Le concert étant reporté du 7 au 8 janvier *, nous avons rendez-vous avec le jeune chef russe Maxim Emelyanychev dirigeant l’Orchestre National du Capitole de Toulouse dans un programme tout Schumann. Pour l’unique Concerto pour piano du compositeur, c’est Adam Laloum au clavier, jeune pianiste “chouchou“ de la Halle.
« L’adolescent tel que le rêvaient les poètes lyriques ou romantiques d’Allemagne ou de France vers le premier tiers du siècle – cet adolescent a été intégralement traduit en musique et en mélodie par Robert Schumann qui fut lui-même cet éternel adolescent. » Friedrich Nietzsche – 1866.
Le concert devrait débuter avec l’Ouverture de Genoveva op. 81, opéra en quatre actes, le seul écrit par le compositeur. Otto Jahn, archéologue et biographe de Mozart, reconnaîtra avec surprise « l’élan irrésistible et le souffle réellement dramatique qui animent l’ensemble » de l’ouvrage, avec son exubérance mélodique, l’audace de ses harmonies, la beauté du tissu orchestral alliant souplesse et légèreté. Créée en 1850, Schumann a quarante ans, l’œuvre relatant la vie de Geneviève de Brabant est rarement représentée. Il est vrai que son époux Siegfried n’arrêtant pas de répéter « Ah ! quel beau destin de lutter pour le Christ » pendant que son épouse se morfond et qu’il part rejoindre Charles Martel à Poitiers, accompagné par le chœur d’entrée chantant : « Vive Charles Martel, vive Charles Martel ! »……L’opéra, c’est quand même, et de la musique, et du chant, et du théâtre !
Pour suivre, c’est le prototype même du “concerto romantique“ : le Concerto pour piano et orchestre, inspiré par, et écrit pour son épouse Clara. Un concerto pour piano à part, qui se désolidarise des œuvres virtuoses et brillantes, alors très à la mode, où le soliste, homme seul, est aux prises avec l’orchestre, monde entier. Un concerto que Liszt n’hésitera pas à qualifier, aimablement, de “concerto sans soliste“. Il faut ici un véritable interprète. Ce concerto demande une certaine somme de qualités. Le dernier mouvement, particulièrement jubilatoire et techniquement exigeant, en fait foi. Si c’est seulement pour époustoufler, l’artiste doit choisir un autre concerto. De l’aveu même du compositeur, l’œuvre se situe “entre le concerto, la symphonie et la grande sonate“. La gestation pour ce concerto pour piano unique aura duré quatre ans et sera créé en 1845.
Mais, revenons à Clara. Fut-elle donc déraisonnée, la passion qu’il éprouve pour cette jeune élève de… 13 ans, devenue son épouse 7 ans plus tard après une lutte acharnée avec le futur beau-père ? Cette passion va cependant le conduire, à la création de chefs-d’œuvre musicaux universellement reconnus, mais aussi à la conception d’un enfant tous les deux ans soit sept au total, et enfin à la dépression, tout au long de sa vie et pour finir, à la folie.
C’est pour Clara qu’il écrit en mai 1841, année du mariage acquis de haute lutte, la Fantaisie pour piano avec accompagnement d’orchestre, une première mouture de ce qui deviendra, quatre ans et six refus d’éditeurs plus tard, le premier des trois mouvements du Concerto pour piano et orchestre, op. 54. Pianiste virtuose depuis son plus jeune âge et formée par papa Wieck, Clara le jouera partout et en aura quasiment le monopole jusqu’à la fin de sa vie. Elle notera : « Le piano se fond à l’orchestre de la manière la plus subtile – impossible de penser l’un séparément de l’autre. »
I – Allegro affetuoso
II – Intermezzo : Andantino grazioso
III – Allegro vivace
« Le rôle du soliste est celui d’un modèle, d’une référence : il doit porter le contenu profond de l’œuvre sa tension interne, pour les faire passer ensuite à l’orchestre. Cette exigence de Schumann se fait aussi très nettement sentir dans la cadence, qui est composée intégralement et ne laisse donc aucune place aux acrobaties personnelles du soliste. » N. Harnoncourt
Pour clore, ce sera la Quatrième symphonie en ré mineur, op. 120, l’ultime. D’aucuns diront que c’est une des plus belles symphonies romantiques jamais écrites. La passion fiévreuse qui l’anime de bout en bout, la beauté mélodique constante de son inspiration, la fougue irrésistible de son élan créateur l’ont hissée au sommet de l’œuvre symphonique de Schumann. Au même titre que le Concerto pour piano, L’amour et la vie d’une femme sur un poème de Chamisso, les Etudes symphoniques ou les Scènes de Faust, cette Quatrième est placée sous le signe de la brûlant exigence d’authenticité : celle des Amours du poète pour Clara, sa muse, son âme, celle qu’il aime passionnément depuis sûrement ses vingt-deux ans, et neuf de moins pour la jeune fille !
I – Andante con moto – Allegro di molto
II – Romanza : Andante
III – Scherzo : Presto (Lebhaft)
IV – Largo – Finale : Allegro vivace
Les mouvements sont donnés sans pause aucune comme Schumann a pu l’exiger, de manière à respecter la cohérence organique de cette “fantaisie symphonique“.
Après le succès de sa Première Symphonie donnée le 31 mars 1841 par Felix Mendelssohn, à Leipzig, en plein élan créateur, Schumann ne s’accorde aucun répit et enchaîne aussitôt sur la composition de sa symphonie en ré mineur. « Ma prochaine symphonie s’appellera “Clara“ et j’y peindrai son portrait. » Les deux tourtereaux sont enfin mariés depuis le 12 septembre 1840. De fait, à la fin de l’été, il offre sa partition à sa toute jeune épouse pour son anniversaire en septembre. Création dans la foulée en décembre toujours par Mendelssohn. Accueil très réservé. Mise de côté, le compositeur ne la reprendra qu’en 1851 et publiera la nouvelle mouture en 1953. Elle devient la Symphonie n°4, op.120 et le succès est alors au rendez-vous, durable et universel, même si Gustav Mahler décidera d’y apporter de nombreuses retouches. Ce soir, c’est bien sûr Schumann que nous écoutons.
Pages d’une insolite fraîcheur, les symphonies de Robert Schumann sont des œuvres où le caractère d’expression lyrique personnelle, et souvent très intime, est plus accentué que dans les symphonies de Beethoven et même de Schubert où l’accent personnel s’élargit vers l’accent collectif, et où il semble parfois que tout un peuple chante. Mais elles présentent une unité interne particulièrement saisissante, qui fait de chacune d’elle comme un grand poème d’un seul tenant, ce qui se manifeste non seulement dans le rappel de motifs mais encore dans le fait qu’à l’intérieur d’un mouvement et d’un mouvement à l’autre, les motifs s’engendrent l’un l’autre. Il n’empêche. Certains ont estimé que l’instrumentation du compositeur était relativement maladroite et ont décidé d’apporter quelques modifications. Elles ont quand même leurs défenseurs dans leur version originale. Même une certaine Clara, en légataire toute-puissante, va se charger d’écarter les premières versions dans l’édition intégrale qu’elle entreprend de l’œuvre de son époux en 1880.
Pour en savoir un peu plus sur les deux jeunes artistes-phares de ce concert, cliquez ici
* En raison de la non-réouverture des salles de spectacles à partir du 7 janvier 2021, le concert de l’Orchestre national du Capitole, initialement prévu le jeudi 7 janvier à 20h à la Halle aux grains, est reporté au vendredi 8 janvier à 18h, pour une diffusion en direct sur Mezzo et Medici.tv. Ce concert sera également diffusé en différé sur Radio classique, le samedi 16 janvier à 21h.