C’est pour le lundi 19 juin, à 20h, en DIRECT du Teatro alla Scala de Milan. Mozart au sommet, transcendé par le toujours présent Giorgio Strehler renouvelé par Mattia Testi, sans oublier les décors et costumes de Luciano Damiani, et le chef d’orchestre Zubin Mehta. C’est l’ultime retransmission de la saison, dans votre cinéma CGR Blagnac.
L’Enlèvement au sérail en fait pour la première fois la preuve : ce n’est pas malgré ces livrets que la musique de Mozart est belle, mais bien à cause d’eux. Cette musique “colle“ étroitement au texte, elle en épouse les moindres accents, les moindres inflexions, les intentions les plus secrètes, peut-être même davantage encore que dans des partitions plus célèbres. Pas un seul numéro qui n’exprime parfaitement, et le caractère de chaque dramatispersona et ses sentiments de l’instant. Il est bien vrai aussi que cette partition a des accents d’une insouciante jeunesse que le musicien ne retrouvera jamais : c’est l’opéra de son mariage, sorte d’épitaphe offert à Constance – Constance, le nom même de l’héroïque et fidèle fiancée de l’Enlèvement. Leur mariage eut lieu le 14 août 1782, 28 jours après la création.
On devine l’extrême difficulté de la tâche qui attend le chef d’orchestre qui doit impérativement faire attention à la moindre note et à sa traduction sur la scène. C’est Zubin Mehta qui relève le défi, une fois de plus, et qui officie à la tête de l’Orchestre de la Scala et les Chœurs du Teatro de la Scala. Quant à Constance, l’héroïne principale donc, c’est la soprano lyrique colorature Lenneke Ruiten. Avec son agilité, son incroyable aisance dans le suraigu et son timbre coloré, la voix de la jeune soprano néerlandaise a tout pour faire un tabac. De sa voix, elle vous dirait : « J’ai toujours pu atteindre le suraigu sans problème, et avec le temps, le médium et le côté le plus lyrique de ma voix se sont développés. J’aime beaucoup cette combinaison entre la flexibilité et la légèreté d’un côté, la couleur et l’émotion de l’autre. » Des qualités qui vont faire merveille dans ce rôle difficile et délicat.
La première représentation de la turquerie de Wolfgang Amadeus Mozart, qui porte pour titre L’Enlèvement au sérail, eut lieu le 16 juillet 1782. Elle constitue un jalon important de l’histoire du théâtre musical. C’est cet opéra qui donne ses lettres de noblesse au Singspiel qui, comme chacun le sait, se caractérise par une alternance de passages chantés (singen, chanté) et parlés (spielen, jouer). Ce “singspiel comique“ d’une vision complètement inédite alors, a véritablement ouvert un univers psychologique et humain sur le terrain duquel le théâtre musical reste encore basé de nos jours. Cet événement marque en même temps le vrai début de l’opéra allemand. C’est une véritable dramaturgie musicale écrite de la façon la plus drôle et la plus concrète à la fois, sensée délivrer un véritable message de tolérance et de refus de la haine. Pour toute appréciation, et à plus forte raison, jugement, il faut se replonger en 1782, et essayer d’oublier tout ce qui a bien pu être inventé et écrit par la suite. On se doute aussi, que se déconnecter de tous les événements actuels qui nous assaillent sera d’une extrême difficulté. Mozart n’avait pas tout prévu.
Un peu d’histoire : Dès 1778, Mozart, alors nommé organiste à la cour de Salzbourg, avait manifesté son désir d’être reconnu, non plus tout à fait comme pianiste, mais aussi comme véritable compositeur d’opéras, même s’il en a déjà écrit une douzaine. C’est fin juillet 1781 qu’il reçoit du metteur en scène Gottlieb Stéphanie dit le Jeune, un livret à mettre en musique. Le délai de mise en œuvre est plutôt court, l’opéra étant destiné à conférer un éclat tout particulier à la visite officielle du grand-duc Paul Pétrovitch, ni plus ni moins que le futur tsar Paul Ier, visite prévue à la mi-septembre de la même année. En fait, l’élaboration de L’Enlèvement durera près d’une année. Si la composition d’un premier acte fut rapidement réalisée, Mozart avait déjà plus de trois jours de retard à la moitié de l’opéra. Finalement, et ça “tombe“ bien, la visite fut elle-même annulée.
Retardée encore par des problèmes d’ordre artistique et des cabales au Burg-theatre, l’œuvre sera ainsi le clou de la saison 1782-1783, mais à l’Hofoper. Accueilli par un public à l’enthousiasme frénétique, et malgré les chaleurs de l’été – on est le 16 juillet – Mozart fit salle comble, et réussit par ce coup de maître à s’imposer comme auteur d’opéras. L’Enlèvement fut à partir de 1790 joué sur plus de quarante scènes européennes. On peut affirmer que sa popularité s’est maintenue jusqu’à présent. Après La Flûte enchantée, Les Noces de Figaro et Don Giovanni, c’est le quatrième opéra de Mozart appartenant à la série des dix œuvres les plus jouées sur les scènes allemandes.
Ce fait est complètement en phase avec les projets culturels de l’empereur Joseph II. Ceux-ci étaient en quelque sorte précisés lors de chacune des commandes musicales du souverain. Ce dernier souhaitait ardemment faire rendre gorge à un opéra italien trop omniprésent à son goût et il voulait mettre à la portée d’un public le plus large possible un art scénique national, exprimé en langue allemande. Cette réorganisation du répertoire constituait même l’un des points principaux du programme réformiste du despote éclairé.
