Toulouse. Halle-aux-Grains,le 17 octobre 2014.Benjamin Britten (1913-1976):Quatre interludes marins de Peter Grimes,op.33 A;Hector Berlioz (1803- 1869): Les Nuits d’été;Edward Elgar(1857-1934):Symphonie n°1;Anna Catarina Antonacci,soprano;Orchestre National du Capitole de Toulouse;Direction : Tugan Sokhiev.
Anna Catarina Antonacci est très aimée à Toulouse et chacune de ses venues tant à l’opéra (Carmen, Médée) qu’au concert (Margueritte, Era la Notte, récital avec piano) lui vaut un beau succès artistique autant qu’une chaude sympathie de son public. Il faut dire que l’art vocal de la grande tragédienne, musicienne hors paire,se lie avec un art du dire sans égal aujourd’hui dans la langue française. Ses Nuits d’été de Berlioz étaient donc très attendues, d’autant que beaucoup avaient en mémoire la superbe interprétation in loco avec Suzan Graham en 2009. La voix si expressive d’Anna Caterina Antonacci peut parfois être rebelle, avec un vibrato large et des registres disjoints. C’est avec une plénitude rare, une facilité déconcertante et un hiératisme inattendu que la belle Antonacci a débuté les nuits d’été. Une diction gourmande de chaque mot, des phrasés d’une élégance souveraine ont enchanté dès les premiers instants de la Vilanelle, qui a semblé pleine d’esprit. Le spectre de la Rose avec des voyelles sombres et une douceur moelleuse des consonnes a mis en évidence la poésie et la musique comme rarement liées. Tugan Sokhiev a de l’amour pour Berlioz et pour le beau tempérament musical de la diva. Le dialogue entre la cantatrice et l’orchestre a donc été subtil. Le dosage entre instruments et voix a été chambriste tant l’équilibre a été constamment parfait. D’une même souplesse la voix et l’orchestre ont osé beaucoup de liberté suivant ainsi la prosodie.le tempo très retenu au début a permis une montée en intensité puis un retour au calme suivant le récit du spectre. Pas de théâtralité appuyée pour cette rose mais une vibration mystérieuse d’un amour total et fugace. La longue plainte de sur les lagune a été déchirante de noblesse et de hauteur, avec un art de rendre compréhensible chaque inflexion du texte très émouvant. Car c’est certainement cet art du dire, au delà de menues imprécisions ou des voyelles pas assez pures, qui fait la richesse de cette interprétation comme chuchotée par moment à l’oreille du spectateur, Anna Caterina Antonacci donnant l’impression de s’adresser à chacun en particulier. Le magnifique dialogue avec les instruments étant parfaitement dosé par Tugan Sokhiev prouvant de plus en plus de réelles affinités avec le grand Berlioz, orchestrateur de génie. Absence est la mélodie la plus sombre et désespérée avec cette supplique lancinantes « reviens reviens ma bien aimée ». Avec beaucoup de naturel le tempo s’élargi et se ressert afin de déployer cette sublime langueur de l’amour triste en respectant des silences très expressifs. Le cimetière en des couleurs languides et des nuances orchestrales d’une grande délicatesse permet à l’art de diseuse d’Antonacci de se déployer. C’est le final qui permet au vent de se faire entendre et au sourire dans la voix d ‘Antonacci de venir enfin alléger cette vision si triste de l’amour. Ne l’oublions pas Antonacci est très douée également pour la comédie.
Afin d’ offrir un écrin à ce joyaux du concert le programme a puisé dans le répertoire britannique.Pour ouvrir le concert avec éclat: les quatre interludes marins de Peter Grimes, prévus en suite d ‘orchestre par Britten dès le début, permettent au grand orchestre symphonique de briller au niveau de chaque pupitre. La théâtralité dont Tugan Sokhiev revêt ces pièces est très expressive. Le brillant de l’orchestre fait merveille comme le profondeur des nuances et la richesses des couleurs. La précision rythmique diabolique requise est parfaitement obtenue par Tugan Sokhiev.Les musiciens de l’orchestre très concentré donnent le meilleur d’eux même.
En deuxième partie de concert, après des variations Enigma donnés dans le monde entier par Tugan Sokhiev l’an dernier, le chef entraine son orchestre du capitole dans la longue et touffue première symphonie d’Elgar avec un grand bonheur. Cette oeuvre demande beaucoup à l’orchestre, car la puissance est requise,comme des effets de la plus grande subtilité, ainsi de terminer un trait de harpe par un délicat froissement de cymbale. Un système de marche alimente les mouvements de la symphonie. Tugan Sokhiev donne à cette marche sa noblesse et son juste poids. Le développement est assumé avec des tutti et la longueur de la symphonie est oubliée en raison d’une belle construction d’ensemble qui donne une solide impression d’avancée. L’orchestre est magnifiques de présence avec également des soli éblouissants. La filiation avec Brahms est magistralement suggérée par cette belle interprétation, structurellement très lisible.
Cette symphonie rarement donnée en France et découverte par les toulousains mérite d’être mieux connue.
Le musicien français le plus sensible à l’Angleterre, et l’un des meilleurs orchestrateurs de tous les temps, a donc été entouré par deux belles oeuvres anglaises superbement orchestrées créant un fil rouge passionnant.
Tugan Sokhiev donnera en février à Toulouse et à la Philharmonie de Paris tout juste étrennée le gigantesque Requiem de Berlioz. Gageons que ce sera un très grand moment de musique ici comme là !
Hubert Stoecklin
photo : Pierre Mandereau
article écrit pour classiquenews.com