À la basilique Saint-Sernin de Toulouse et à la cathédrale Saint-Étienne de Cahors, le chœur de chambre Les Éléments interprète un programme dédié à l’écriture polyphonique, dans le cadre du Festival Radio France Montpellier Occitanie, de ClassiCahors et des Quartiers d’été de Toulouse les Orgues.
De Josquin des Prés à Alexandros Markeas – né à Athènes en 1965 – en passant par Jakob Händl Gallus, Tomas Luis de Victoria, Johannes Brahms, Felix Mendelssohn ou Sergueï Rachmaninov, le chœur de chambre Les Éléments explore la polychoralité lors de concerts donnés cet été à la basilique Saint-Sernin de Toulouse et à la cathédrale Saint-Étienne de Cahors, dans le cadre du Festival Radio France Montpellier Occitanie et de ClassiCahors. Ponctuée par des pièces solistes jouées par Virgile Monin sur le grand orgue Cavaillé-Coll de la basilique Saint-Sernin, la soirée toulousaine s’inscrit également dans la programmation des Quartiers d’été de Toulouse les Orgues. Imaginé par Joël Suhubiette (photo), le programme invite donc à un voyage musical à travers les styles et les époques, du XIIIe siècle à aujourd’hui.
Pour cette exploration de l’écriture polychorale, jouant du «décalage» dans le temps et dans l’espace, les pièces choisies dans ce vaste répertoire seront chantées a capella, à deux, quatre ou six chœurs frontaux ou répartis dans l’édifice. Selon Joël Suhubiette, «toutes les époques ont produit des œuvres polychorales, les musiciens ont toujours aimé s’essayer à cette forme de construction musicale. Pour les chanteurs, c’est un exercice également très exigeant. Il peut même être périlleux si la configuration du lieu ou l’acoustique ne s’y prêtent pas ! Être ensemble à 24 voix demande une grande maîtrise technique, certes, mais l’essentiel est vraiment dans le travail de style. C’est tout l’intérêt d’un programme qui mélange les époques et c’est ce qui m’a amené à choisir ces pièces sacrées, chantées en latin, allemand, russe et grec ancien, qui nous font voyager à travers les siècles: comment faire “sonner les voix” pour camper ces univers différents, donner à entendre les couleurs qui conviennent, laisser émerger la poésie de chaque pièce avec toute la fluidité possible…?», s’interroge le directeur artistique des Éléments.
L’histoire de la musique révèle de multiples exemples, sous différentes formes, d’écriture pour chœurs séparés, mais c’est à Venise que le style polychoral est véritablement né d’un particularisme architectural: l’agencement intérieur de la basilique Saint-Marc. L’espacement des tribunes où sont installés les chœurs y engendrent une forme de décalage sonore que les compositeurs ont adopté, posant alors les bases d’une évolution stylistique majeure. Préfigurant l’époque baroque, cette innovation musicale s’est en effet diffusée dans toute l’Europe.
Évoquant l’extraordinaire émulation entre les arts dans cette période féconde de la Renaissance tardive, qui voit l’apparition de la polychoralité, Joël Suhubiette rappelle que «les architectes n’ont de cesse à cette époque d’inventer des formes toujours plus sophistiquées, les peintres se libèrent des carcans du passé – Titien et Véronèse, par exemple, cherchent à tirer parti de la couleur plus que du trait –, les maîtres de chapelle s’inspirent de toutes ces influences. Ils se mettent à composer une musique moins codée, plus libre, mais au combien savante ! Elle nous fascine toujours autant aujourd’hui par son extraordinaire complexité». À propos des œuvres choisies pour ce concert, Joël Suhubiette indique que «Qui habitat» de Josquin Des Prés est «une pièce écrite autour de 1520, pour 6 chœurs à 4 voix. Nous terminons le programme avec « Medea Cinderella », pour quatre chœurs, commande des Éléments au compositeur Alexandros Markeas». Les autres œuvres annoncées sont conçues en double chœur, notamment la cantiga de Sancta Maria « Strela do dia », pièce la plus ancienne de la soirée signée Alfonso X le Sage, roi de Castille et Léon au XIIIe siècle, ou encore «Super Flumina Babilonis», pièce liturgique de Tomas Luis de Victoria. Ces deux pépites sont extraites du tout dernier enregistrement des Éléments, paru au printemps sous le titre « Iberia » et regroupant des polyphonies espagnoles et portugaises de la Renaissance à aujourd’hui.
La plus longue pièce du programme est la magnifique Messe en double chœur de Frank Martin, qui resta près de quarante ans dans les tiroirs du compositeur suisse. En 1970, ce dernier écrivait dans un programme de concert: «C’est en 1922 que cette messe a été composée (à part l’Agnus Dei, qui date de ’26) et ce fut là un travail absolument libre, gratuit, désintéressé. En effet, je ne connaissais, à cette époque de ma vie, aucun chef de chœur qui eût pu s’y intéresser. Je ne l’ai jamais présentée à l’Association des Musiciens Suisses, pour qu’on l’exécute dans une de ses fêtes annuelles et, en fait, je ne désirais nullement qu’elle fût exécutée, craignant qu’on la juge d’un point de vue tout esthétique. Je la voyais alors comme une affaire entre Dieu et moi. Il en a été de même plus tard pour un oratorio de Noël : l’expression de sentiments religieux me semblait devoir rester secrète et n’avoir rien à faire avec l’opinion publique. Tant et si bien que cette composition est restée quarante ans dans un tiroir, tout en figurant pour la forme dans la liste de mes œuvres.»
Dans le même texte, Frank Martin poursuit: «Tout ce que je viens de dire de cette Messe indique clairement que, même si j’ai employé des moyens assez vastes, il s’agit là d’une musique d’expression toute intérieure. Depuis l’époque mon langage musical a considérablement évolué ; il y a dans cette œuvre bien des choses que je ne pourrais plus écrire ; il y a des maladresses que je ne ferais plus (j’en ferais d’autres, qui n’en fait pas ?). Mais il y a aussi des éléments musicaux qui me sont très proches. […] Souhaitons que l’on puisse encore trouver de la conviction, de la jeunesse et quelque beauté dans cette messe qui a près d’un demi-siècle d’âge.»
Billetterie en Ligne du concert des Éléments
Basilique Saint-Sernin • Toulouse
lundi 22 juillet 2019 à 20h30