Les temps ne sont pas les mêmes et, sous Joseph II, Mozart avait pleinement conscience de sa chance. Il se devait d’écrire un opéra parfait, capable de s’imposer à la clique italienne influente et intrigante de la cour impériale, et prouver ainsi au monde entier que la langue allemande pouvait s’adapter aux musiques les plus passionnantes. Cet engagement exceptionnel se manifeste dans les lettres adressées à son père Léopold, missives dans lesquelles le compositeur détaille, plus qu’il ne l’a fait pour tout autre de ses opéras, la présentation des différentes arias dramatiques.
SYNOPSIS et DISTRIBUTION
L’implication de Mozart dans l’écriture du livret fut importante. Gottlieb n’avait guère fourni au départ un libretto original. Il avait simplement retravaillé un texte plutôt médiocre d’un certain Bretzner, juste mis en scène à Berlin en mai 1781, sur une musique de Johann André. L’œuvrette en question était conforme aux goûts du temps, une turquerie de plus à l’exotisme de convention. Le synopsis ? Belmonte, l’excellent Mauro Peter qui l’a chanté au Capitole en janvier, est parti à la recherche de sa fiancée, Constance, capturée par des pirates barbaresques, avec sa servante, Blondine, c’est l’étourdissante Sabine Devielhe, et Pedrillo, le serviteur de Belmonte et fiancé de Blondine, chanté par Maximilian Schmitt. Tout ce petit monde a été racheté par le pacha Selim, rôle parlé tenu par Cornelius Obonya. Ce type de canevas est alors passablement exploité : la libération d’européens détenus dans les geôles d’un souverain oriental. Pour corser un peu celui-ci, Selim garde Constance pour lui et donne Blondine à l’épouvantable Osmin, le vieil eunuque, gardien du sérail, rôle tenu par Tobias Kehrer. Après bien des péripéties, ces trois personnages et Belmonte qui est parvenu à les retrouver, sont condamnés à mort par Selim. Mais, au dernier moment, Selim reconnaît en Belmonte le fils qui lui avait été pris pour être élevé dans un monastère. Rien ne s’oppose donc plus à une fin heureuse.
Cette fin miraculeuse, un peu “titrée par les cheveux“, ne convenait ni à Mozart, ni à Gottlieb, et la conclusion de cette comédie insignifiante fut remplacée par une fin dramatique, aux accents tragiques. Mozart ne veut pas être l’auteur d’une nouvelle bouffonnerie mais bien davantage d’une œuvre dans laquelle s’effectue la synthèse du tragique et du comique, deux préoccupations chères au compositeur. Mieux encore, une synthèse entre l’opéra italien et le lied, une symbiose parfaite entre le comique et le tragique. C’est bien là, qu’après douze ouvrages dramatiques, Mozart tient ici, pour la première fois, un livret qu’il va pouvoir façonné entièrement à sa guise, et à son goût. Sa participation à l’établissement du texte ainsi que la traduction musicale du détail montrent sans équivoque qu’ici, le Mozart dramaturge se manifeste pour la première fois comme l’égal, ou presque, du compositeur. Ses modifications sont fondamentales. A partir de là, musique et drame seront pour lui une véritable entité, et il se sentira également responsable de l’un comme de l’autre.
Donc, Selim, incapable de gagner l’amour de Constance, prétend s’imposer ou faire périr la jeune fille dans les supplices les plus atroces, supplices que le Pacha destine également à Belmonte, fils, ni plus ni moins, du commandant chrétien qui l’avait autrefois persécuté avec une haine aussi injuste qu’acharnée. L’occasion est trop belle, et il ne peut la laisser passer. Coup de tonnerre, ou plutôt de théâtre, Selim libère tout le monde, devenu très admiratif du courage d’une Constance intraitable, prête au sacrifice. Ainsi, ne veut-il pas ressembler à celui qui l’avait jadis martyrisé. Une vengeance des plus nobles pas dénuée de sous-entendus, et qui s’adressait, mine de rien au despote éclairé, ce cher Joseph II. Une fin qui ne pouvait d’ailleurs qu’exaspérer davantage un Osmin enragé, dont la fureur ne fait que décupler avec ses traductions par des phrases musicales peu communes alors.
Comme dans toutes les modifications apportées au libretto originel, Mozart s’est effectivement efforcé d’imprimer à ses personnages, les sentiments et les comportements les plus appropriés. Il réécrit un opéra aux caractères véridiques et non une comédie musicale dans l’esprit du temps. N’oublions pas que nous sommes en 1782, et que les Beethoven, Weber, et Bellini, Rossini, Donizetti, Wagner, Verdi……sont à venir.
Si ses personnages peuvent se livrer aux jubilations les plus expansives, ils traversent parfois les crises humaines et morales les plus poignantes et les plus bouleversantes. Cette faculté d’ébaucher ainsi musicalement les personnages et les caractères place Mozart au rang des véritables dramaturges musicaux. Son sens incomparable et inné du théâtre fait mouche. Il ne fut pas obligatoirement compris par ses contemporains, Joseph II en tête, lui qui aurait glissé dans l’oreille du compositeur, la remarque fameuse : « Trop de notes, mon cher Mozart », ce à quoi Mozart lui aurait rétorqué : « Sire, pas une de trop. » En revanche, Johann Wolfgang von Goethe avait compris la grandeur et l’importance de ce premier opéra allemand : « Tous les efforts que nous faisions pour parvenir à exprimer le fond même des choses devinrent vains au lendemain de l’apparition de Mozart. L’Enlèvement au sérail nous domine tous. » (du 4 avril 1785).
Michel Grialou
L’Enlèvement au sérail (Mozart)
Teatro alla Scala
lundi 19 juin 2017 à 20h00
Diffusé en direct dans votre cinéma Mega CGR Blagnac