La Pente douce
Ce n’est pas parce que son visage nous a toujours fait penser à un croisement entre ceux de Prince et de Bob Marley que nous avions songé à Hamid Miss pour cette série consacrée à la musique et à la gastronomie. Ce n’est pas plus parce qu’un piano (un vrai, pas un piano de cuisson…) trône à La Pente douce et offre son clavier aux clients désireux de se dégourdir les doigts. Non, c’est plus sûrement son art de cuisiner qui possède un lien direct avec la musique. Prenons les plats devenus des classiques de cette table dont la renommée a vite dépassé les murs de la ville : le couscous (viandes ou poissons) et les tripes. Nous avons goûté ces dernières une bonne dizaine de fois. Un standard, un tube que les habitués réclament. Chaque fois, on reconnaît la patte du maestro, mais l’interprétation n’est jamais vraiment tout à fait la même. Un peu plus ou un peu moins d’acidité, de moelleux, de piquant… Les notes, les accords, les harmonies, les arrangements diffèrent subtilement. Le plaisir des retrouvailles se marie au plaisir de la nouveauté. Hamid Miss ne se répète pas, ne joue jamais deux fois la même partition. Rien de standardisé ici. Ce qui paraît logique quand les plats proposés obéissent aussi à des produits qui ne proviennent pas du calibrage industriel, mais de fournisseurs et de petits producteurs dont le travail s’apparente à celui d’un luthier.
On devine aussi dans la cuisine de La Pente douce une part d’improvisation qui n’est pas sans évoquer le jazz. De même, le soliste œuvre en collectif. Avec son épouse Tiphaine bien sûr, sidewoman de toujours, et sa brigade dont les membres sont invités à apporter leur touche ou leur vibration du moment à la setlist du service. Le sens du partage et du collectif se retrouve dans d’autres attitudes. Il n’est pas rare de croiser Hamid Miss dans les cuisines de restaurateurs amis avec des instruments dans sa besace. Ainsi, il y a bien des années, nous le vîmes débouler aux P’tits Fayots d’Aziz Mokhtari après le service du soir. Il avait apporté des petits oiseaux qu’il jeta sur une plaque et qu’il saisit admirablement avant de les faire déguster aux clients présents. En musique, on appellerait cela un bœuf ou une « jam session »…
Partitions
Bien sûr, il faut voir d’abord le chef chez lui. À La Pente douce, j’aime aussi déjeuner ou dîner au comptoir. Depuis sa cuisine ouverte, Hamid dirige l’équipe, relance une cuisson, réveille une sauce, surveille un four… Le ballet me fascine toujours. Peu de mots s’échangent. Des regards, des gestes presque imperceptibles, un mouvement de tête suffisent. On dirait Miles Davis quand il guidait ses musiciens sur scène. De fait, je n’ai pas vraiment été surpris lorsque Tiphaine m’a glissé : « Dans sa vie, la musique est plus importante que la cuisine. » D’ailleurs, la brigade travaille en musique tandis que le chef avoue se ressourcer ou trouver son inspiration en écoutant Club Jazzafip ou Passion Classique d’Olivier Bellamy.
Je n’ai pas connu la « première » Pente douce (2008-2012) quand le duo recevait les clients à leur domicile. Du home cooking comme il y a des home studio. Je me suis rattrapé avec leur installation rue de la Concorde, l’une des plus belles rues de la ville, bien que j’aie la sensation de ne pas y aller suffisamment – notamment pour l’ébouriffant « brunch » (en fait, un menu dégustation) proposé le premier dimanche de chaque mois. Combien de fois y ai-je déjeuné ou dîner depuis l’ouverture en janvier 2014 ? Trente, quarante fois ? Plus ? Je n’ai jamais été déçu. Ce n’est pas le cas de certains clients, m’a-t-on dit, notamment ceux qui aiment se répandre sur ces sites où tout un chacun s’improvise critique gastronomique. Pourquoi pas ? Mais il ne faut pas forcément attendre d’un fan de Motorhead qu’il soit sensible au phrasé de la trompette de Chet Baker ou d’un amateur de M. Pokora qu’il apprécie les Gymnopédies de Satie…
Hamid Miss, lui, aime les produits, ceux qui les font, ceux qui les travaillent. Surtout, il aime faire aimer. Son regard s’allume d’une joie d’enfant quand il fait goûter au débotté telle épice, tel cacao, tel miel… Il sait aussi la patience et l’humilité des artisans (il lui a fallu six ans pour maîtriser la sauce béchamel et il n’ose toujours pas se risquer à la confection d’une blanquette de veau). Il y a dans ses variations et ses thèmes des fulgurances, des évidences, une sophistication tutoyant la simplicité. « J’ai la partition » lâche-t-il, m’a dit Tiphaine, quand Hamid a conçu le plat qu’il recherchait. Allez écouter ses partitions. Elles résonneront longtemps dans vos papilles.
photos © Pierre Beteille
La Pente Douce
6 rue de la Concorde • Toulouse
Téléphone : 05 61 46 16 91