Le traître, un film de Marco Bellocchio
La véritable histoire du plus célèbre des repentis palermitains qui fit tomber une grande partie des parrains de Cosa Nostra dans les années 80 du siècle dernier. Tragiquement puissant.
Dans une scène liminaire superbe, la caméra du dernier grand cinéaste italien filme la rencontre entre clans mafieux siciliens, réunion qui a pour but de sceller une paix visant à profiter au maximum du trafic de l’héroïne. Ce traité sera de courte durée, les Corléonais se mettant à tuer à tour de bras leurs « associés ». L’un d’eux, Tommaso Buschetta, n’a d’autres solutions que de fuir au Brésil, laissant ses deux grands fils en Italie… Arrêté par la police brésilienne, il va être extradé vers Rome où il rencontrera le juge Falcone. Entre les deux hommes un véritable pacte va se nouer au terme duquel Buschetta va livrer les noms des membres de Cosa Nostra (mafia sicilienne). Il va le faire en reniant le statut de repenti car, pour lui, les véritables traîtres sont ceux qui tuent femmes et enfants, reniant ainsi les codes d’honneur de la Mafia. Dans le viseur, Toto Riina, alias « la Bête ». Tout un programme ! Le cœur du film est dans le maxi-procès qui s’est tenu en 1986 à Palerme, procès qui a nécessité une véritable bunkerisation de la salle d’audience. D’un côté, des magistrats qui marchaient sur des œufs, de l’autre, derrière des barreaux, les prévenus, au milieu, dans une cage en verre, Tommaso Buschetta. Un procès qui tenait sur certains points de la commedia dell’arte a condamné, parfois à perpétuité, les principaux mafiosi.
C’est à une fresque tragique que nous invite Marco Bellocchio, une fresque au terme de laquelle il est difficile de séparer le vrai du faux. Tommaso Buschetta a-t-il trahi la Mafia pour son reniement à ses « principes » mêmes, ou bien par pure vengeance personnelle (ses deux garçons ayant été sauvagement assassinés) ? Bien sûr, mais vous l‘avez déjà deviné, nous sommes loin des superproductions hollywoodiennes sur ce thème. Le cinéaste filme dans le dur, ne faisant ni l’économie de l’assassinat du juge Falcone, ni, en pointillé, des liens supposés entre la Mafia et le Divo Giulio, alias le Prince des Ténèbres, Giulio Andreotti.
Porté par son interprète principal, Pierfrancesco Favino, Tommaso Buschetta étincelant d’ambiguïté, et une pléiade d’acteurs italiens composant un panorama d’une brutale truculence, le dernier opus de Marco Bellocchio, parfois un peu long (les scènes du procès), surfe avec une virtuosité redoutable sur le thème de la loyauté, ici au cœur de l’une des affaires les plus scabreuses autant que sanglantes de l’Histoire de l’Italie moderne.
Le traître – Réalisateur : Marco Bellocchio – Avec : Pierfrancesco Favino, Fabrizio Ferracane…
Marco Bellocchio – Toujours aussi mordant
Le jeune Marco fait ses « humanités » artistiques à Milan, Rome et Londres. Dès 1965, ce jeune italien de 26 ans signe son premier long (Les Poings dans les poches). Par la suite, religion, armée, famille, tous les piliers de la société italienne vont être marqués au fer rouge par ce réalisateur décidé à rompre les ponts avec le néoréalisme du milieu du siècle dernier. Le film sous rubrique nous prouve de manière éclatante que le vieux lion n’a rien perdu de son mordant.