Après Dégradé en 2016, les frères Arab et Tarzan Nasser propose leur nouveau film, actuellement en salles Gaza mon amour, où Issa (Salim Daw) est un simple pêcheur de soixante ans. Il est amoureux de Siham (Hiam Habbass), une femme qui travaille comme couturière pour femmes au marché. Un soir, dans son filet de pêche, il remonte une statue antique du dieu Apollon, qu’il décide de cacher chez lui. Les autorités locales vont le découvrir, ce qui va compliquer sa tranquillité, tout comme sa sœur qui lui propose de choisir parmi ses connaissances sa future femme.
Gaza mon amour est donc une histoire d’amour à Gaza, avec Issa qui est aussi maladroit, rêveur et touchant qu’un adolescent.
Voici ma rencontre avec les réalisateurs jumeaux Arab et Tarzan Nasser, une sacrée expérience où je découvre en fait qu’ils sont une seule personne avec deux têtes : l’un revient dans la pièce, finit la phrase de l’autre qui va partir pour fumer dehors, et ainsi de suite, sans perdre la fluidité des réponses.
Elia Suleiman a souvent déclaré, au point d’utiliser cette anecdote dans It must be heaven (chronique à lire ici), qu’on lui reprochait que ses films ne soient pas suffisamment palestiniens. Votre film et les siens sont très différents, mais vous a-t-on reproché que votre film ne soit pas assez palestinien ?
Ce n’était pas effectivement sur notre liste des descriptions du film (rires). La question palestinienne est une question difficile et sensible. Malheureusement, en Palestine, nous n’avons pas une industrie cinématographique qui permet de réaliser des films comme vous en France. Le cinéma d’Elia Suleiman est un cinéma particulier, ce qui pousse en effet le producteur à dire « ce n’est pas du cinéma palestinien » au sujet de ses projets.C’est un discours particulier de producteurs. Ils veulent même une manière particulière de filmer la lumière palestinienne. C’est exactement ça le problème qu’ont les films palestiniens par rapport aux producteurs.
Nous n’avons pas eu beaucoup de problèmes de ce type quand nous avons fait Dégradé et Gaza mon amour, qui sont allés respectivement à la Semaine de la Critique en 2015, et à la Mostra de Venise et au Festival de Toronto en 2020. Peu de films ont des références cinématographiques ou parlent de Gaza. Le Cochon de Gaza ne parle pas de Gaza, et n’a rien à voir avec Gaza. Il existe des films sur Gaza, qui sont des documentaires qui parlent de la guerre, du siège etc (NDLR : Gaza de Garry Keane et Andrew McConnell). Nous apportons une certaine nouveauté par rapport à l’image projetée de Gaza. Si tu veux savoir comment est la vie à Gaza, tape « Gaza » dans un moteur de recherche, et tu auras des milliers de vidéos, de réponses, mais aucun article ne va évoquer une histoire d’amour à Gaza. Comment les gens vivent, comment les gens résistent, comment les gens continuent à vivre et donc à s’aimer, ça nous intéressait.
Votre film est justement très intelligent, puisqu’il parle de Gaza, sans que ce soit traité frontalement.
Merci beaucoup. En effet, il s’agit pour nous de parler de cinéma pur. Nous ne construisons pas nos films à partir des problèmes. On essaie tout simplement de présenter la vie des Gazaouïs, loin des clichés qui sont attendus pour représenter les Palestiniens, comme un héros extraordinaire, ou un terroriste comme certains le pensent. Je parle d’un homme qui vit à Gaza : je m’intéresse à lui pour comprendre ses problèmes, qui sont dans le film. C’est donc quelqu’un qui vit normalement, comme tout le monde, dans l’environnement où il se trouve.
En France, les films arabes qu’on reçoit ont, en gros, les mêmes caractéristiques : des personnages jeunes face à un conflit géo-politique, des femmes opprimées, souvent par leur famille…
C’est ce que cherchent les producteurs. On nous pose souvent la question « y a-t-il des femmes qui ont a tête découverte à Gaza ? » C’est donc une société normale, mais ses composantes sont différentes, comme n’importe quelles sociétés. Dans ces sociétés mosaïques, il y a des différences. Que les gens s’acceptent entre eux, c’est un autre sujet. Mais nous, on parle de l’homme.
Dans votre film, le personnage est âgé, sa sœur s’immisce dans sa vie, et vous ne parlez pas que d’une histoire d’amour, mais aussi de sexualité. Vous filmez aussi, dans une très belle scène, votre personnage masculin âgé nu.
La sexualité est une dimension de l’amour. Dans des débats après les projections, certains spectateurs pensent que nous cherchons à faire une critique de la société, en montrant le comportement de la sœur, mais ce n’est pas du tout le cas. L’amour au sein d’une famille peut parfois conduire à l’étouffement. La sœur l’aime tant qu’elle pense le protéger, elle n’agit pas par intérêt. C’est pareil pour les personnage Siham, avec sa fille Leïla : la mère souhaite tellement qu’elle se remarie. L’amour peut être romantique, ou étouffant.
