Le 12 juin dernier, la Halle aux Grains accueillait son public dans des conditions élargies. Depuis le 9 juin, le couvre-feu à 23 h permet aux concerts de débuter à 20 h. Néanmoins, la jauge augmentée à 65 % de la capacité de la salle ne peut s’appliquer à La Halle aux Grains du fait d’une limite à 1000 places au-delà de laquelle un pass sanitaire devrait être exigé ! C’est donc devant un milliers de spectateurs que Tugan Sokhiev, ses musiciens de l’Orchestre national du Capitole et le soliste invité, le célèbre harpiste Xavier de Maistre, recevaient ce nouveau public pour un programme original de musique russe.
Comme dans tous les concerts qui retrouvent enfin le contact direct avec leur audience, une certaine fièvre préside à ce renouveau. L’accueil des musiciens se fait plus chaleureux et la réception des interprétations plus sensible. Le programme proposé pour cette reprise offre ce soir-là un bouquet de pièces russes assez peu fréquentes de ce répertoire. Alexandre Borodine n’est certes pas un inconnu pour les mélomanes, mais à l’exception des célèbres Danses polovtsiennes du Prince Igor, peu de partitions du compositeur trouvent le chemin des salles de concerts.
Ce 12 juin, la soirée s’ouvre sur… une ouverture, quoi de plus rassurant, celle précisément de l’opéra Le Prince Igor. Tugan Sokhiev, très à l’aise dans cette œuvre qu’il connaît parfaitement, la conduit de l’ombre à la lumière, à la tête d’un orchestre comme galvanisé. Les thèmes principaux de l’opéra prennent une ampleur, un éclat fulgurants. Saluons les quelques solos qui épicent cette ouverture et notamment le splendide solo de cor (excellent Thibault Hocquet) qui reprend l’air principal du héros de l’œuvre.
En écho avec cette ouverture, la Symphonie n° 2 en si mineur dite « Epique », du même Borodine, investit les mêmes territoires expressifs. Le thème héroïque et obsessionnel qui parcourt tout l’Allegro initial bénéficie de l’exceptionnelle densité sonore des pupitres de cordes. Volontaire et rutilant ce mouvement ouvre la voie à l’agitation fébrile, inquiétante qui anime le Scherzo, marqué d’ailleurs prestissimo. La nostalgie qui ouvre le troisième volet, Andante, offre de nouveau de beau solos au cor et à la clarinette (David Minetti, toujours aussi parfait). Le drame reste présent dans le choix des tempi et des enchaînements. Un drame auquel les larges phrasés des cordes confèrent un lyrisme si typiquement russe. Le final qui s’enchaîne sans interruption débouche sur l’expression d’une vitalité éclatante qui conquiert tous les suffrages du public. Notons l’hommage particulier des musiciens à leur directeur musical Tugan Sokhiev qu’ils ne se privent pas d’applaudir.
Entre ces deux partitions de Borodine, le Concerto pour harpe et orchestre de Reinhold Moritsevitch Glière, né en 1874 à Kiev, sonne comme une vraie découverte. Composée en 1938, cette œuvre rare se distingue nettement de celles de ses contemporains, Prokofiev et Chostakovitch. Glière semble ici se réfugier dans une écriture nettement plus apaisée, plus classique, que celle de ses collègues. Néanmoins, le romantisme russe s’y déploie avec un charme certain. Destiné à la harpiste principale de l’Orchestre du Théâtre Bolchoï de l’époque, ce concerto exige de son interprète un niveau technique et musical exceptionnel.
Le grand Xavier de Maistre, universellement salué comme un prodige de son instrument, déploie ici un véritable feu d’artifice instrumental. La perfection technique de son jeu atteint des sommets insoupçonnés. La dynamique sonore, le sens des nuances, la sensibilité s’expriment à chaque instant. C’est dire que son jeu ne se limite pas à une brillante démonstration de virtuosité. Son entrée impériale dans le Moderato initial impressionne. Tout comme la magie de son infernale cadence ! La vélocité digitale s’allie à la finesse et au raffinement des phrasés. Tout n’est que musique dans son jeu. La douceur nostalgique du Tema con variazioni contraste avec le dynamisme des mouvements extrêmes. Le brillant Finale resplendit comme un lever de soleil.
Le véritable triomphe qui salue sa prestation ramène plusieurs fois le soliste sur le plateau de la Halle jusqu’à ce qu’il offre un bis éblouissant : les Variations sur le thème du Carnaval de Venise, très en vogue au XIXème siècle, du Belge Félix Godefroid, surnommé « Le Paganini de la harpe ».
Un véritable maître !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole