Toulouse. Théâtre du Capitole, le 21 novembre 2014. Benjamin Britten (1913-1976) :
Owen Wingrave, Opéra en deux actes sur un livret de Myfanwy Piper d’après la nouvelle de Henry James créé le 16 mai 1971 à la télévision, BBC 2, création scénique le 10 mai 1973 au Royal Opera House, Covent Garden, Londres. Walter Sutcliffe, mise en scène ; Kaspar Glarner, décors et costumes ; Wolfgang Goebbel, lumières. Avec : Dawid Kimberg, Owen Wingrave ; Steven Page, Spencer Coyle ; Steven Ebel, Lechmere ; Elisabeth Meister, Miss Wingrave ; Janis Kelly, Mrs Coyle ; Elizabeth Cragg, Mrs Julian ; Kai Rüütel, Kate Julian ; Richard Berkeley-Steele, Général Sir Philip Wingrave ; Thomas Randle, Le Narrateur / Le Chanteur de ballades. Production Opéra de Francfort (2010).
Et
Le Tour d’écrou, Opéra en deux actes et un prologue sur un livret de Myfanwy Piper d’après la nouvelle de Henry James créé le 14 septembre 1954 au Teatro la Fenice, Venise ; Nouvelle production ; Walter Sutcliffe, mise en scène ; Kaspar Glarner, décors et costumes; Wolfgang Goebbel, lumières. Avec: Jonathan Boyd, Le Narrateur / Peter Quint ; Anita Watson, La Gouvernante ; Francis Bamford / Matthew Price, Miles ; Lydia Stables / Eleanor Maloney, Flora ; Anne-Marie Owens, Mrs Grose ; Janis Kelly, Miss Jessel.
Maîtrise du Capitole, Alfonso Caiani direction ; Orchestre national du Capitole ; Direction musicale, David Syrus.
Un choc salutaire.
Quelle intelligence de proposer à Walter Sutcliffe une telle gageure ! Frédéric Chambert a en effet osé demander au metteur en scène britannique d‘utiliser le même décor pour deux opéras de Britten créant ainsi une perspective vertigineuse sur la maltraitance infantile dans les familles.
Nous garderons en effet de cette aventure un enrichissement inattendu des œuvres de Britten. Si chaque opéra seul, de part sa puissance théâtrale, vaut habituellement une soirée d‘opéra, ce qui sera réalisé plus tard à Toulouse qui propose chaque opéra séparément, nous pouvons écrire que la puissance de ces deux œuvres en leur suite, donne a penser comme rarement à l’opéra. La mise en scène de Walter Sutcliffe est digne du théâtre et chaque acteur-chanteur fait bien plus que d’habitude à l’opéra. Physiques parfaitement liés aux rôles, voix belles et diction parfaite permettent au spectateur de suivre avidement deux actions théâtrales fulgurantes, grâce a des artistes très engagés. Owen Wingrave défends avec audace un pacifisme pensé, argumenté et courageux dans une famille ou plus personne ne pense depuis longtemps, chacun répétant sans en rien comprendre, tels des perroquets décérébrés, une ode à la mort des mâles et agissant en serviteurs zélés de Thanatos. Le pauvre Owen, de retour dans sa famille après sa formation, abasourdi par tant de bêtise et de méchanceté entremêlées perdra la vie, volontairement ou tué par un membre de la famille, la question reste ouverte… Chacun dans cette pièce oppressante joue et chante a merveille, Dawid Kimberg avec une voix lumineuse en Owen, une dignité et une noblesse perceptible saura toucher le cœur dans son monologue pacifiste. Voilà des mots puissants à se répéter sans cesse :
La paix n‘est pas oisive mais vigilante. La paix n’est pas consentement mais quête. La paix n’est pas muette, elle est la voix de l‘amour.
Toutefois face à tant de vide de pensée et tant de haines rien de cette intelligence et de cette force d’ âme n’a pu tenir…
Le décor est réduit en hauteur afin de permettre aux acteurs de gagner en présence pour le spectateur. Le jeu est habile et naturel. Vocalement chaque voix est parfaitement choisie et l‘équilibre général est remarquable.
Le manoir de Paramore est sinistre à souhait. Les éclairages de Wolfgang Goebbel accentuent le malaise et rendent perceptible l’oppression d’ Owen.
L‘orchestre est magnifique, les choeurs surnaturels glacent le sang. Et la ballade macabre de la famille Wingrave est chantée de manière inoubliable par Thomas Randle.
Les costumes parfaitement assortis aux décors dans des tons subtilement associés sont du meilleur gout. Kaspar Glarner a fait un travail d’orfèvre.
Retrouver des éléments de décors détournés avec esprit dans le Tour d’écrou accentue le malaise face à l‘enfance maltraitée. La bas les ancêtre en portait avaient menés Orwen à la mort autant que les vivants. Ici, La présence du tuteur si coupablement absent de la vie des enfants, en des portraits géants prend un sens nouveau. C’est par son abandon que les enfants ont été manipulés par des pervers, devenus fantômes présents pour jamais dans l‘âme, l’esprit et le corps des enfants. La pédophilie ne pouvant jamais être exclue, on devine que les mauvaises rencontres les ont détruit. Les deux rôles d‘enfants chantés ont été remarquables et la puissance des voix parfaitement équilibrés avec celle des adultes. Plus lyrique que Owen Wingrave le Tour d‘écrou offre un rôle émouvant à la gouvernante. Anita Watson est un beau soprano lyrique qui joue ce personnage sensible et bon avec force et émotion. Le Quint de Jonathan Boyd est aussi séduisant vocalement que le jeu de son personnage est répugnant par sa lascivité, créant une tension entre la vue et l’ouïe qui déstabilise. Du grand art !
Avec concentration et une main de fer David Syrus obtient de l’orchestre du capitole une tension dramatique quasi insoutenable, dans une splendeur sonore de chaque instant. Bravo à tous les musiciens de l’orchestre !
La mise en scène de Walter Sutcliffe trouve tout au long de la soirée une théâtralité naturelle, comme la musique coule et le texte se déploie, en un spectacle total.
Cette association généreuse offre un spectacle de près de quatre heures dont le spectateur ressort plus lucide, loin du conformisme ambiant. Un moment trop rare dans une salle d‘opéra. Merci à Frédéric Chambert qui signe ici une de ses plus audacieuses productions au Capitole.
Hubert Stoecklin
Chronique rédigée pour Classiquenews.com