Les fans de celui qu’on appelle familièrement « le Boss » sont devenus légion et un film comme Springsteen & I documente sérieusement cette passion fervente mais tout à fait innocente, voire familiale, qui dévore plusieurs générations.
Pour les gars de mon âge (50+), Springsteen ne fut longtemps qu’à nous seuls (enfin, presque) et on avoue un regard jaloux et médusé, quoique réjoui, sur ces foules au coeur affamé battant dur, qui s’accaparent le Commandeur de la rue E, ses coups de massue hard country, ses rudes sérénades italo-irlandaises, son rock’n’roll spectorien, sa soul en col bleu, son lyrisme naïf mais fouetté et puissant, les prêches pleins d’humour et les concerts généreux, étourdissants et marathons.
On Broadway
En 2017, nous apprenons que Bruce (68 ans en septembre) s’apprête à donner une série de concerts solos au Walter Kerr Theatre (975 places) qui se trouve à Broadway. On annonce une résidence de deux mois, cinq soirs par semaine, à partir de novembre, ce qui nous rappelle la tournée solo des années 90 et un certain concert magique à l’opéra de Montpellier.
Les sources du Post, le journal qui a sorti l’info, racontent que les propriétaires du Kerr se frottent les mains : ils ne réclament aucun loyer mais comptent se rattraper au bar. Quant à Bruce : « Il a tout l’argent du monde. Il peut faire ce qu’il veut. »
Il se dit par ailleurs que la résidence pourrait servir de prélude à un projet plus vaste et qui peut paraître incongru, adapter les mémoires de Springsteen, le best-seller “Born To Run” en comédie musicale !
Comme Elvis
La preuve que BS est une légende vivante définitivement tombée dans le « domaine public » et le coeur des gens, comme Elvis (Dylan, Bowie, peut-être, mais avec moins d’ « amour »), c’est que d’autres artistes écrivent des textes et des chansons sur lui, sur l’effet qu’il a eu ou produit encore sur leur propre vie, ou font référence à ses chansons pour évoquer un moment, mettre en valeur les expériences de leurs personnages (D’ailleurs, Bruce lui-même a écrit deux chansons pour le King).
Dans la littérature, Nick Hornby (« I certainly wasn’t driving down any turnpike or highway or freeway, and the wind wasn’t blowing through my hair, because I possess neither a convertible nor hair. It’s not that version of Springsteen »), Christian Authier (Une certaine fatigue : « Papa jaillissait dans les paroles et les musiques de Springsteen qui était de ces chanteurs dont les disques m’avaient accompagné dès l’adolescence ») et surtout, à longueur de bouquins, Stephen King. Dans Christine, Ça, Bazaar, Coeur perdu en Atlantide, Dead Zone, Duma Key, Le fléau… le Boss apparaît en exergue, en tête de chapitre, ou en plein dans le tableau : « Elle m’appelait Boss depuis l’année précédente, où j’avais découvert Bruce Springsteen et en étais devenu fana. » « …il était inconsciemment habillé à la Bruce Springsteen – alors que si on lui avait demandé son avis sur le chanteur, il l’aurait sans doute traité de pédé ou de nouille, et aurait professé son admiration pour des groupes hard comme Def Leppard, Twisted Sister et Judas Priest. »
Au cinéma, Stallone, policier souffrant et seul contre tous, pose l’aiguille de son phono, le soir en rentrant chez lui, afin de se débarrasser des miasmes de la corruption qui minent le commissariat de son bled du New-Jersey, sur le disque 2 de The River et la chanson Drive All Night (Copland).
La fascination qu’il exerce a eu aussi pour effet de créer des sous-lui, même lointains (Chez nous Capdevielle ou même Cali, hin hin) mais le phénomène s’observe ailleurs (combien de sous-U2 et de sous-Noirdez…) et le Boss lui-même a commencé sa carrière discographique en imitant Dylan.
Real Man (un homme, un vrai)
Il y a quelques jours, une jeune femme ayant grandi à Toulouse et dont la carrière musicale décolle à Paris, publie sur YouTube la vidéo de l’une des chansons de son EP paru il y a quelques mois : Badlands. Le titre est déjà une sérieuse référence (Badlands 1978, album de BS Darkness on the Edge of Town ; Badlands/La Balade sauvage, film de Terrence Malik, 1973, avec Sissy Spacek et Martin Sheen). Le scénario est encore plus explicite, possession, poupée de chiffon, fire, bowling, jealous gal, dans une ambiance digne des frères Cohen ou de Sofia Coppola… Mais je refuse de m’emballer à ce point et, surtout, ne peux en dire plus car Norma est de mon propre sang et j’ai comme un reste de conscience professionnelle. Bah, tout de même c’est épatant et la chanson vous empoigne vraiment, je crois.
Seul parmi les jantes
On se souvient du hit Cars and Girls, tiré de l’album de Prefab Sprout From Langley Park to Memphis (1988), avec son rythme entraînant, comme on dit, ses pas!pah!pah! padapadapadaaaa… féminins, et son refrain à la fois velouté et féroce où le fringant chanteur Paddy McAloon (admirable dans le précédent LP Steve McQueen, et devenu aujourd’hui un barde velu cherchant à sauver son âme et à atteindre la grandeur de Brian Wilson) lance cette adresse à Bruce : « Sors de derrière le volant, il y a des choses qui font plus mal, beaucoup plus mal que les bagnoles et les filles. »
Radio nostalgie
Il y a aussi et enfin cet énorme tube de la star country Eric Church, qui n’est jamais arrivé jusqu’à nous parce que le genre s’arrête en Angleterre sans passer la Manche, une chanson tout bonnement intitulée « Springsteen » et dans laquelle un homme mûr se rappelle son premier amour et la bande-son des « jours de gloire » de sa jeunesse…
I’m on fire and born to run (Me v’là en feu et je suis né pour courir)
You looked at me and I was done… (Tu m’as regardé et j’étais cuit)
Funny how a melody sounds like a memory (C’est drôle comme une mélodie (ré)sonne comme un souvenir)
Like the soundtrack to a July Saturday night, Springsteen… (Comme la bande-son d’un samedi soir en juillet, Springsteen)
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Greg Lamazères