Il n’y a pas de limite d’âge pour l’amour. Ce qui m’intéressait lorsque j’ai filmé Issa nu sous la douche, ce n’est pas nécessairement son corps que je voulais filmer, mais la mélancolie qu’il est en train de vivre, montrer sa fragilité, sa solitude. J’aurais filmé de la même manière une belle fille jeune en train de se doucher.
Les jeunes Palestiniens, que ce soit son ami commerçant, ou Leïla, sont en colère, veulent partir. Issa, lui, il rêve, comme un adolescent.
C’est tout à fait ça. Je voulais en effet casser l’idée que l’amour est seulement réservé aux jeunes. Le problème des jeunes, ceux de la nouvelle génération, quand ils ont commencé à ouvrir les yeux, c’était déjà la guerre : première intifada, seconde intifada, quatre guerres. Ils n’ont rien vu de beau dans cette vie, d’où leur décision « je veux partir, je veux découvrir la vie ». Beaucoup pensent partir à l’étranger, en espérant une vie plus clémente, même si, on le sait, elle ne sera pas aussi douce qu’ils la rêvent. En tout cas, vivre à l’étranger sera beaucoup moins dur que de vivre dans la prison dans laquelle ils sont à Gaza : c’est un prison fermée à ciel ouvert. Il s’agit donc pour eux de fuir cette prison-là.
Laissez-vous à vos acteurs une part d’improvisation ?
Nous écrivons nos personnages à partir de personnes que nous connaissons dans la réalité. Même les détails les plus petits ont été écrits, afin de rendre nos personnages et leur environnement crédibles. Si vous lisez notre scénario, tout est précisé. Le talent de l’acteur est de s’approprier le rôle à partir de ce qui est écrit. C’est très important pour un réalisateur de savoir quels personnages il veut, et souhaite présenter. Hiam Abbass incarne un peu le portrait de notre mère. La sœur d’Issa, c’est à 99% notre tante, le personnage de Leila est inspiré de mon frère, Issa de notre père. Nous n’avons pas vu notre famille depuis douze ans : nous l’avons reformée à travers ce film.
Présenter ainsi un personnage, c’est comme un défi pour l’acteur : comment le jouer avec tous ces détails ? Il va en quelque sorte les compléter. Si on laisse trop de liberté à un acteur, il peut glisser vers un autre personnage, qui ne correspond pas du tout à ce qu’on a écrit au scénario. Salim Daw et Hiam Abbass sont deux comédiens qui ne sont pas de Gaza, mais grâce au scénario, nous les voyons comme des Gazaouïs. Ils n’ont pas eu besoin d’indication sur les conflits et les guerres, puisque ce n’est pas le sujet du film. Dans des périodes de nostalgie, voir Hiam c’est revoir ma mère. C’est tout le talent de Hiam Habbass d’avoir su incarner le rôle qu’on lui a proposé. Il ne s’agit pas d’amoindrir le rôle de l’acteur. C’est une histoire de complicité entre acteur et réalisateur pour arriver à ce résultat-là. Ce n’est pas seulement le réalisateur qui a conçu ce personnage, ou l’acteur qui l’a pensé dans son coin, c’est comment l’acteur va ressentir tous les détails qu’on lui fournit, et comment il va les exprimer. Sentir le personnage, c’est le travail de l’acteur, et pas celui du réalisateur.
Comment le tournage s’est-il déroulé ?
Avec Hiam Habbas, nous avons beaucoup discuté sur Skype, et quand on s’est retrouvé, comme avec Salim, nous avons presque filmer de suite, ce qui démontre bien leur grand talent. Nous avons cherché des moments particuliers, en ayant en tête « c’était comme ça à Gaza ». Comme nous avons voulu raconter Gaza, nous avons souhaité que la situation ressemble à 99% à Gaza. Cette phase-là a pris du temps. Nous avons cherché cette fusion dont je parlais précédemment. Cela n’a rien à voir avec le nombre de prises. Par contre, quand nous filmions dans un camp, où la densité de la population est importante, avec beaucoup de bruit, nous avons été obligé de faire plusieurs prises.
L’expérience sur ce film, de manière générale, n’était pas facile, nous avons eu beaucoup de problèmes, qu’ils soient en logistique, en production, et au final, nous sommes fiers de cette expérience-là, d’avoir réussi à faire le film tel qu’il est proposé en salles.
Pour plus d’informations, le dossier de presse du film est à lire ici.
Merci à Jérémy Breta de l’American Cosmograph, d’avoir permis cette recontre, et à Samir Arabi de Ciné-Palestine Toulouse pour la traduction !