Le concert de l’Orchestre national du Capitole le 23 octobre retrouvait deux artistes déjà connus et très appréciés à Toulouse. Le chef d’orchestre allemand Cornélius Meister s’est déjà produit à plusieurs reprises à la direction de la phalange toulousaine, et le jeune pianiste britannique Benjamin Grosvenor a notamment été, en 2013, l’une des découvertes du festival Piano aux Jacobins.
Le programme de cette soirée donne la part belle à la musique tchèque. Rien d’étonnant en ce qui concerne Cornelius Meister récemment récompensé d’un International Classical Music Award dans la catégorie « Enregistrement symphonique de l’année » pour son cycle complet des Symphonies de Bohuslav Martinů. C’est sur une partition rare de Leoš Janáček qu’il ouvre le concert. Un compositeur dont l’opéra Jenůfa sera donné cette saison au Théâtre du Capitole. Il s’agit cette fois d’une suite d’orchestre tirée de l’opéra en trois actes composé entre 1921 et 1923, La Petite Renarde rusée. Ce conte merveilleux et panthéiste dont la Nature est l’héroïne met en scène des animaux « pour instruire les hommes », comme le déclara Jean de La Fontaine à propos de ses fables. Le grand chef d’orchestre tchèque Václav Talich a réalisé en 1937, à partir des intermèdes symphoniques de l’opéra, cette belle suite d’orchestre, elle-même révisée plus tard par Václav Smetáček. On retrouve avec délices la richesse d’écriture caractéristique du compositeur, les couleurs de son orchestration, son sens des courtes cellules rythmiques. Cornelius Meister en souligne le miroitement, la spontanéité, soutenu en cela par les spécificités de timbres des divers pupitres de l’orchestre, et en particulier des bois, comme galvanisés par les images évoquées. Un grand moment !
Le concerto n° 1 pour piano et orchestre de Ludwig van Beethoven suit une tout autre trajectoire, avec un effectif réduit et notamment des timbales en peau, plus adaptées à ce répertoire classique. Bien qu’écrite après le deuxième, cette partition dynamique reste, en 1801, une œuvre de jeunesse du compositeur alors en pleine effervescence compositionnelle. Après une longue introduction orchestrale, l’entrée progressive du piano offre au soliste, le jeune et brillant Benjamin Grosvenor, la possibilité d’établir un fructueux dialogue avec les différents pupitres de l’orchestre. Il s’agit bien ici d’un Allegro con brio ! Grâce à un toucher d’une lumineuse clarté, son jeu pétille d’énergie et de finesse. La transparence des harmonies, l’esprit, l’humour même qui accompagnent certaines répliques résonnent comme un sourire complice. Le Largo central coule son récit apaisant dans lequel l’orchestre entoure le piano d’une douce bienveillance. Les phrasés mis en œuvre par le soliste intègrent de rares moments de rubato, dans une retenue qui en souligne l’impact sur l’auditeur. La joie la plus juvénile imprègne tout le Rondo, marqué Allegro scherzando. L’alternance des refrains et des couplets font de ce final un jeu d’échanges entre le piano et l’orchestre. L’allégresse domine ici jusqu’aux dernières mesures confiées cette fois à l’orchestre qui a donc le dernier mot. La magnifique interprétation de cette musique du bonheur (assez rare chez Beethoven) déclenche une belle ovation qui obtient du soliste un bis hautement virtuose, l’exécution flamboyante d’une Etude de concert de Franz Liszt.
La seconde partie marque le retour vers la musique tchèque, avec la Symphonie n° 8 en sol majeur d’Antonin Dvořák, sous-titrée « Tchécoslovaque » du fait des inspirations populaires qui la nourrissent. Dès son introduction mi-ombre mi-lumière, Cornelius Meister souligne le caractère de poème symphonique qu’évoque cette partition lumineuse. Animée de chants d’oiseaux (nombreuses intervention des flûtes et des clarinettes), de fanfares et de marches, l’œuvre bruisse de vitalité et d’images colorées. La complexité de construction de l’Adagio trouve sa logique grâce à la direction acérée, précise et passionnée du chef et à la ferveur des réponses de l’orchestre. Le chant se marie parfaitement à la structure rythmique et aux changements d’humeur, de la tendresse à la solennité, du lyrisme des cordes aux proclamations éclatantes ou dramatiques des cuivres. La légèreté du tempo de valse de l’Allegretto grazioso apporte la grâce d’une évocation de la forêt, souvent présente ici. Le final Allegro ma non troppo s’ouvre sur une impressionnante affirmation des deux trompettes à l’unisson, parfaitement à l’unisson ! Cette somptueuse conclusion sonne aussi sauvage qu’ordonnée et les dernières mesures mettent le feu !
L’ovation du public s’adresse autant à la direction qu’à chaque soliste de l’orchestre auquel le chef rend un hommage appuyé. Notons également que les musiciens eux-mêmes ne se privent pas d’applaudir Cornelius Meister. Une bien belle association !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole