Il est bien de retour, à la Halle, le mardi 16 décembre, grâce une fois de plus au cycle Grands Interprètes. L’apparition aura bien lieu à 20h. Les opérations sont menées par le chef des troupes, Nathalie Stutzmann, entraînant dans son sillage, son nouveau bataillon, j’ai nommé Orfeo 55 complété par le Chœur de Chambre de Namur et son quarteron chantant, la soprano Susan Gritton, la contralto Susan Mingardo, le ténor Benjamin Bernheim et le baryton-basse Andrew Foster-Williams. L’avancement des troupes est confié à un certain Georg Friedrich Haendel. Durée des opérations : 150 minutes.
Une seule pause dans la progression, qui aura lieu après la Première partie désignée sous le nom de code “La Prophétie du Seigneur“. Viendront les Deuxième et Troisième parties dites “Le sacrifice du Christ et sa condamnation“ et “le Christ triomphant“.
PREMIERE PARTIE
“Les Prophéties de l’Arrivée du Christ, de l’Annonciation et de la Nativité”
n°1 – Symphony, Ouverture – allegro moderato
n°2 – Récitatif, accompagné (ténor) : “Confort ye, my people, saith your God” (Isa.e 40, 1-3)
n°3 – Air (ténor) : “Every valley shall be exalted” (Isa.e 40, 4)
n°4 – Choeur : “And the glory of the Lord shall be revealed” (Isa.e 40, 5)
n°5 – Récitatif, accompagné (baryton-basse) : “Thus saith the Lord of Hosts” : (Agge 2, 6-7 ; Malachie 3, 1)
n°6 – Air (alto) : “But who may abide the day of His coming ?” (Malachie 3, 2)
n°7 – Choeur : “And he shall purify the sons of Levi” (Malachie 3, 3)
Récitatif (alto) : “Behold, a virgin shall conceive” (Isa.e 7, 14 ; Matthieu 1, 23)
n°8 – Air (alto) : “O thou that tellest good tidings to Zion” (Isa.e 40, 9 ; 60, 1)
Choeur : même incipit
n°9 – Récitatif accompagné (baryton-basse) : “For behold, darkness shall cover the earth” (Isa.e 60, 2-3)
n°10 – Air (baryton-basse) : “the people that walked in darkness” (Isa.e 9, 2)
n°11 – Choeur : “For unto us a child is born” (Isa.e 9, 5)
n°12 – Intermède : Pastoral Symphony ou Pifa
n°13 – Récitatif : (soprano) “there where shepherds abiding in the field“ (Luc 2, 8)
puis accompagné “And lo, the angel of the Lord came upon them” (Luc 2, 9)
Récitatif : “And the angel said unto them”
n°14 – Accompagné (soprano) “And suddenly there was with the angel“ (Luc 2, 10-11, 13)
n°15 – Choeur : “Glory to God in the highest” (Luc 2, 14)
n°16 – Air (soprano) : “Rejoice greatly, O daughter of Zion“ ( Zacharie 9, 9-10)
n°17 – Récitatif (alto) : “Then shall the eyes of the blind be opened“ (Isa.e 35, 5-6)
Air (soprano, alto) : “He shall feed His flock like a shepherd,” (Isa.e 40, 11 ; Mathieu 11, 28-29)
n°18 – Choeur : “His yoke is easy, and His burthen is light” (Mathieu 11, 30)
durée ~ 60 mn
ENTRACTE ~ 15 mn
DEUXIEME PARTIE
“Le sacrifice du Christ et sa condamnation”
n°19 – Choeur “Behold the Lamb of God” (Jean 1, 29)
n°20 – Air (alto) : “He was despised and” (Isa.e 53, 3 ; 50, 6)
n°21 – Choeur : “Surely, he hath borne our griefs” ( Isa.e 53, 4-5)
n°22 – Choeur : “And with His stripes we are healed“
n°23 – Choeur : “And we like sheep have gone astray“ (Isa.e 53, 6)
n°24 – Rcitatif accompagné (ténor) : “All they that see Him laugh Him to scorn” (Ps 22, 8)
n°25 – Choeur : “He trusted in God that He would deliver Him” (Ps 22, 6)
n°26 – Récitatif accompagné (ténor) : “Thy rebuke hath broken His heart” (Ps 69, 21)
n°27 – Arioso (ténor) : “Behold, and see if there be any sorrow” (Lamentations 1,12)
