C’était le concert de tous les défis : réunir 300 exécutants et « sonner » baroque, donner la parole à des chœurs amateurs et satisfaire l’auditoire exigeant d’une grande salle toulousaine. Faire du Bach à grand spectacle en préservant l’intimité de la Passion de saint Jean.
Voici une occasion de se féliciter de l’acoustique claire et sèche de la salle : jamais le nombre n’aura nuit à l’intelligibilité de la ligne contrapuntique. Il faut dire que tous sont tenus d’une main de maître : Jean-Marc Andrieu fend l’air d’un geste puissant et précis quand il emmène les plus grands ensembles, se fait simple et attentif dans les arias, et laisse leur juste liberté aux récitatifs. Pas une fois, alors qu’il dirige sans partition, il n’aura été dépassé par le nombre, ou trahi par une note qui traîne ou qui s’avance un peu trop tôt.
La spatialisation des ensembles est discrète, les éclairages de couleur simples mais présents. Les séances parfois fastidieuses de « assis-debout » à 300 se passent plutôt bien. On assiste même à un « assis-assis » pour l’aria de basse Mein teurer Heiland, où les chœurs se font doux, caressants, pour nous faire admettre l’impensable, ce « oui » du Christ en croix. A l’opposé, certains moments vibrent d’une tension magnifique, comme dans le Jesu von Nazareth où tous les chœurs claquent avec netteté cette affirmation aux oreilles de Pilate. Oui, c’est bien Lui ! Les articulations, les consonnes, les terminaisons, on sent que rien n’a été laissé au hasard.
Au milieu de ces chœurs deux personnages ont retenu l’attention de toute la salle. Un soprano et un alto, qui n’ont pas vingt ans à eux deux, n’ont pas quitté le chef des yeux de toute la soirée. Une Passion sue par cœur de bout en bout, une gestuelle décomplexée, leurs corps vivant chaque note de haut en bas, dansant parfois, la bouche grande ouverte pour un chant total, bref la palme d’or de la musique incarnée.
Il y avait aussi des solistes, au premier rang d’entre eux le récitant bien sûr, quel bonheur… Et quel culot aussi, de confier ce rôle écrasant et les arias de ténor au même chanteur ! Las, il n’a pas démérité. Tout le temps en train de varier son intonation, parfois très rapide, toujours avec une articulation ciselée, parfois pesant ses mots (ce qui est écrit au-dessus de la croix). Prodigieux quand il nous a fait sentir la tristesse de Pierre après qu’il eut entendu le coq. Ce Ach, mein Sinn…
L’orchestre était irréprochable, la basse continue un soutien parfait. Elle aura brillamment réussi son morceau de bravoure : le rideau du temple est incontestablement tombé, déchiré du haut jusqu’en bas par un violoncelle magistral. Au chapitre des singularités, la viole de gambe en pizzicati pour nous faire mieux sentir chaque épine qui s’enfonce sur la tête du Christ.
On a tellement aimé qu’on en redemande : pendant la semaine sainte, du 10 au 14 avril, les cinq séquences de la Passion seront présentées et analysées par un musicien et par un prêtre sur radio Présence. A suivre !
Passion selon saint Jean de Jean-Sébastien Bach, Halle aux Grains de Toulouse, Orchestre baroque Les Passions, divers chœurs, direction Jean-Marc Andrieu, dimanche 26 février 2017