Il y a parfois des billets difficiles, voire impossible à écrire. Les causes en sont nombreuses : film ne soulevant guère d’émotion ou de crise lyrique libératrice, incompréhension générale d’un sujet, panne d’inspiration, conditions climatiques néfastes au squatt devant un ordi (y fait beau quoi) … Et puis il y a les moments où, pour aucune de ces raisons, c’est quand même chaud les marrons de pondre quelque chose. On souhaiterait parler au mieux de ce que l’on a vu, l’exercice devenant délicat lorsque le grand tout d’un film repose sur un univers onirique, au visuel étonnant.
Essayons tout de même.
Colin est un jeune homme gai, inventif, vivant dans un appartement parisien entre son avocat – cuisinier Nicolas, la Souris et les fréquentes visites de son meilleur ami Chick (grand admirateur de Jean – Sol Partre).
Colin ne travaille pas, il occupe ses journées à déguster de bons petits plats, siroter les boissons distillées par le pianocktail et apprendre de nouveaux pas de danse. Une seule chose manque à sa vie : l’amour. Autour de lui, tous ses amis l’ont trouvé et Colin trouve la situation bien injuste.
Invité à l’anniversaire du chien d’Isis (bonne amie de Nicolas), il y rencontre la douce et lumineuse Chloé dont il va éperdument tomber amoureux.
Ils vont entamer une existence paisible, joyeuse, en compagnie de leurs amis, au gré de promenades dans Paris et de patinage à glace.
Au bout de quelques mois, ils décident de se marier et partent en lune de miel à bord d’une limousine transparente (dernier cri en matière d’automobile) piloté par le fidèle Nicolas. Mais une nuit, pendant son sommeil, Chloé va avaler une fleur de nénuphar qui se met doucement à grandir dans son poumon.
Pour l’adaptation du roman de Boris Vian, on ne pouvait rêver réalisateur plus en adéquation que Michel Gondry. Pour ce bidouilleur de génie, le monde de Vian s’apparente au terrain de jeu idéal de toutes les expérimentations et délires créatifs.
Renouant avec des techniques de travail qu’il avait un peu délaissé lors de ses précédents projets (on est ici dans un univers bien plus proche de Human behavior ou de la Science des rêves que de celui, si aseptisé, de The Green Hornet), Michel Gondry illustre parfaitement l’univers loufoque, bordélique et poétique de Vian. Si, dans un premier temps, l’avalanche de dialogues surréalistes et parfois décousus, de machines incongrues (le pianocktail, le périscope urbain, le phonographe – machine à café …),
de personnages étranges (comme Jules Gouffé, le chef à domicile – moi aussi j’en veux d’un Alain Chabat dans mon frigo !!! – ou du religieux) et d’animaux bizarroïdes (la Souris, l’anguille qui sort du robinet) peut déstabiliser, l’acclimatation est rapide et le voyage dépaysant.
Car ici c’est le royaume de Jojo la bricole, aucun trucage numérique sur fond vert pour venir vous perturber la rétine, la récupération, la feutrine et la laine règnent en maîtresses incontestées, comme l’animation image par image, le film super – 8 projeté sur les acteurs, les accélérations de séquence. Et tout cela a un charme fou. Dans cet univers en roue libre, les chaussures s’échappent dans les escaliers en grognant, la sonnette de la porte d’entrée cavale comme un insecte, on visite Paris dans un nuage suspendu à une grue, les souterrains sont peuplés d’oiseaux en cage, on fait la course pour arriver le premier à l’autel,
il peut aussi pleuvoir et faire grand soleil à une seule et même table de pique – nique.
Mais tout n’est pas qu’insouciance dans cette histoire, après une partie très radieuse succède une période bien plus sombre et désespérée (le film passe d’ailleurs de la couleur au noir blanc mais de façon très délicate, on s’en rend à peine compte). L’univers de Colin s’obscurcissant et rétrécissant peu à peu, son appartement en fait de même.
Car sous couvert de surréalisme et de farce, Boris Vian décrit aussi une société à laquelle il ne pouvait adhérer et qui l’angoissait (le monde du travail, le pouvoir de l’argent, l’addiction, la religion, le culte du leader, les ravages de la guerre …).
Le casting est sans faute (Omar Sy, Aïssa Maïga, Gad Elmaleh – qui a la bonne idée de sortir de ce qu’il fait d’habitude, bonne surprise ! – et même ce petit farceur de Michel Gondry dans le rôle du docteur – le jeu est hésitant certes, mais c’est charmant -). Le couple formé par Romain Duris (drôle, ce mec est super drôle !! Et toujours juste !) et Audrey Tautou (solaire et mutine) est un idéal dosage de complicité et de finesse.
Bien sûr, on pourrait se demander ce que penserait Boris Vian de l’adaptation de son oeuvre (lui qui avait été tant en désaccord sur celle de J’irais cracher sur vos tombes, au point de vouloir retirer son nom du générique et de décéder quelques heures après avoir assisté à la première projection). J’aime à croire qu’il aurait apprécié la version de Michel Gondry tant celui – ci a su joliment dépeindre son univers sans en déflorer la valeur du message.
En vous remerciant.