n°28 – Récitatif accompagné (ténor) : “He was cut off out of” (Isa.e 53, 8)
n°29 – Air (ténor) : “but thou didst not leave His soul in hell” (Ps 16, 10)
n°30 – Choeur : “Lift up your heads ; O ye gates” (Ps 24, 7-10)
n°33 – Choeur : “The Lord gave the word” (Ps 68, 12)
n°34 – Air (soprano) : “How beautiful are the feet of ” (Rom 10, 15)
n°35 – Choeur : “Their sound is gone out into all lands ” (Romans 10, 18)
n°36 – Air (baryton-basse) : “Why do the nations so furiously rage together ” (Ps 2, 1-2)
n°37 – Choeur : “Let us break their bounds asunder ” (Ps 2, 3)
Récitatif (ténor) : “He that dwelleth in heaven ” (Ps 2, 4)
n°38 – Air (ténor) : “Thou shalt break them with a rod of iron ” (Ps 2, 9)
n°39 – Hallelujah ! (Apocalypse. 19 : 6 ; 11 : 5 ; 19 : 16)
durée 40 mn
TROISIEME PARTIE
“Le Christ triomphant”
n°40 – Air (soprano) : “I know that my Redeemer liveth ” (Job 19, 25-26 ; I Cor. 15, 20)
n°41 – Choeur : “Since by man came death ” ( I Corinthiens. 15, 21-22)
n°42 – Récitatif accompagné (basse) : “Behold, I tell you a mystery ” (I Cor. 15, 51-53)
n°43 – Air (baryton-basse) : “the trumpet shall sound “ (I Cor, 15, 52-53)
Récitatif (alto) : “Then shall be brought to pass ”
n°44 – Duo (ténor, alto) : ”O death, where is thy sting ” (I Cor. 15, 55-56)
Récitatif (alto) : “Then shall be brought to pass ”
Duo (ténor, alto) – Dublin version – : ”O death, where is thy sting ” (I Cor. 15, 55-56)
n°45 – Choeur : “But thanks be to God ” (I Cor. 15, 57)
n°46 – Air (soprano) : “If God is for us ” (Romains, 31-34)
n°47 – Choeur : “Worthy is the Lamb that was slain ” (Apoc. 5, 9, 12-14)
n°48 – Choeur : Amen
durée 40 mn environ
Quelques mots sur les intervenants, puis sur l’œuvre et son compositeur
Nathalie Stutzmann est considérée comme une des personnalités musicales les plus marquantes de notre époque et comme une des rares authentiques voix de contralto. Elle travaille régulièrement avec les plus grands chefs, et se produit avec les orchestres les plus prestigieux comme le Philharmonique de Berlin, le Philharmonique de Vienne, l’Orchestre de Paris, le London Symphony Orchestra…
Exemple même de la musicienne complète, dès son plus jeune âge Nathalie Stutzmann aura fait des études approfondies de piano, basson, musique de chambre et direction d’orchestre.
Parallèlement à son intense activité en tant que cantatrice, elle consacre désormais une grande partie de sa saison à ses activités en tant que Chef d’Orchestre. Dès ses débuts en 2009, deux maîtres d’exception l’ont prise sous leurs ailes pour la soutenir dans ses projets et travailler le répertoire symphonique : Simon Rattle qui l’introduit auprès de son mentor, Jorma Panula, légende de l’enseignement, et le merveilleux complice de toujours, Seiji Ozawa.
En 2009, elle fonde son propre orchestre de chambre, Orfeo 55, ensemble jouant aussi bien sur instruments baroques que modernes, ce qui lui permet de s’aventurer en toute liberté dans les répertoires les plus divers. Son expérience de musicienne romantique et sa connaissance des styles anciens lui permettent d’aborder aussi bien Vivaldi et Mozart que Beethoven, Wagner ou Brahms. Son approche à la fois libre et rigoureuse, sa science du phrasé et l’intensité émotionnelle de ses interprétations, sa maîtrise exceptionnelle au service de la passion qu’elle communique sont autant d’éléments qui la font apprécier du public et des orchestres qu’elle dirige.
