les théâtres des pays gangrenés par le wokisme. Pauvre Mozart, qui peut aussi s’inquiéter pour ses Noces, son Cosi et bien sûr Don Juan. Résisteront-ils à la bêtise “crasse“ ? Remarquons une Papagena qui peut afficher des prétentions pour des rôles quelques crans bien en dessus, à venir. J’évoque les qualités vocales et le jeu de scène, point.
Quant aux rôles principaux alternant sur deux distributions, on ne détaillera pas ici, pour ma part, car ils ont été tous copieusement applaudis, à juste titre. Comme ils sont jeunes, ce sont de beaux débuts de carrière qui se dessinent tous azimuts. On retiendra ici quelques moments très réussis. Les deux Tamino, les deux Pamina ne méritent qu’éloges. Schikaneder ayant été Papageno sur scène, on loue avec bonheur les deux sur scène ici même, chanteur et acteur, mais pas pitre, d’un bout à l’autre de l’ouvrage.
Musique et chant, il nous reste le côté théâtre, qui peut se discuter. Les dialogues, donnés en français, sont un point de départ en accord avec l’objectif du metteur en scène et du “patron“ du Théâtre. On les sait d’une importance capitale ; ils participent de l’œuvre et prennent part à son intensité dramatique. C’est donc encore mieux si on les comprend. Et tout tourne autour, ce que certains aux paupières trop lourdes n’ont pu saisir, incapables d’adhérer à tel ou tel clin d’œil, allergiques aux couleurs street art, refusant les allusions au quotidien actuel, n’ayant rien compris aux habits et perruques des choristes, ou des Trois Dames, des Trois Garçons, auraient préféré voir les esclaves danser un menuet. Les multiples appels du pied du staff entourant le metteur en scène Pierre Rigal, plutôt bon enfant pour alléger l’ensemble, n’ont guère titillé des cervelles trop cuites pas du tout prêtes, ni à se laisser convaincre, ni à la rigolade. Pourtant, les Premier et Deuxième Homme d’armes manipulant ces ersatz de mitraillette dans leur tenue de combat dessin QR code, les esclaves en esclaves Uber, et leur mini-chorégraphie, Papageno en ULM, …etc, il y a plus sinistre ! Tout bien pesé, il y a des séquences très drôles !!
Au bilan, rangez bien la page énumérant les artistes. Vous en retrouverez régulièrement dans les productions à venir. Et même le metteur en scène car, après La Flûte en première expérience, il peut voir venir, n’en déplaise l’avis de certains écrivaillons, plutôt spécialistes de Kho-Lanta ou Fort Boyard.
Photos : Mirco Magliocca