Confirmé pour trois années supplémentaires à la tête de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse, Tugan Sokhiev dirige à la Halle aux Grains un programme dédié à Maurice Ravel, avec le pianiste Jean-Frédéric Neuburger.
Entre deux répétitions des « Fiançailles au couvent » de Serge Prokofiev, qu’il s’apprête à diriger dans la fosse du Théâtre du Capitole, Tugan Sokhiev (photo) a signé le renouvellement de son contrat de directeur musical de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse. «Il y a dix ans quasiment jour pour jour, j’avais eu le plaisir d’accueillir à Toulouse Tugan Sokhiev pour succéder à Michel Plasson [ndr : en tant que Premier chef invité et conseiller musical de l’ONCT]. C’est donc tout naturellement que je lui ai proposé de poursuivre ce travail pour trois années, à dater du 1er janvier 2016», a déclaré Jean-Luc Moudenc (photo), maire de Toulouse, aux journalistes réunis à l’Hôtel de Ville, le 12 mai, pour assister à la signature. Ce dernier a confirmé le lancement d’une étude «cofinancée à parité par l’État et la Ville, destinée à cerner les dimensions et l’enveloppe budgétaire» d’un auditorium, lieu de résidence de la phalange toulousaine qui prendrait place sur le site de l’ancienne prison Saint-Michel.
Pour son avant-dernier concert de la saison à la tête de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse, Tugan Sokhiev dirigera à la Halle à Grains des œuvres de Maurice Ravel. Le compositeur est, avec son aîné Claude Debussy, un brillant représentant du courant impressionniste au début du XXe siècle, et une figure influente de la musique française de son époque. Après le terrible cataclysme de la Première Guerre mondiale, Maurice Ravel signe « la Valse », poème chorégraphique pour orchestre et «tourbillon fantastique et fatal», selon ses propres termes. Le XIXe siècle triomphant des Strauss et de Mahler y est balayé par le musicien qui met en scène le crépuscule d’une civilisation, du déclin jusqu’à l’explosion. Pourtant commanditaire, Serge Diaghilev refusa cette musique pour les Ballets Russes de Paris : «C’est un chef-d’œuvre, mais ce n’est pas un ballet. C’est la peinture d’un ballet», lança-t-il. Diriger cette œuvre, aussi brève que complexe, est un exercice de haute voltige que Tugan Sokhiev pratiquera pour la première fois à la Halle aux Grains.
On entendra également la « Rapsodie espagnole », œuvre témoignant de l’omniprésence de l’inspiration espagnole dans l’œuvre du compositeur. L’écriture débute en 1895, par une courte Habanera pour deux pianos à l’harmonie disloquée: il est alors le premier musicien à s’approprier les couleurs de l’Espagne. Ce n’est que douze ans plus tard – la même année que « l’Heure espagnole » pour piano et voix – qu’il signe trois nouvelles pièces pour deux pianos. Arrangées ensuite pour orchestre et assemblées à la première pièce, elles forment la « Rapsodie espagnole » : « Prélude à la nuit », « Malaguena », Habanera », « Feria ». Clichés et pastiches y sont sublimés par une écriture orchestrale étincelante.
Né en 1986 et familier de l’œuvre de Ravel, Jean-Frédéric Neuburger interprètera le fameux « Concerto pour la main gauche » dont l’origine est une commande passé à plusieurs compositeurs européens par le pianiste autrichien Paul Wittgenstein. Amputé du bras droit au cours de la Première Guerre mondiale, il entendait ainsi transcender ce trauma en s’appropriant des œuvres jouables uniquement d’une main. Le défi artistique et l’arrière-plan politique attisent l’intérêt de Maurice Ravel, défenseur d’un nationalisme sans xénophobie et tout aussi marqué par les tranchées. En 1930, il livre une œuvre noire et torturée.
On entendra enfin « Métaboles » d’Henri Dutilleux, splendide représentant de l’héritage ravélien. Œuvre majeure du compositeur, elle est constituée de cinq parties qui «s’enchaînent sans interruption et ne peuvent en aucun cas donner lieu à des exécutions fragmentaires», comme indiqué sur la partition. Les parties s’adressent à chaque famille de l’orchestre : les bois pour « Incantatoire », les cordes pour « Linéaire » et « Obsessionnel », la percussion et les cuivres pour « Obsessionnel » et Torpide », et l’ensemble pour « Flamboyant ». Henri Dutilleux précisait à propos de cette page : «Comme dans la nature – le monde des insectes par exemple – un élément subit une succession de transformations. À un certain stade d’évolution, la métamorphose est si accusée qu’elle conduit à un véritable changement de nature». Commandée à l’occasion du quarantième anniversaire du Cleveland Orchestra, l’œuvre est dédiée à George Szell qui était à la tête de cette phalange prestigieuse lors de sa première exécution à Cleveland, en 1965.
Jérôme Gac
ONCT, samedi 23 mai, 20h00, à la Halle aux Grains, place Dupuy, Toulouse. Tél. 05 61 63 13 13.
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photo: T. Sokhiev et J.-L. Moudenc (au centre) © Patrice Nin