Susan Gritton – soprano
Lauréate du prestigieux Kathleen Ferrier Award en 1994, Susan Gritton est l’une des sopranos les plus en vue de sa génération, dans un répertoire qui s’étend de Haendel et Mozart à Berg, Britten et Strauss. Parmi les temps forts de ces dernières saisons, citons le War Requiem de Britten, la Symphonie n°9 de Beethoven avec l’Orchestre Symphonique de Melbourne, des récitals au Festival d’Oxford, Eugène Onéguine, Peter Grimes et Falstaff pour sa première Alice.
Sara Mingardo
Originaire de Venise, lauréate de nombreux concours internationaux, Sara Mingardo est l’une des grandes voix d’alto de sa génération. Elle se produit sur toutes les grandes scènes internationales aux côtés de chefs prestigieux, dans un répertoire qui va de Monteverdi, Haendel et Vivaldi à Schumann, Berlioz et Respighi, en passant par Rossini, Mozart et Donizetti.
Benjamin Bernheim
Diplômé du Conservatoire de Lausanne, Benjamin Bernheim est membre de la troupe de l’Opéra de Zurich depuis 2010. Il s’y produit entre autres dans Gesualdo, création mondiale de Marc-André Dalbavie, I Masnadieri et Otello de Verdi, Le Nez et Lady Macbeth de Mzensk de Chostakovitch, Salome de Strauss, Les Contes d’Hoffmann, Il Re pastore, La Straniera de Bellini
Andrew Foster-Williams
Diplômé de la Royal Academy of Music, Andrew Foster-Williams est l’invité de toutes les grandes scènes internationales. Parmi les temps forts de sa carrière, citons Don Giovanni, Tamerlano, Werther, Guillaume Tell, The Rake’s progress, Deidamia, Fidelio, La Bohème, Les Noces de Figaro, La Cenerentola, Pelléas et Mélisande, Les Contes d’Hoffmann, Rodelinda, Alcina,
Orfeo 55
Avec la création de l’ensemble Orfeo 55 en 2009, Nathalie Stutzmann concrétise un rêve de toujours : avoir son propre orchestre de chambre. Parallèlement à une carrière de contralto exceptionnelle, et plus récemment à une carrière en tant que chef d’orchestre invité qui se développe très rapidement, Nathalie Stutzmann synthétise avec ce projet vingt-cinq ans de carrière et toute une vie passée au service de la musique au contact des plus grands musiciens et chefs d’orchestre avec lesquels elle a travaillé régulièrement : d’Herbert von Karajan à Sir Simon Rattle ou Seiji Ozawa, entre autres, mais également les grands noms du baroque comme Sir John Eliot Gardiner, Marc Minkowski etc..
À la tête d’Orfeo 55, elle impose la rigueur musicale, la liberté expressive et l’intensité émotionnelle qui font sa réputation en tant que chanteuse et chef d’orchestre.
Si Vivaldi, Bach, ou Haendel occupent une place centrale dans les programmes de l’orchestre, Nathalie Stutzmann n’entend pas limiter son répertoire à l’ère baroque puisque les musiciens de l’ensemble possèdent la double pratique instruments baroques/instruments modernes, ce qui permet d’affronter les répertoires les plus divers en adaptant les instruments avec la plus grande souplesse possible. A ce titre, a été interprété récemment Les Métamorphoses de Richard Strauss. Tchaïkovski et Schœnberg ont été au programme en 2014.
Ensemble à géométrie variable, Orfeo 55 adapte ses effectifs aux œuvres abordées. Chaque musicien de l’ensemble est recruté individuellement selon ses qualités musicales et techniques, ses critères sonores, sa flexibilité et son intégration dans l’esprit du groupe. Orfeo 55 aime à proposer une vision très personnelle des œuvres pour lesquelles Nathalie Stutzmann éprouve une véritable passion, elle sait la partager dans des interprétations privilégiant la plus grande expressivité, une sensualité des couleurs tant vocales qu’instrumentales, des sonorités rondes et chaleureuses adaptées aux grandes salles modernes telles que L’Arsenal de Metz où Orfeo 55 est en résidence.
Chœur de chambre de Namur
Depuis sa création en 1987, le Chœur de Chambre de Namur s’attache à la défense du patrimoine musical de sa région d’origine, à travers des concerts et enregistrements notamment consacrés à Lassus, Rogier, Hayne, Du Mont, Fiocco, Gossec et Grétry, tout en abordant de grandes œuvres du répertoire choral, à l’instar de l’Oratorio de Haendel, de Messes, Motets et Passions de Bach, des Requiem de Mozart et de Fauré…
Sur l’œuvre et le compositeur
Le Messie, « oratorio sacré »
Le Messie compte bien, à côté des deux Passions de Jean-Sébastien Bach, parmi les illustrations musicales les plus parfaites de l’écriture sainte. Son titre Messie, est un nom hébreu qui signifie « l’oint du seigneur », celui qui conduit au royaume de Dieu. Haendel va réussir dans cette œuvre la synthèse entre le bel canto de l’opéra italien et l’oratorio avec des éléments de la musique d’église de l’Allemagne moyenne et du Nord, ainsi qu’avec l’anthem ou motet anglais.
A l’encontre des grandes œuvres de Bach, qui donnent à l’auditeur plutôt l’impression d’être des grandes cantates surdimensionnées ainsi que des méditations évangéliques empreintes d’un très fort sentiment de repentir et d’humilité, ce Messie ressemble plutôt à un oratorio sans lien liturgique qui fait se dérouler la vie et le calvaire. Le Christ nous y est présenté dans une sorte de continuum temporel fait du passé, du présent et du futur.
“Et sur son manteau et sur sa cuisse il porte ce nom écrit : ROI DES ROIS ET SEIGNEUR DES SEIGNEURS. Alleluia !” Apocalypse XIX, seize traductions du texte biblique dans son originalité.
Après la création de l’œuvre : « Cessez, zélateurs, cessez de condamner ces chants célestes qui permettent aux Séraphins de chanter la louange du Messie. Ne déclarez plus le théâtre indigne de la glorification divine : ces chants bénis confèrent à la musique une grâce nouvelle, font respecter la vertu et sanctifient le lieu. A une harmonie comme la sienne, le Ciel a donné pouvoir d’élever l’âme de la terre et de transformer l’enfer en paradis. » Daily Advertiser 31 avril 1742
En tête de la partition entière, Georg-Friedrich Haendel a écrit « commencé le samedi 22 Août 1741». Après le dernier chœur, il inscrit « septembre,12, 1741 ». L’œuvre fut parachevée le 14. Et donc, écrite très rapidement, trop, au goût de son librettiste.
A côte de sa signature, comme Jean Sébastien Bach, il porte sur sa partition le Soli Deo Gloria des églises de la Réforme, ce SDG qui marque son appartenance au troupeau des fidèles rachetés.
Le Messie est créé le mardi 13 avril 1742 au “Music Hall” sur Fishamble Street à Dublin (Irlande), inclus dans une tournée de concerts sur invitation du vice-roi d’Irlande. Il est donné avec succès au profit de trois institutions charitables de la ville.
Le Dublin Journal publiera une longue critique élogieuse : « Les mots manquent pour exprimer la joie intense que l’œuvre procura au public admiratif venu en foule. Le sublime, la grandeur et la tendresse adaptés aux mots les plus élevés, majestueux et émouvants, concoururent à transporter le cœur et l’ouïe. »
Le Messie est classé parmi les oratorios sacrés. C’est une œuvre de musique vocale et instrumentale à caractère dramatique et sujet religieux, ne faisant pas, contrairement à l’opéra, l’objet de représentations scéniques. Si l’on met de côté les oratorios haendéliens à caractère “héroïque” ou “narratif”, le Messie appartient à la catégorie dont le sujet véritable, transcendant toute situation humaine particulière, met en situation la relation de l’Homme avec son Dieu. Il est précédé alors d’Israël in Egypt (1740) et sera suivi de l’Occasional Oratorio (1746).
Il est écrit au départ pour 2 soprani, dont 1 voix de garçon, 2 contre-ténors, 1 contralto, 1 ténor, 1 basse, soli. Un chœur à 4 pupitres. Orchestre à cordes doublé “ad libitum” dans l’ouverture et dans les chœurs par des hautbois et des bassons se joignant à la basse continue ; 2 trompettes, timbale et basse continue.
Les paroles proviennent entièrement de la prose noblement cadencée de la Bible anglaise : la Authorized Version de 1613. Plus occasionnellement, le librettiste Jennens s’appuie sur la version de la Grande Bible de 1539, celle que conserve le Livre des Prières anglican. Auteur de la compilation, Jennens, nobliau riche et vaniteux, combine adroitement les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament. Il cherche à illustrer l’accomplissement des prophéties du Messie de l’Ancien Testament dans les événements évangéliques. Il sépare l’oratorio en 3 parties, d’une durée totale d’environ cent quarante minutes.
Quant à LA version, à ce jour, il n’en existe aucune dite définitive.
Un Oratorio parmi 32 : précédé de Saül (1739) et Israël en Egypte (1739) ; suivi de Samson (1741), Semele (1743), Belshazzar (1745), Hercules (1745)… tout cela au milieu d’une quarantaine d’opéras, une vingtaine de concertos pour orgue et orchestre, des suites pour orchestre : Water Music (1717) ! Royal Fireworks (1749) ! 3 Te Deum, des Psaumes, des Anthems, Cantates italiennes, Sonates…
L’avant-Messie : Les premiers oratorios publics de Haendel datent des années 1730. Ils répondent à un besoin précis. Son entourage, comme un Aaron Hill, dès fin 1732, lui conseille vivement de renoncer à l’opéra italien et de composer pour la scène anglaise. Ce seront donc des réponses positives avec Esther, Athalia, Deborah… Mais ce type d’œuvre ne convainc pas encore son auteur, et jusqu’en 1737 le théâtre italien reste tout à fait obsessionnel dans ses envies créatrices. Le voyage alors d’un Haendel tout jeune dans l’Italie du moment, Venise-Florence-Rome, avait laissé des marques profondes. Ses rencontres avec Corelli et Scarlatti y avaient sûrement contribué.
Mais voilà, l’opéra n’en finit pas d’être déficitaire. Par contre, quelques soirées d’oratorio rapportent. Pas de décors, pas de machines, pas d’insensées prétentions financières de “rossignols dorés” venus d’Italie. Davantage de chœurs ? Mais là n’est pas la plus grosse dépense. Par contre un public plus vaste est à même de mieux suivre puisqu’on chante en anglais et non plus en italien – comme dans les opéras. La catastrophe financière de 1737 achèvera de déciller Haendel jusque là encore aveuglé par sa passion.
Et si sa vie au service de l’opéra a duré en somme plus d’un quart de siècle, il ne va servir l’oratorio véritablement, que sur une quinzaine d’années, mais avec quel débit.
Un débit facilité peut-être par une pratique alors très commune à l’époque chez les musiciens : les emprunts ! Ceux-ci pouvaient s’adresser à deux types de sources : soit étrangères, soit personnelles. Haendel, tout comme Bach, ne s’est pas gêné. Juste deux exemples avec, la Serenata de Stradella qui subit une transcription pour le Messie, et l’utilisation du chœur lui-même qui n’est pas indemne de matériau d’emprunt plus ou moins adapté d’une œuvre antérieure comme l’Allegro.
L’Après-Messie, ou plutôt, l’après-oratorios de Haendel. Et tout d’abord la carrière à deux versants de ce “grand ours” de cette « lourde face emperruquée, de ce tonneau de porc et de bière qu’on appelle Haendel » dixit Hector Berlioz ! La carrière donc de ce “géant du passé” nous laisse un double héritage. Compositeur d’opéras il fut un belcantiste prodigieux. La liaison se fait d’elle-même entre ses compositions et celles des Italiens qui jusqu’au milieu du XIXe siècle ont fait planer la voix au-dessus d’orchestres plutôt banalisés. Le vrai héritage haendélien est dans la leçon de liberté que ses oratorios donnent aux musiciens des générations suivantes. Dès 1787, la masse de ses œuvres fait l’objet d’une édition complète ; ce sera donc un des rares auteurs qu’ils auront bien connu. Certains éclairent à la lumière de ce « Maître sans égal entre tous » dixit Beethoven, la Flûte enchantée, avec sa géométrie variable d’ensembles et de solistes. D’autres lisent à travers lui, dans Fidelio, le Chœur des prisonniers et de la scène finale.
Finalement, en abandonnant son propre théâtre-opéra, il ouvre grandes les portes de ce qui va devenir la scène lyrique pendant plus d’un siècle à venir. Lui qui plus qu’un autre a combattu pour le génie du théâtre italien, s’y ruinant et la santé et financièrement, a monté des oratorios pour… ruiner l’opéra. Il en détruit le côté absolu et quasi-mythique.
Le drame baroque inspiré du Tasse fait place au mélodrame romantique. Notre pensée actuelle s’est tournée pendant longtemps et presqu’exclusivement vers les opéras du XIXe siècle. Elle est aussi extrêmement sensible aux oratorios de Haendel alors qu’elle s’est détournée des opéras de ce dernier ; et ce n’est pas ici, une question de langue utilisée. Ils ne font plus trop vibrer notre sensibilité. Jusqu’à quand, car un virage semble être pris tout récemment ? L’éventail des opéras montés sur scène s’est considérablement ouvert.
Quelle interprétation du Messie ? Question fondamentale et qui prend davantage d’acuité encore avec certaines réalisations récentes. Le Messie est un oratorio mais est-ce « un oratorio de masse » ? Au XVIIIe siècle, ces partitions étaient données avec des effectifs plutôt réduits ; raisons financières ? de recrutement ? de difficultés de déplacement ? d’instruments disponibles?
Quant au goût du public, il évolue lui aussi. Haendel en a fait lui-même les frais, adoré d’abord pour ses opéras, puis rejeté, puis adulé à nouveau avec ses oratorios, enfin revenu en grâce totale quelle que soit l’œuvre présentée. Alors, les compositeurs s’adaptent, les défunts ont leurs partitions un peu pillées ou arrangées, comme celle du Messie réorchestrée par Mozart qui, ayant trouvé des “vides” a estimé devoir combler. Mais aussi, des sonorités manquantes, alors on rajoute de nouveaux instruments (clarinettes, …), et puis, on réécrit quelques arias…
C’est ainsi la porte grande ouverte à de nombreuses tentatives plus ou moins heureuses. D’un côté, un point culminant avec les grandes machineries postromantiques, une course au gigantisme dont le résultat est, obscurcissement des accords et des mélodies. De l’autre, un dépoussiérage total, on dira même décapage pour certaines versions avec pour résultat, ascétisme, dramatisme excessif, froideur mécanique, lumière plus crue que celle ardente de bougie. Sans parler de véritables bouleversements dans l’ordre des numéros, ou l’amputation de quantités.
Finalement, d’une manière ou d’une autre, toute exécution du Messie procède d’un choix délibéré du chef. Il donne ainsi SA propre version de l’œuvre que ce soit en raison des coupures, de la modification radicale de la taille de l’orchestre et/ou du chœur, des différences d’instrumentation, des arias et récitatifs attribués à telle ou telle tessiture, etc…, de l’ordre même !
A sa décharge on peut toujours se retrancher derrière le fait qu’Haendel n’a pas établi lui-même le « livret ». Pour la première fois, voilà un compositeur qui propose non pas une description, une « narration » d’un événement à caractère religieux, fondée sur les Evangiles mais, prenant de la hauteur, se livrant à une « méditation » sur l’événement lui-même, sur le Christ, l’Au-delà, le mystère de la Résurrection. Il se base par exemple sur des Psaumes qui correspondent à cet état d’esprit. Il trouve en Isaïe et en Saint Paul des librettistes bien supérieurs à tous ceux qui avaient pu lui servir jusqu’alors. Sur des paroles dont il saisit la beauté, le compositeur construit une musique qui puise son efficacité dans sa simplicité même. Et pourtant son accent en langue anglaise était paraît-il épouvantable !
