Le festival interdisciplinaire Les Franco-russes de Toulouse, porté par Tugan Sokhiev et en coopération étroite avec l’Orchestre national du Capitole, a été créé en 2019. Placée sous l’égide du Dialogue de Trianon, cette manifestation culturelle originale jette des ponts entre les peuples français et russe au travers d’une coopération entre diverses institutions culturelles. Après une édition 2020 écourtée en raison de la Covid 19, l’édition 2021 a été imaginée sous la forme de captations audiovisuelles diffusées sur les réseaux et en particulier sur Facebook ONCT.
La série des concerts diffusés en direct et en streaming depuis la Halle aux grains s’est ouverte le 13 mars à 18 h sur un concert de l’Orchestre national du Capitole placé, pour la première fois, sous la direction du chef ukrainien Kirill Karabits. Né à Kiev, mais résidant à Paris, Kirill Karabits se consacre depuis quelques années à la redécouverte du patrimoine musical russe. Ce fils du compositeur Ivan Karabyts a été le premier musicien ukrainien à recevoir le titre de Chef d’orchestre de l’année par la Royal Philharmonic Society en 2013. Directeur du Bournemouth Symphony Orchestra depuis 2012, il s’est produit à la tête de la plupart des grandes formations symphoniques d’Europe et d’Amérique du Nord.
Sa première venue à Toulouse comme chef d’orchestre, initialement programmée pour le 15 janvier dernier, avait été annulée du fait des contraintes sanitaires. Le voici donc à la tête de l’Orchestre national du Capitole pour l’ouverture du festival Les Franco-russes dont la voilure a dû être réduite. Réjouissons-nous tout de même que cette manifestation riche d’événements divers soit maintenue contre vents et marées ! Ce concert à huis clos du 13 mars était donc consacré à Sergueï Prokofiev que sa trajectoire conduisit de sa Russie natale à la France, un temps terre d’asile, puis à l’URSS. Deux œuvres très différentes de lui composaient le programme : la Suite Le Lieutenant Kijé et la Symphonie n° 5.
La Suite d’orchestre Le Lieutenant Kijé, composée par Prokofiev en 1933, est tirée de la musique qu’il écrivit pour le film homonyme d’Alexandre Feinzimmer, basé sur la nouvelle éponyme de Iouri Tynianov (1927). Son argument se base sur l’histoire d’un homme qui n’existe pas, sauf pour l’administration impériale, à la suite d’une erreur de transcription d’un ordre du jour par un scribe de la chancellerie du régiment Préobrajenski. Le film et la partition de Prokofiev illustrent donc une vie fictive, inventée pour ne pas dévoiler l’erreur initiale ! Les cinq mouvements de la Suite évoquent cinq épisodes de cette fausse existence, de la naissance de Kijé à son enterrement, en passant par sa liaison amoureuse, son mariage et une promenade en troïka. Kirill Karabits aborde cette partition comme on projette un film. Musique d’images, pleine de vie, d’animation, de contrastes. Chaque pupitre joue le jeu de la fantaisie, de l’humour, de la couleur, à commencer par l’épisode de la naissance, dont le mystère est souligné par une intervention pianissimo du cornet à piston a capella et en coulisse. Un grand bravo à Thomas Pesquet pour la beauté du timbre et du phrasé que l’on retrouve avec plaisir pour les dernières mesures de la Suite, bouclant ainsi la boucle de cette existence fictive.
La Symphonie n° 5, achevée en 1944, met un terme à seize années de silence « symphonique ». Prokofiev déclare à son propos : « Je l’ai conçue comme une symphonie sur la grandeur de l’esprit humain ». Son écriture déploie un héroïsme presque surhumain justifié par les circonstances historiques de sa composition, alors que la victoire sur l’ennemi ne fait plus de doute.
Kirill Karabits dirige l’œuvre avec une passion exacerbée. Il suscite des fortissimi explosifs de la part d’un orchestre chauffé à blanc. L’Andante initial, martial et épique, est suivi de la mécanique comme motorique de l’Allegro marcato. Aucun répit dans l’Adagio. La complexité du mouvement prolonge l’atmosphère obsessionnelle de toute l’œuvre. Enfin le Rondo final, faussement triomphant (proche des ambigüités de Chostakovitch), atteint des sommets d’exaltation dans une succession haletante de couplets et de refrains. Le chef suscite et obtient des tutti d’une intensité sonore presque douloureuse. Tous les pupitres de l’orchestre contribuent avec conviction à cette chevauchée finale explosive à laquelle il est difficile de résister !
Le 19 mars prochain, l’ONCT sera dirigé par Maxim Emelyanychev qui a noué avec ses musiciens une relation privilégiée. Le soliste du Concerto n° 2 de Prokofiev sera le jeune violoniste russe Aylen Pritchin. Le programme réunit également Tchaïkovski et… le jeune compositeur toulousain Benjamin Attahi, récemment nominé aux Victoires de la musique classique. A suivre avec attention !
Ce concert a été diffusé en live sur Facebook ONCT – Facebook Mairie de Toulouse – Facebook Mairie de Toulouse
Il reste disponible en streaming sur YouTube ONCT
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse