VIENTO DEL PUEBLO – VENT DU PEUPLE
ORATORIO POUR MIGUEL HERNANDEZ – VICENTE PRADAL
Et Miguel Hernandez au bagne d’Alicante baisait les souliers vides et les morts sur les yeux : nous n’appartenons pas à un peuple de bœufs disait-il ; il chantait des splendeurs innocentes pour son fils mort de faim à dix mois, et sur le sang rouillé, vent du peuple, sa voix fut la rose aux cent feuilles à la cime des monts qui t’appelait avec orgueil Révolution. Henri Gougaud in « Souvenirs invivables » Editions Ipomée
Enfin ! Hommage est rendu au dernier des Poètes espagnols de la « génération du martyre », comme les appelait Rafael Alberti, avec Antonio Machado et Federico Garcia Lorca : Miguel Hernandez, dont « le sang fut un chemin ».
Et quel hommage ! Il revenait à Vicente Pradal d’en être le maitre d’œuvre : il y a mis tout son héritage familial et culturel, tout son cœur bien sûr, mais aussi la quintessence de son art. Son oratorio est bien une œuvre lyrique composée pour voix solistes, chœur et musiciens, avec une narratrice évoquant un héros devenu un mythe.
Très sobre pour laisser toute la place au textes et à la musique, sans décors superflus (juste une bande de terre à la couleur ocre, comme une presqu’île), sa scénographie avec Coraly Zahonero, qui signe aussi les costumes simples mais justes, -comme la petite robe printanière de la narratrice-, rappelle l’origine agreste du Poète, celle qui lui collait aux semelles.
Entouré de deux voix masculines (dont l’une aux aigus parfois agressifs pour les oreilles « classiques », mais parfaitement dans la tradition flamenca) et de celle de sa fille Paloma, de son fils Rafael ici au piano et au cajon -deux artistes juvéniles déjà brillants dont on attend encore beaucoup-, et du fidèle Emmanuel Joussenet, toujours aussi profond au violoncelle, Vicente Pradal reprend sa guitare délaissée dans ses précédentes créations : on retrouve avec plaisir l’élève de Pepe Habichuela qui a donné des centaines de concerts, aux côtés notamment d’Enrique Morente (hélas disparu il y a peu), ou Carmen Linares, avant de se lancer dans ses créations. Sa voix est toujours chargée de « duende ».
Ses compositions sur les mots d’Hernandez feront date. Amplifiant l’écho longtemps occulté de la voix de cet homme simple, autodidacte devenu poète envers et contre tous, doué pour le bonheur, mais sacrifié par « la force brutale au front de taureau » (fustigée par Antonio Machado) et par la lâcheté des démocraties, elles magnifient sa grande humanité et son « espoir à pleurer de rage d’un monde meilleur pour tous » (Nazim Hikmet).
Il y a des passages exaltants, ceux qui évoquent les bonheurs simples de « tête de patate » adolescent, comme l’appelait Neruda, malgré la misère et la maltraitance. Et des moments poignants, tel l’évocation de ses « galoches désertes » où il ne trouvait que le givre de Noël en guise de cadeau, celles de ces enfants « vêtus de pauvreté, rêvant de magasins de jouets », comme l’Espagne en connaissaient tant au XX° siècle, avant l’avènement de la République que le général Franco et ses sbires se hâtèrent de noyer dans le sang pour conserver l’ordre établi. Ou son « fils de l’ombre et de la lumière », mort de faim à dix mois.
Dans le rôle de son épouse-courage, Josefina, Evelyne Istria, une grande dame du théâtre français, porte magnifiquement, mais avec simplicité et dignité, son témoignage émouvant qui ne peut laisser indifférent : sa voix « coule douce comme d’un pot de miel ».
Après Jean de la Croix, Lorca et Neruda, Vicente Pradal a voulu « avec ses larmes être le jardinier de la terre qu’occupe et que fertilise Miguel Hernandez, ce compagnon de son âme », il nous offre un superbe oratorio de poésie et d’humanité à ne pas manquer : « ces vents venus du peuple nous prennent, ils élargissent nos cœurs et dévalent dans nos gorges ».
29-X-2011 E.Fabre-Maigne
NB. Il faut lire (ou relire) les œuvres de Miguel Hernandez, par exemple : Miguel Hernández, « Fils de la lumière et de l’ombre » (édition bilingue Sables 1993) traduit par Sophie Cathala-Pradal (avec des illustrations de Juan Jorda); Miguel Hernández, « Mon sang est un chemin » (édition bilingue), poèmes choisis et traduits par Sara Solivella et Philippe Leignel, éd. Xenia 2010. Et bien sûr écouter La nuit obscure, Llanto for Ignacio Sanchez Mejias, Romancero gitano, Diwan del tamarit, Herencia de Vicente Pradal ; en attendant avec impatience le disque de ce concert !