Directeur musical de l’Orchestre national du Capitole depuis 2008, Tugan Sokhiev a auparavant été pendant trois ans premier chef invité et conseiller musical de la phalange toulousaine. Son contrat de directeur musical a récemment été renouvelé jusqu’en août 2019. Il est également directeur musical du Deutsches Symphonie-Orchester de Berlin depuis septembre 2012 ; son contrat s’achèvera en 2016. Il a également été nommé directeur musical et chef principal du Théâtre du Bolchoï à Moscou, fonction qu’il exerce depuis janvier 2014.
Tugan Sokhiev est invité à diriger les plus grands orchestres de la planète. Ainsi en 2013/2014, il a débuté à la tête du Philadelphia Orchestra, et en 2014/2015, à celle du London Symphony Orchestra. Il retourne en 2015/2016 aux pupitres des orchestres philharmoniques de Berlin, Vienne (Festival Mozart de Salzbourg), des orchestres symphoniques de la Radio finlandaise, de la NHK, et du Philharmonia Orchestra (qu’il dirige chaque saison).
Elu « Révélation musicale de l’année » par le Syndicat de la critique Théâtre, Musique et Danse en 2005, il a été nommé « Personnalité musicale » dans la catégorie instrumentale en 2014. Les insignes de Chevalier dans l’Ordre National du Mérite lui ont été attribués en octobre 2013.
Alors que l’on célèbre le dixième anniversaire de sa présence à la tête de l’Orchestre national du Capitole, Tugan Sokhiev a accepté d’établir une sorte de bilan de ces années où cours desquelles il a joué et continue de jouer un rôle primordial dans la vie musicale de la Ville rose.
Tugan Sokhiev en répétition – Photo Marc Brenner –
Classic Toulouse : Voici dix ans que vous dirigez l’Orchestre national du Capitole et que vous en êtes le responsable musical. Vous souvenez-vous de votre premier contact à la tête de cet orchestre ?
Tugan Sokhiev : Ce fut en octobre 2003. C’était la première fois que je venais à Toulouse, et cela a été une grande et magnifique expérience. Le contact émotionnel s’est immédiatement établi avec l’orchestre. La magie avec ces musiciens vient de leur ouverture d’esprit et de leur sincérité vis-à-vis de la musique. Cette phalange possède tout ce que recherche un chef d’orchestre ; on ne peut imaginer meilleur groupe de musiciens. Ils sont prêts à faire de la musique en cherchant de nouvelles idées pour obtenir ces moments d’excitation qui se produisent pendant les concerts.
ClassicToulouse : De quelle manière considérez-vous que l’orchestre a évolué pendant ces dix années de votre présence à sa tête ?
T. S. : Avant tout nous nous sommes attachés à étendre le répertoire. Initialement l’orchestre était célèbre pour l’interprétation de la musique française. C’est resté très important et c’est ce qui a fait cet orchestre. Nous jouons maintenant davantage de musiques du XXème siècle, Stravinski, Prokofiev… mais aussi un répertoire plus ancien, incluant la période classique qui était un territoire peu pratiqué par l’orchestre. Le répertoire a changé, le son a changé, la mobilité également, ainsi que la réactivité. Ce que nous n’avons pas perdu c’est ce sentiment de fraîcheur. La routine n’a pas de prise sur cet orchestre. La succession de projets artistiques, l’ambition d’aller toujours de l’avant, de relever des défis font que chaque année nous progressons.
ClassicToulouse : Considérez-vous que l’augmentation des effectifs de l’orchestre, au cours de cette période, a modifié son mode de fonctionnement ?
T. S. : Oh oui absolument ! Nous pouvons ainsi élargir encore notre répertoire et aborder davantage de compositeurs comme Mahler, Bruckner… Et puis nous avons la possibilité de développer de nouveaux projets, notamment éducatifs, en direction des enfants. Ainsi, pendant qu’une partie de l’orchestre joue à la Halle aux Grains ou au Théâtre du Capitole, une autre section peut se consacrer à ce type d’activité. Les 125 musiciens de l’orchestre nous permettent ainsi de satisfaire les demandes ambitieuses de la Mairie pour ce type d’actions.
ClassicToulouse : Comment parvenez-vous à organiser vos activités à la tête de l’Orchestre du Capitole et vos autres responsabilités : celles de la direction musicale du Deutsches Symphonie-Orchester Berlin (qui s’achève d’ailleurs en 2016) et du Théâtre du Bolchoï.
