Chorégies d’Orange 2014. Otello de Giuseppe Verdi dépoussiéré et rajeuni.
Une soirée aux Chorégies d‘Orange est souvent pour le spectateur un projet amoureusement préparé au coeur de l’hiver morose avec un espoir de chaleur et de beauté foudroyante.
Cette année le report de la première le 2 aout en raison d‘une folle météo a retardé le plaisir attendu. Mais que cela représente t-il comme attente frustrée lorsque l’on sait que le ténor Roberto Alagna attend cette prise de rôle depuis ses premières leçons de chant lyrique ? Son Otello scénique tant espéré, déjà chanté et enregistré en extraits, donné en version de concert, a été annoncé et trop souvent repoussé. Cette prise de rôle représentait donc beaucoup… La production a été à la hauteur des attentes avec une distribution sans failles, un orchestre splendide , une directions d‘orchestre poétique et dramatique à la fois et une mise en scène très habile et vivante. Le succès a été au rendez vous, partagé lors de la seconde représentation par des milliers de téléspectateurs et auditeurs radiophoniques. Il est encore possible de voir le magnifique film qu’en a réalisé François-René Martin pour France 2 ( jusqu’ au 5 février 2015).
Dès les premiers accords de la tempête Myung Whun Chung obtient de l‘Orchestre Philharmonique de Radio France un son d’une plénitude rare. C‘est peut être la plus belle magie de ce lieu à l’acoustique unique. A Orange il est possible d’entendre tous les détails d’un grand orchestre symphonique dans des nuances exacerbées, comme ce soir par la direction vivante autant qu’analytique du chef coréen. Tout au long de la soirée le drame va se déployer avec une inflexible douleur culminant dans un dernier acte quasi insoutenable. Myung Whun Chung a des gestes d’une élégance de sorcier danseur. Il veille a tout, donne toutes les entrées, galvanise ou pacifie ses musiciens dont il obtient ce qu’il veut. Les détails sont d’un précision horlogère, les phrasés d’une souplesse de félin mais toujours le drame avance vers la fin inexorable. La construction dramatique de la baguette de Myung Whun Chung repose sur une connaissance parfaite de toute la partition. Le chef dirige en effet par coeur ! L’orchestre Philharmonique de Radio France est splendide de précision, de beauté de couleurs et de nuances. Du plus infime trait de harpe au fortissimo des cuivres en passant par des violons éthérés et des violoncelles de rêve, chacun semble galvanisé par un chef si charismatique,qui a la modestie de s’assoir au bord de son estrade entre les troisième et quatrième acte afin de rester avec son orchestre. Au salut final il ira jusqu’à saluer personnellement les musiciens des deux derniers rangs de l‘orchestre.: n grand chef et un magnifique orchestre sont les gages d’un grand Otello.
Les grandes scènes de choeur sont visuellement très réussie Nadine Duffaut connait les particularités d’Orange et s’en sert admirablement. Vocalement les choeurs de région rassemblés sont admirables de présences avec toute la précision permise par le lieu avec une très belle scène de tempête initiale et beaucoup de finesse dans le chant du feu et l’acceuil délicat de Desdemone.
Visuellement cette production est belle tout du long. Le sol de marbre défoncé et l’énorme miroir surmonté d’un Lion brisé sont sobres et suggestifs, les parties du miroir brisé, adossées sur la muraille permettent l’utilisation de projections des rêves ou cauchemars des personnages. Les lumières de Philippe Grosperrin sont magiques et apportent beaucoup de variété en suivant de près la partition si riche de Verdi. Les costumes de Katia Duflot sont tous très beaux, magnifiques étoffes prenant bien le vent. Le rouge du héros bouillonnant contrastant avec le bleu gris de tous les autres personnages et le blanc en camaïeux de crème de Desdemone.
La distribution est admirable et ne comprend aucun point faible jusqu’au plus petits rôles. Le personnage pale de Cassio peut compter sur la belle voix de Florian Laconi et son implication pour soutenir l‘intérêt. Le Lodovico d’Enrico Iori et le Montano de Jean-marie Delpas ont une belle présence vocale jusque dans les difficiles ensembles, mais c’est l’allure élégante du Roderigo de Julien Dran qui se démarque, donnant beaucoup de présence à ce rôle vocalement sacrifié.
L’Emila de Sophie Pondjiclis est parfaite d ‘énergie et d’empathie. Dans le quatuor du mouchoir sa belle voix se déploie comme dans le grand concertato de l’acte 3. La proximité et la complicité avec la Desdemone d’Inva Mula fonctionne a merveille ce qui est très important dans cet opéra d’hommes.
