Les conditions toujours aussi précaires qui concernent la réouverture des salles de concert, n’empêchent pas l’Orchestre national du Capitole de poursuivre la réalisation de ses projets de concerts à huis clos. Le 23 avril, le chef d’orchestre japonais Kazuki Yamada, un fidèle des concerts toulousains était à la Halle aux grains en compagnie de la violoniste lettone Baiba Skride, déjà accueillie à Toulouse à plusieurs reprises.
Le chef d’orchestre japonais Kazuki Yamada à la tête de l’Orchestre national du Capitole – Photo Patrice Nin –
Kazuki Yamada, l’un des chefs les plus dynamiques de sa génération, revient à Toulouse, une ville où il fit ses débuts en 2012 avec rien moins que la Symphonie Fantastique d’Hector Berlioz. Il a, depuis ce premier concert toulousain, démontré son attachement, son attirance même, pour la musique française. Ainsi, en 2013, il dirigeait Saint-Saëns et Ravel. Ravel qu’il retrouvait avec bonheur en 2015, avec la 2ème suite de Daphnis et Chloé. En 2017 et en 2019, il présentait deux programmes entièrement consacrés à la musique française. Le voici donc de nouveau en défenseur d’un répertoire qui représente un élément essentiel de l’ADN de l’Orchestre national du Capitole, jadis soutenu avec constance par un certain Michel Plasson. Gabriel Fauré et Francis Poulenc sont cette fois au programme de cette nouvelle soirée « huis clos » à laquelle l’auteur de ces ligne a eu la chance de pouvoir assister en « présentiel ».
Intitulé de manière prophétique « Nostalgie des jours heureux », ce concert s’ouvre sur la suite d’orchestre Masques et Bergamasques, de Gabriel Fauré. Un nouveau clin d’œil, peut-être pas volontaire, aux circonstances sanitaires actuelles ! L’Ouverture semble offrir un sourire musical, une grâce heureuse que les cordes en particulier portent avec légèreté et finesse, malgré l’effectif instrumental généreux choisi par le chef. Menuet, Gavotte et Pastorale semblent illustrer, transposer la peinture lumineuse et aimable d’un Antoine Watteau, illustrateur de la commedia del Arte, au travers d’un choix judicieux de couleurs, de nuances raffinées et d’un bel équilibre entre les pupitres de cordes et de vents. La douceur indicible de la Pastorale finale séduit comme un rêve.
Autre partition assez rarement offerte en concert, la Sinfonietta de Francis Poulenc conclut la soirée sur un vigoureux hymne à la vie. Par ce titre étonnant, le compositeur entend bien détacher son œuvre des vastes architectures symphoniques du passé. Composée en 1947 dans un esprit néo-classique, cette partition constitue ainsi un hommage discret aux symphonies de Joseph Haydn. Tout au long des quatre mouvements qui la composent, la signature de Poulenc se manifeste néanmoins avec vigueur.
La violoniste lettone Baiba Skride, soliste du concerto de Korngold – Photo Patrice Nin –
Dès les premiers accents de l’Allegro con fuoco, l’esprit joyeux et mutin du compositeur explose avec détermination. Kazuki Yamada se garde bien d’uniformiser les contours. L’humour, qui ne manque pas de se manifester comme lors d’irrésistibles pirouettes, n’occulte en rien les moments de tendresse, comme dans le très touchant Andante cantabile. Disons que le « voyou » prend plus souvent la parole que le « moine », selon la dichotomie inventée par le musicologue Claude Rostand. En outre, la gestique particulièrement expressive et élégante du chef s’avère d’une impressionnante efficacité tout au long de la soirée. Soulignons une fois de plus les belles interventions de chaque soliste, de chaque pupitre habilement sollicité par la direction attentive de Kazuki Yamada. La vitalité souriante explose dans un Prestissimo final irrésistible.
Au cœur de la soirée, le trop rare Concerto pour violon et orchestre d’Erich Wolfgang Korngold retrouve la grande et belle violoniste lettone Baiba Stride. Apparue ici pour la première fois aux côtés de notre Orchestre en 2015 dans le Concerto de Sibelius, elle était également la soliste du Concerto n° 2 de Prokofiev en 2018. Elle avait alors impressionné par sa maîtrise et sa sensibilité. Avec ce Concerto de Korngold, la violoniste aborde un territoire original et rare. Le compositeur d’origine autrichienne s’est essentiellement fait connaître comme auteur de musique de film, du fait de son exil à Hollywood lors de l’annexion de son pays par l’Allemagne nazie.
Baiba Skride et Kazuki Yamada au salut – Photo Classictoulouse –
Il emprunte le matériel thématique de son concerto aux films dont il est l’auteur des musiques : Another Dawn/La Tornade (1937) et Juarez (1939) pour le premier mouvement, Anthony Adverse (1936) pour le second. Quant au final, il se base sur des thèmes issus de Le Prince et le Pauvre (1937). Korngold aimait à dire que le concerto (créé en 1947 par Jascha Heifetz) était écrit « pour un Caruso du violon, plutôt que pour un Paganini ». C’est ce qui guide manifestement l’interprétation de Baiba Skride. Ses phrasés subtils, la large palette de ses nuances font merveille. Son violon chante avec finesse et sensibilité. La palette des couleurs qui en émanent fait merveille. En témoigne notamment la maîtrise technique et expressive qui anime la lumineuse cadence du premier mouvement Moderato nobile, qui porte bien son nom. Entourée par un orchestre qui parfois l’enveloppe comme une mer, la soliste sait se fondre dans le tutti. Sa complicité avec le chef mais aussi avec chaque musicien de l’orchestre s’observe en permanence. Comment ne pas imaginer en filigrane quelques scènes de films subrepticement évoquées par la musique. Les grands espaces alternent avec l’intimité de certaines confidences, comme dans la tendre Romance. Le final Allegro assai Vivace évoque un jeu ponctué de sourires. Une musique du plaisir !
Le bonheur de jouer débouche sur une ovation de l’ensemble des musiciens qui acclament la soliste et le chef. A leur tour, Baiba Skride et Kazuki Yamada applaudissent l’orchestre et chaque pupitre tour à tour chaleureusement remerciés par le chef en fin de concert. Un autre grand moment diffusé en live sur Facebook ONCT, également sur Facebook Mairie de Toulouse et sur YouTube ONCT où il restera disponible en streaming jusqu’au 6 juin 2021.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre National du Capitole