T. S. : C’est une question de planification astucieuse ! Lorsque j’arrive à Toulouse je me dédie entièrement aux projets locaux. La pratique d’un planning anticipé aide à combiner toutes ces activités. Bien sûr je dois passer un peu plus de temps au Bolchoï car la mise en place des projets est plus compliquée. Il faut préparer les choses très à l’avance. Avec le Deutsches Symphonie-Orchester cela va s’arrêter. Je passe beaucoup de temps à Toulouse pour préparer en particulier les nombreuses tournées de l’orchestre à l’extérieur.
En concert avec l’Orchestre national du Capitole – Photo Marc Brenner –
ClassicToulouse : Cette activité de tournées internationales se développe beaucoup. Quelle est son importance pour vous ?
T. S. : C’est effectivement très important. C’est une chose de jouer ici à Toulouse devant ce public fantastique qui nous aime et nous suit. Mais nous devons partager notre activité musicale avec les publics extérieurs, pour leur dire : « Regardez et écoutez ce merveilleux orchestre, ce formidable héritage toulousain ». Nous apprenons beaucoup également au cours de ces voyages, passant du statut de formation de province à celui d’orchestre international. Cela change notre perception, notre vision, notre mentalité en tant qu’orchestre.
ClassicToulouse : Qu’en est-il du développement de la diffusion des activités de l’orchestre au travers des divers medias : radio, télévision, Internet…
T. S. : Heureusement ou malheureusement, je ne sais pas, nous vivons une ère de croissance de la technologie. C’est un fait, nous ne pouvons que le constater. L’orchestre doit donc suivre cette évolution. Nous travaillons donc beaucoup dans le domaine audiovisuel : environ douze concerts par saison sont ainsi diffusés à la télévision. Radio-Classique, Radio-France, Medici.tv, Mezzo.tv diffusent nos concerts. L’image de l’orchestre aujourd’hui se répand beaucoup grâce à cela.
ClassicToulouse : Quelle importance attribuez-vous aux actions musicales en direction des nouveaux publics, et en particulier des jeunes ?
T. S. : Les projets éducatifs pour les jeunes font partie de notre responsabilité de musiciens et de chef d’orchestre. Malheureusement, l’éducation dans ce domaine n’est plus ce qu’elle était voici trente ou quarante ans. Nous devons donc éduquer nos enfants, nos jeunes générations, pour les sensibiliser à l’écoute de la musique classique : comment l’écouter, comme la « digérer », comment y réfléchir. Il est important que l’on passe du temps à les « nourrir », afin qu’ils deviennent le public de demain. Aujourd’hui il y a tellement d’informations, de musiques différentes. La musique classique demande un peu de travail de notre cerveau, de notre âme, alors que certaines musiques paraissent plus faciles. Et les jeunes générations ont tendance à aller vers le plus facile, à prendre des raccourcis. Pour les attirer, nous devons faire le maximum.
ClassicToulouse : Quelle est votre vision de l’avenir pour l’Orchestre et pour vous-même ?
T. S. : Un grand tournant sera pris par l’Orchestre lorsqu’il pourra bénéficier d’un nouvel auditorium. Cela représenterait un nouveau chapitre dans la vie de l’Orchestre. Tout ce que nous pouvions faire avec la Halle aux Grains a été fait. Nous éprouvons davantage de plaisir acoustique lorsque nous jouons à l’extérieur de Toulouse. Bien sûr nous adorons jouer à Toulouse, mais sur le seul plan sonore, nous prenons plus de plaisir lorsque nous jouons dans un véritable auditorium possédant une véritable acoustique. Il est temps pour Toulouse de montrer à son public, à ses citoyens ce qui peut être réalisé dans une grande acoustique.
Pour ce qui me concerne, mon grand défi est la direction musicale du Bolchoï. C’est une énorme maison d’opéra, l’une des plus importantes du monde avec un héritage important. Nous avons de grandes réalisations à mener. Cela prendra du temps. C’est un peu comme à Toulouse. Il a fallu une dizaine d’années pour parvenir où nous en sommes. J’espère que nous pourrons ici développer de nouvelles idées pour cette maison.
Propos recueillis le 10 octobre 2015 par Serge Chauzy
Une chronique de ClassicToulouse
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