Le Iago de Seng-Hyoun Ko mériterait presque de rebaptiser l‘opéra comme Verdi en a eu l ‘intention un instant. Son personnage est une incarnation de la banalité du mal tout à fait saisissante. Jamais avec outrance, toujours avec finesse il avance dans ses infâmes machinations, l ‘air de rien, se laissant souvent maltraité afin depuis cette position basse se redresser pour manipuler d’avantage. Le jeu de l’acteur est subtil sans aucune grandiloquence. Son chant est délicatement phrasé, le texte distillé comme un venin précieux. Le grain de la voix est assez fin et le timbre plutôt clair est d’une grande beauté. La séduction du personnage indispensable pour la vraisemblance de l ‘action est ici évidente. Il convient de dire à présent combien le jeu entre les acteurs est fouillé car les scènes entre Iago et Otello sont à chaque fois stupéfiantes. Le travail de mise en scène de Nadine Duffaut est de véritable théâtre entre les acteurs. Otello et Iago se tournent autours, s‘observent comme dans un combat stylisé. Le tempérament çalculateur et froid du perfide prenant le pas sur les réactions chaleureuse et sanguines du héros habitué aux affrontements francs et de face.
Plus habituellement réussi les relations entre Desdemone et Otello fonctionnent également avec une efficacité tragique terriblement douloureuse. Un jeu d ‘attraction du désir et de répulsion rend lumineux la destruction de leur relation sous le coup de la folie d ‘Otello.
La Desdemone d’Inva Mula est admirable de classe, de dignité et de force morale. La beauté de la femme, celle de la voix se complètent afin de construire un personnage idéal. Le délicat phrasé, les belles couleurs de la voix, ses piani exquis enchantent les amateurs de bel canto. La puissance du beau métal de la voix au vibrato parfaitement contrôlé lui permettent de dominer le terrible concertato concluant l’acte 3. Personnage soumis à son destin mais non femme soumise son incarnation est forte et lui permet une chanson du saule et un Ave Maria d’anthologie.
Très amoureuse de son mari le jeu de ce personnage très malmené physiquement est toujours d‘une noblesse admirable jusque dans cette terrible acceptation finale du geste mortel de son époux. Incarnation majeure pour la cantatrice Albanaise a mettre parmi se plus beaux rôles.
C’est pourtant l‘ Otello de Roberto Alagna qui marque par une présence de chaque instant et un jeu vibrant. Le timbre du ténor illumine bien des moments lyriques surtout dans les duos avec Desdemone qui fonctionnent admirablement, laissant deviner après le désir amoureux la répulsion qui envahi l ‘esprit d’ Otello. Le maure, ici un peu Berbère, n ‘est plus un grand père face à une jouvencelle mais bien un homme mur encore très jeune de coeur, jamais calme, toujours en mouvement. Verdi ne voulait pas que Tamagno le créateur du rôle abuse de sons héroiques, Roberto Algna avec des moyens lyriques actuellement élargis a toute l’autorité charismatique du rôle. Ses deux interventions du premier acte grâce avec une voix homogène et une diction franche et précise s‘imposent.
Lors des duos avec Desdemone le timbre si beau peut se déployer avec une recherche de couleurs magiques sur certains mots, et des couleurs variées (un exemple le : « Il fazzolleto » dans le duo de l ‘acte 3) .
Par contre son timbre s‘altère dans les emportements avec Iago ou lors du final de l‘acte 3. La fragilité du personnage, comme celle momentanée de la voix, devient une force dramatique permettant à la conception originale du personnage de gagner la sympathie du public. Victime de lui même autant que des machinations de Iago, le drame intime d ‘Otello devenant public, détruit l‘image du héros ayant semblé invincible. L’ implication de Roberto Alagna dans ce personnage à la fois romantique et idéaliste est totale. Pour cette prise de rôle tant attendue le ténor s ‘est engagé tout entier payant comptant. Dans un théâtre à l ‘italienne, sans ce terrible mistral et la poussière, à condition de pouvoir compter sur une si belle distribution et un grand chef il saura évoluer et mieux maitriser ses moyens sur la durée de la représentation. Car Otello est surtout un rôle long et varié. Le personnage riche et complexe proposé par Roberto Alagna est déjà fascinant. Espérons que nous pourrons le revoir en une belle évolution.
Avec cette production les Chorégies d’Orange 2014 signent à nouveau une belle page dans le grand livre de l’histoire lyrique.
Orange. Théâtre Antique, le 5 Aout 2014. Giueseppe Verdi ( 1813-1901): Otello, opéra en quatre actes sur un livret d’Arrigo Boito d’après William Shakespeare. Mise en scène : Nadine Duffaut; Scénographie : Emmanuelle Favre; Costumes: katia Duflot; Eclairages: Philippe Grosperrin; Vidéo : Arthur Colignon; Maître d’armes : Véronique Bouisson; Direction Musicale : Myung Whun Chung.
DISTRIBUTION:
Otello : Roberto Alagna; Desdemona : Inva Mula ; Emilia : Sophie Pondjiclis ; Iago : Seng-Hyoun Ko ; Cassio : Florian Laconi ; Lodovico : Enrico Iori ; Roderigo : Julien Dran ; Montano : Jean-Marie Delpas ; Un Araldo : Yann Toussain; Choeurs de l’Opéra Grand Avignon, de l’Opéra de Marseilles, de l ‘Opéra de Nice, Maitrise des bouches du Rhône, ensemble vocal et instrumental des Chorégies d’Orange; Assistant à la direction musicale et coordination chorale : Emmanuel Trenque ; Orchestre Philharmonique de Radio France ; Direction musicale : Myung Whun Chung.