Réflexions futiles, choses vues et souvenirs inspirés par la ville et ceux que l’on y croise.
L’autre jour, j’ai revu B. que je n’avais pas croisé depuis de longs mois, peut-être un an. Sans doute était-ce au restaurant Chez Navarre de Jérôme Navarre, qui a vendu son établissement, lequel a cependant conservé son nom originel, que nous nous étions vus pour la dernière fois. B. y dînait avec des amis ou des collègues et nous avions échangé quelques mots dans le joyeux brouhaha du restaurant dont les tables d’hôtes sont propices aux verres de contact. Je serais bien en peine de définir précisément la nature des liens entretenus avec B. Nous ne pourrions parler d’amitié, mais nous sommes au-delà de la simple « connaissance ». Notre première rencontre eût lieu voici environ dix ans. Attendant tous deux place Jeanne d’Arc une navette en direction de l’aéroport qui ne venait pas, nous partageâmes un taxi. Dans l’avion pour Paris, la conversation continua. Je ne me souviens plus si à Orly nous prîmes encore le même taxi, mais nous nous revîmes à Toulouse, pas vraiment par hasard car la proximité de son domicile avec mon bureau favorisait les retrouvailles impromptues.
Ainsi, autour de cafés, nous poursuivîmes de loin en loin des échanges avec la liberté qu’autorise l’absence de contingences sociales ou professionnelles entre nous. Quand nous nous croisions, si notre emploi du temps respectif le permettait, ce qui était en général le cas, nous prenions un verre en reprenant la conversation comme si elle s’était achevée la veille sur la littérature, le cinéma, la musique, l’évolution de notre ville, la politique et les métamorphoses en cours. À une époque, B. avait pris une année de congé et avait beaucoup voyagé, séjournant longuement en Afrique, où il travailla pour une ONG, et au Brésil. Il tenait alors un blog permettant à ses amis ou relations de suivre sa trace. J’avais été frappé par la qualité d’écriture et de sensibilité de cette sorte de journal au long cours. Il y avait dans ses mots et ses photographies une énergie, une acuité, mêlées à de discrètes blessures, à une inquiétude sourde.
L’autre jour donc, nous sommes tombés l’un sur l’autre, autour de dix heures du matin, dans une pâtisserie de la rue du Languedoc. La surprise passée, nous avons opté pour un café sur la terrasse voisine, appréciée notamment pour ses nectars, où le serveur nous intima de ne pas croquer dans nos viennoiseries respectives – l’établissement vendant ses propres aliments, il était formellement déconseillé de s’attabler en consommant des denrées étrangères à l’endroit. Nous restâmes malgré l’accueil coercitif – hélas typique d’une certaine idée du service « à la française » – et enchaînâmes sur un second café. Comme d’habitude, nous fîmes « le point », un point désordonné et vagabond où s’invitèrent notre hypocondrie respective, les derniers films de Richard Linklater et de Gus van Sant, la mort de Prince, le Portugal, les vins de Bordeaux et de Bourgogne, les récents et futurs aménagements architecturaux de la ville…
Le lecteur nous pardonnera la banalité de ces anecdotes, mais ce genre de rencontres et de retrouvailles s’étirant sur plusieurs années m’est particulièrement précieuse. J’y vois la preuve que Toulouse, ou du moins le cœur de la ville, est un village où l’on peut renouer, chaque jour ou presque, avec des êtres qui ne sont pas des amis ni des proches, mais avec lesquels les communications ne sont jamais vraiment rompues et ne demandent, à la faveur du destin, qu’à se rallumer sans avoir recours aux réseaux sociaux et autres artefacts. Ce n’est pas rien.
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