Le troisième concert de la belle saison de Toulouse Guitare, créée en juillet 2017 à l’initiative de Thibaut Garcia, a finalement eu lieu malgré les conditions sanitaires qui nous privent d’un grand nombre d’événements musicaux. Initialement prévu pour le 28 janvier, il a pu être organisé à huis clos le lendemain 29 janvier à 20 h à l’Auditorium St Pierre des Cuisines, avec la participation exceptionnelle de France Musique et en partenariat avec l’Institut Supérieur de Réalisation Audiovisuelle (ISPRA). Diffusée en direct sur le compte Facebook de Toulouse Guitare, cette belle soirée reste disponible pour tous les publics. Une chance inespérée qu’il ne faut pas laisser passer !
Cette soirée exceptionnelle était animée par le Quatuor Eclisses, composé de quatre jeunes guitaristes de grand talent : Gabriel Bianco, Arkaïtz Chambonnet, Pierre Lelièvre et Benjamin Valette. Ce quatuor constitué, qui s’inscrit depuis 2012 dans le paysage musical français, propose de redécouvrir la guitare classique, notamment à travers des arrangements originaux du grand répertoire instrumental. Ces quatre musiciens proposent et défendent avec panache un programme riche et intelligemment conçu.
Mais avant leur prestation, une belle tradition, lancée dès la première saison de Toulouse Guitare, associe un jeune talent de l’instrument en première partie de concert. Ce rôle, assuré ce soir-là par le jeune guitariste Virgile Barthe a permis la révélation d’un authentique musicien. Son jeu intérieur et profond est mis au service d’un programme exigeant et particulièrement ouvert, sans concession aux effets extérieurs. Dans le Prélude et Presto BWV 995 de Johann Sebastian Bach, qui ouvre sa prestation, la lisibilité de son jeu, l’équilibre qu’il ménage entre liberté et rigueur font merveille. La pièce suivante explore un langage bien différent, celui du compositeur britannique Alan Rawsthorne (1905- 1971). Sa pièce, Elegy, composée pour Julian Bream se pare d’harmonies subtiles que le jeune interprète traduit avec finesse. Avec la Grande Ouverture, de Mauro Giuliani, qui conclut son court récital, Virgile Barthe retrouve un langage plus classique avec la vivacité d’un style rossinien qu’il maîtrise avec verve.
Le Quatuor Eclisses qui prend le relai manifeste immédiatement une cohésion et une complicité admirables de ses quatre membres. La qualité sonore individuelle et collective, les équilibres entre les voix, tout cela éclate au grand jour. Le programme présenté tour à tour par chaque musiciens et centré sur l’Espagne, explore astucieusement l’image extérieure autant qu’intérieure de la péninsule ibérique. Ainsi, la première moitié de la soirée développe une vision de l’Espagne vue d’ailleurs, une sorte d’Espagne rêvée. De l’Italien Luigi Boccherini, le célèbre Fandango, extrait de son Quintette pour cordes et guitare, est offert ici dans l’arrangement pour Quatuor de guitare réalisé par les interprètes. La poésie de l’œuvre, son esprit malicieux passe par le raffinement des nuances mises en œuvre par les musiciens.
La France du début du XXème siècle a beaucoup fantasmé sur l‘Espagne, en particulier Claude Debussy et Maurice Ravel. Du premier, la Quatuor Eclisses transpose pour ses instruments la tendre poésie nocturne de La Soirée dans Grenade, extraite des Estampes pour piano. S’y ajoutent quelques éléments percussifs émanant des caisses des instruments. Avec Alborada del Gracioso, de Ravel, cette « Aubade du Bouffon » pleine de charme et de rythme, semble avoir été composée pour un ensemble de guitares qui en réalise ici une « autre » orchestration !
La suite du programme retrouve le répertoire authentiquement espagnol avec deux des plus grands compositeurs du tournant du XXème siècle. Du virtuose Issac Albéniz, la version « élargie » aux quatre guitares de la célèbre pièce Asturias, extraite de la Suite espagnole n° 1, exhale une magie fascinante. Sa version originale pour guitare seule trouve d’ailleurs son expression extrême sous les doigts de Thibaut Garcia qui en a fait une sorte de leitmotiv de son talent… Du même Albéniz, la belle procession intitulée El corpus Cristi en Sevilla, extraite du grand recueil pour piano Iberia complète avec charme ce voyage mystique. Un voyage qui s’achève sur la fête colorée de la Danse finale du ballet Le Tricorne, de Manuel de Falla. L’effervescence des cordes pincées, la richesses des échanges, les regards croisés complètent avec bonheur cette trajectoire irrésistible.
En l’absence frustrante des applaudissements, les musiciens proposent néanmoins un bis en forme de poésie ou de chanson ancienne. Intitulée « Ah que mon cœur de serre comme un bouquet d’œillets… », cette pièce poétique referme cette soirée sur une énigme bienvenue.
Un grand bravo à Toulouse Guitare et ses invités pour le maintien d’un contact étroit avec le public !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Toulouse Guitare