Le Messie n’est pas un oratorio de la « Nativité » ou de la « Passion » (comme chez un J.S. Bach) mais une réflexion en profondeur sur le message du Christ. Haendel ne se contente pas d’y raconter l’expérience humaine de Jésus dans les quelques trente-trois ans qu’a duré sa vie terrestre. Il tente de commenter l’aventure du salut par le Christ dans la perspective de l’histoire toute entière de l’humanité. Cette façon de basculer du plan de l’événement dans celui de l’eschatologie est peut-être ce que le Messie apporte de plus nouveau.
Enfin, même si c’est une œuvre dont la version originale n’existe pas (car bien trop sujette à débats), même si les conditions globales suivant lesquelles on l’exécute ou on l’entend ont bien changé depuis Haendel, même si c’est une œuvre extrêmement morcelée (jusqu’à cinquante-deux numéros) à la cohésion difficile à mener, et l’édition musicale bien délicate, même si, etc,… il n’en reste pas moins que le Messie, lu comme un sermon, se divise en trois parties :
A. La Nativité. L’ordre de Dieu. La paix de la brebis dans le troupeau. La douceur du sacrifice accepté.
B. La Passion. L’indicible douleur du sacrifié. L’ordre de Dieu refusé. Le combat du Bien et du Mal. La victoire finale. Alléluia
C. La mort dépassée La Rédemption posthume dans le sang de l’agneau. La félicité de l’Amen et les Bénédictions.
Ces trois parties se divisent en scènes qui se succèdent, séparées ou non par des chœurs qui sont là, et pour amener la scène à son zénith et pour la clore, ou dans certains cas, amener la scène suivante. N’oublions pas qu’elles correspondent à des textes alors pratiquement connus de la totalité des auditoires du XVIIIe siècle.
A part l’annonce aux bergers, les textes s’appuient donc sur des Psaumes dans les deux premières parties, sur les Prophètes, sur Saint Paul (Epître aux Corinthiens, XV) dans la troisième partie, et sur le récit de l’Apocalypse de Saint-Jean à la fin. Des pages admirablement choisies qui traduisent l’amour pour la vie des deux auteurs, Jennens et Haendel, même si leurs qualités propres n’en faisaient guère des jumeaux.
Nous trouverons au fil des scènes de nombreuses références à l’acceptation de la souffrance, au dépassement de soi-même, à l’espoir salvateur. Mais au-delà de ces contingences, Messiah reste un hymne à la gloire du Fils de l’Homme, à la gloire de Dieu lui-même. Bien plus encore, l’homme se trouve absorbé dans un monde dont le Christ devient tout à la fois le centre, l’emblème et le phare. Nous ne sommes pas loin des fresques de Michel-Ange à la Chapelle Sixtine : ampleur de la vision, intensité orante, résonance prophétique. Le Messie n’est pas un oratorio purement « mystique » comme une Messe en si de Jean-Sébastien Bach ou les Béatitudes de César Frank. Il n’incite pas à la prière, à genoux. Il pousse davantage vers une foi qui clame sa certitude et devient épique.
« En écrivant l’Alléluia, j’ai cru voir le ciel s’ouvrir et Dieu paraître devant moi » aurait confessé Haendel lui-même. Si ce Messie est l’oratorio parmi les plus connus et interprétés dans le monde, c’est bien que le public lui reconnaît une beauté exemplaire, un élan majestueux, un achèvement parfait, et lui inspire une émotion vivante, soutenue et renouvelée à chaque audition. Sûrement parce que chaque instant a du être vécu, ressenti par le compositeur lui-même dans un frémissement de tout son être, celui qui le faisait sangloter en écrivant l’admirable air pour contralto :
« He was despised and rejected of men » (Il fut méprisé et abandonné des hommes).
Les commentaires, brefs !! sur les numéros donnés pour ce concert pourront vous être communiqués sur simple demande !
Michel Grialou
Les Grands Interprètes
Orfeo 55 – Nathalie Stutzmann (direction)
mardi 16 décembre à 20h00 – Halle aux Grains
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