Le grand silence musical imposé par la crise sanitaire à la saison des Grands Interprètes vient enfin de se rompre ! Le 25 mai dernier, le duo formé par le violoniste Renaud Capuçon et le pianiste David Fray a permis de renouer le contact indispensable entre les artistes et le public. Pour permettre au maximum de spectateurs d’assister à ce retour à la vie musicale, deux séances ont été organisées : l’une à 17 h 30, l’autre à 19 h 30.
Il faut avant tout remercier les deux musiciens invités pour leur engagement et leur « résistance » placés au service du public. Leur apparition sur le plateau d’une Halle aux grains occupée seulement au tiers de sa capacité, a suscité un grand soupir général de bonheur. L’accueil du public n’a cessé de suivre un crescendo culminant dans une ovation finale enthousiaste.
Reconnaissons que ces deux grands artistes possèdent en commun un engagement sans faille pour le partage musical. Le violoniste né à Chambéry et le pianiste qui a vu le jour à Tarbes ont rapidement acquis la notoriété internationale que leur talent respectif mérite amplement. Leur association se fonde sur une complicité de tous les instants au service de l’œuvre interprétée. Dès les premières mesures, on retrouve avec bonheur la rondeur chaleureuse du violon de Renaud Capuçon et la limpidité fervente du jeu de David Fray.
Des trois partitions abordées ce soir-là, la première se distingue des deux autres par la période baroque à laquelle elle appartient et la place particulière que joue son compositeur dans l’évolution de la musique européenne. De Johann Sebastian Bach, la Sonate pour violon et clavier n° 4 en do mineur qui ouvre la soirée est extraite des six sonates pour violon et clavecin obligé BWV 1014-1019, écrites entre 1720 et 1723, lors du séjour du compositeur à Köthen. Les deux interprètes jouent ici la complémentarité de leurs instruments, impliqués qu’ils sont au même niveau dans la sublime diversité des quatre mouvements. Dans le Largo initial, le rythme de sicilienne installe une sérénité atemporelle. Après un Allegro volontaire et animé, l’Adagio se déroule dans une atmosphère de temps suspendu. Enfin une vigueur joyeuse anime l’Allegro conclusif. Le bonheur en musique !
Près d’un siècle plus tard, en 1817, Franz Schubert confiait au violon et au piano sa Sonate en la majeur D 574, écrite en quatre mouvements et qui allait être publiée bien après sa mort avec le titre de « Duo ». Très judicieusement Renaud Capuçon et David Fray en soulignent le lien étroit entre les mouvements impairs (Allegro moderato et Andantino) avec le monde du lied si intensément inventé et enrichi par le compositeur. Le violon chante avec finesse et le piano le provoque ou le console. Une fusion vigoureuse anime le Scherzo, alors que le final, Allegro vivace, brille de mille feux.
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C’est avec le monde si particulier, si riche et si divers de Robert Schumann que se conclut le programme. Composée à Düsseldorf en 1851, sa Sonate n°1 en la mineur expose, parfois douloureusement, les angoisses, les inquiétudes qui conduiront le compositeur vers les berges de la folie. Le premier volet, titré « Mit leidenschaftlichem Ausdruck » (avec une expression passionnée), témoigne avec intensité de ces combats intérieurs qui agitent l’homme. Les deux interprètes se confient, échangent et illustrent magnifiquement cette complexité expressive que l’écriture musicale traduit admirablement. L’Allegretto central ménage une pause non exempte de nostalgie que soulignent les subtiles nuances des deux musiciens. L’inquiétude se retrouve dans le final intitulé « Lebhaft » (Animé). On admire ici encore la mobilité expressive que les interprètes traduisent avec une profonde musicalité.
L’ovation enthousiaste, comme une libération de toute la salle, ramène plusieurs fois les deux complices sur le plateau. Jusqu’au cadeau offert de bonne grâce d’un bis qui renoue avec le début du concert. Le recueillement de l’Adagio ma non tanto de la Sonate n° 3, BWV 1016, de Johann Sebastian Bach conclut dans la sérénité apaisée cette belle soirée de reprise d’un contact tant espéré !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse