La reprise des activités musicales publiques de l’Orchestre national du Capitole se poursuit dans une Halle aux Grains toujours en jauge réduite, mais avec l’enthousiasme retrouvé d’une audience trop longtemps sevrée… Le 3 juillet dernier, les musiciens toulousains, très sollicités en ce moment, recevaient la cheffe d’orchestre originaire de Hong-Kong Elim Chan et le pianiste toulousain (et international !) Bertrand Chamayou. Un programme musical brillant réunissait des œuvres virtuoses pour l’orchestre comme pour le soliste.
Rappelons que ce début du mois de juillet s’avère très bien rempli pour les musiciens de la formation symphonique toulousaine qui se partagent entre le concert et l’opéra, et pas des moindres. La veille et le lendemain de ce concert du 3 juillet, un grand nombre d’entre eux participe aux représentations d’Elektra, de Richard Strauss. On ne peut donc qu’admirer le grand professionnalisme de ces musiciens qui maintiennent au plus haut niveau la qualité de leurs prestations.
Cette qualité se manifeste de bout en bout du programme haut en couleur de cette soirée placée sous la direction de l’une des cheffes internationales invitées au cours de cette saison. Il s’agit cette fois de la jeune Elim Chan, née à Hong Kong et cheffe principale de l’Antwerp Symphony Orchestra depuis la saison de concerts 2019-2020 et cheffe invitée régulière de l’Orchestre national royal d’Écosse depuis la saison 2018-2019. Elim Chan a notamment été en 2014 la première finaliste féminine du prestigieux concours de direction d’orchestre Donatella Flick.
Dirigeant sans baguette, la jeune artiste fait preuve d’une autorité certaine, sollicitant chaque pupitre d’une gestique particulière et efficace. L’ouverture de cette soirée confronte l’orchestre et sa cheffe à une œuvre passée dans l’imaginaire des enfants que nous sommes tous restés. L’Apprenti Sorcier, de Paul Dukas, reste très lié au personnage de Mickey du film Fantasia de Walt Disney. Il s’agit pourtant d’un « scherzo symphonique », comme le qualifie son compositeur, d’une grande virtuosité orchestrale. Ces aventures magiques débutent ici dans un tempo particulièrement retenu pour s’épanouir dans d’irrésistibles crescendos et de puissant tutti qui mettent en valeur un beau déploiement de couleurs. Le pupitre de bassons gagne là ses lettres de noblesse et l’ovation méritée du public.
Autre démonstration de virtuosité orchestrale, le formidable Concerto pour orchestre de Béla Bartók conclut le concert. La partition, composée en fin de vie pour répondre à la commande du chef de l’orchestre de Boston, Serge Koussevitzky, sollicite chaque pupitre à la manière d’un concerto grosso baroque, mais avec un langage et une rutilance bien ancrée dans le XXème siècle. Là aussi, la cheffe déchaîne de puissantes explosions sonores toujours bien maîtrisées. Le long crescendo de l’Introduzione fascine. Mais c’est avec le Giuoco delle copie, ce jeu de couple, que se manifeste le mieux la belle entente des musiciens, liés habilement par binôme. Le cœur sensible et formel de l’œuvre, l’Elegia, libère une charge émotionnelle d’une profonde intensité. Après l’Intermezzo interrotto et ses allusions ironico-nostalgiques, le final déploie ses fastes sonores vers une apothéose enflammée.
Entre ces deux partitions brillantes, c’est à l’un des concertos les plus virtuoses de Camille Saint-Saëns que nous invite Bertrand Chamayou, ses complices musiciens et la cheffe avec laquelle il avait déjà dialogué autour du même compositeur. Le Concerto n° 5, dit « L’Egyptien », traduit avec éclat l’attrait de Saint-Saëns pour l’exotisme, les voyages qu’il a multipliés tout au long de son existence. Ses quinze excursions en Egypte témoignent de sa passion pour ce pays, aussi bien rêvé que vécu.
Le sage début de l’Allegro animato initial ne présage en rien des développements ultérieurs. Bertrand Chamayou évolue avec finesse et progressivité. La générosité de son jeu fait ici merveille. Il confère aux deux thèmes complémentaires de cette section leur particularité spécifique. L’Andante, surprenant par l’explosion qui l’ouvre, contient toutes les allusions, tous les emprunts à l’exotisme musical du pays qu’admire le compositeur. Bertrand Chamayou réalise là une véritable performance en tirant de son piano les sonorités les plus incroyables, les plus inattendues. Le thème initial, basé sur une chanson d’amour nubienne que Saint-Saëns aurait entendue dans la bouche d’un batelier, prend des allures hypnotiques. Après l’exposition d’un thème très virtuose et caractéristique du style oriental, le mouvement se dissipe comme s’éloignant de la rive d’un fleuve imaginaire. Dans le final Molto Allegro, le soliste déchaîne les traits pianistiques les plus échevelés, tout en manifestant une absolue rigueur de son jeu. Le dialogue avec l’orchestre devient fusionnel et débouche sur une sorte de triomphe exalté et exaltant.
L’acclamation légitime qui accueille cette brûlante interprétation ramène à plusieurs reprises le soliste et la cheffe sur le plateau de la Halle aux Grains jusqu’au bis espéré par le public. Un bis qui retrouve le calme et la poésie de la huitième pièce du premier livre des Préludes de Debussy, La fille aux cheveux de lin. Le contraste est à la hauteur du talent du pianiste !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre National du Capitole