« Marius » et « Fanny », films de Daniel Auteuil
Il y a, dans la grande histoire du cinéma, des icônes qu’il est mortel d’effleurer. La célébrissime trilogie marseillaise tirée des trois pièces de théâtre signées Marcel Pagnol (Marius, Fanny, César) est certainement en ce sens la plus redoutable. Redoutable surtout à cause d’un certain Raimu, hénaurmissime César, dont les rondeurs, les regards et, surtout, l’accent en ont fait un paradigme d’une sorte de héros débonnaire méditerranéen. Mais, au fait, qu’en est-il des autres comédiens de cette antique trilogie tournée en 1931 par Alexander Korda (Marius), 1932 par Marc Allégret (Fanny) et 1936 par Marcel Pagnol lui-même (César) ? A bien y regarder, quatre-vingts ans après, des artistes célèbres en leur temps ont bien du mal à nous convaincre aujourd’hui de leur talent, un talent jugé alors à l’aune d’une esthétique plus théâtrale que cinématographique. Il en est particulièrement ainsi pour Pierre Fresnay (Marius) et surtout Orane Demazis (Fanny) dont les accents déclamatoires sont aujourd’hui inaudibles. Il n’est rien de dire combien le duo Raphaël Personnaz (Marius dont les grands yeux hallucinés balancent entre la mer et Fanny) et Victoire Belezy (Fanny sacrificielle, superbe d’intensité) est plus à même, de nos jours, à exprimer de façon moderne le séisme social et sentimental qui va briser les deux amants vaincus par un drame épouvantable à cette époque, celui d’une fille-mère. A l’évidence, Daniel Auteuil, qui s’empare ici avec panache du rôle de César, s’est totalement lobotomisé concernant la version d’origine. Et il a bien fait ! Ses deux premiers opus (César est en court de tournage) portent incontestablement une griffe originale, tout en s’approchant au plus près du texte de Pagnol. N’oubliant jamais la destination théâtrale de ces pièces, Daniel Auteuil ne propose que peu d’échappées extérieures, concentrant le drame dans des intérieurs fleurant bon l’encaustique de ces temps-là. Tout cela a un charme fou, y compris les fondus au noir entre chaque scène. Jean – Pierre Darroussin n’est pas Fernand Charpin dans le rôle ô combien délicat de Panisse, et c’est tant mieux car son talent est suffisant pour incarner le maître es voilures dans ce qu’il a de plus mercantile quand il s’agit d’acheter littéralement Fanny (mœurs plus qu’authentiques à cette époque-là) comme dans sa joie d’avoir un pseudo-héritier. Le rôle est superbe, d’accord, mais le comédien aussi. Rien à redire sur les autres artistes du plateau, qu’il s’agisse de Marie-Anne Chazel (Honorine), Nicolas Vaude (Monsieur Brun un rien en retrait cependant) ou Daniel Russo (Escartefigue) . En résumé, du vrai cinéma, avec de vrais décors, d’excellents comédiens, un scénario superbe qui traverse les âges et auquel Daniel Auteuil vient de donner un sacré coup de jeune. Et il en faut du talent pour, avé l’assent, donner toute sa sombre couleur au drame qui se cache derrière ce qui, par la grâce de son auteur, frôle parfois la galéjade.
Robert Pénavayre