Mariam et ses amies étudiantes se préparent pour une soirée festive. À la fois heureuse et fière d’en être l’instigatrice, et un peu intimidée à l’idée de devoir parler en public, elle attend qu’une amie lui apporte une tenue de rechange dans les toilettes de la salle. La robe bleue prêtée n’est peut-être pas son style habituel, mais toutes la complimentent : c’est un peu sa soirée ! Contrôle de la tenue, du maquillage, de la coiffure, les filles entrent en scène. Mariam y recroise Youssef et ils décident de s’éclipser dehors.
Fin du premier plan-séquence, suivi par un autre : les cheveux en désordre et les vêtements abîmés, Mariam court seule dans la nuit, en larmes. Youssef l’appelle et peine à la rattraper. Quand il y parvient enfin, une voiture terrifie Mariam : contrairement aux apparences elle ne fuyait pas Youssef, mais des conducteurs qui l’ont violée. Chaque crissement de pneus l’effraie. Youssef l’accompagne à l’hôpital pour obtenir un certificat médical attestant du viol qu’elle a subi afin qu’elle puisse déposer plainte au commissariat.
La réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania adapte, avec beaucoup de libertés, le roman Coupable d’avoir été violée de Meriem Ben Mohamed (Éditions Michel Lafon) qui y relatait son viol par des policiers. Le parti pris d’un découpage en neuf plans-séquences immerge totalement le spectateur dans le drame d’une nuit où Mariam est toujours présente à l’écran. Toute cette soirée ne sera qu’un cauchemar. Après le viol, chaque démarche bureaucratique est une nouvelle épreuve : impossibilité d’avoir un certificat dans le premier hôpital sans pièce d’identité, duperie des premiers policiers tapant sa déposition sur un ordinateur débranché, etc. Mariam subit la froideur et l’indifférence d’institutions déshumanisées, l’humiliation jusqu’à l’intimidation.
Si le viol est par définition subi par une victime, La Belle et la meute montre très bien les mécanismes, universels, pour la déstabiliser, illégitimer ses démarches au point de déclencher sa culpabilité : le choix de sa tenue, embrasser un garçon dans la rue (hors union, c’est verbalisable en Tunisie), la réaction du père et le déshonneur sur la famille, et, argument suprême, ébranler l’intégrité d’une police devant cultiver l’image de sa puissance au service de la reconstruction du pays.
La Belle et la meute suit la transformation d’une jeune femme, parfaitement interprétée par Mariam El Ferjani. Juste après le viol, les choix qu’elle suit ne sont pas les siens : elle va à l’hôpital car Youssef (Ghanem Zrelli) insiste pour qu’elle ait le certificat médical nécessaire au dépôt de plainte, alors que ce qu’elle veut, elle, c’est rentrer chez elle, sans lancer de procédure. Sa parole n’est pas écoutée, même si Youssef est bienveillant à son égard. Les policiers qui reformulent chacun de ses propos pour les retourner contre elle, en la culpabilisant, lui font craindre chaque nouveau mot prononcé. Isolée de son ami, elle devra alors prendre elle-même ses propres décisions, et tiendra tête aux policiers qui souhaitent lui faire signer un procès-verbal mensonger. À partir de ce moment-là, la police devient la meute et la belle une victime qui veut se faire entendre.
Si Kaouther Ben Hania évite la caricature de policiers corrompus, et d’hommes appartenant potentiellement tous à la meute – tout comme dans le brillantissime Detroit de Kathryn Bigelow où les forces de l’ordre n’étaient pas tous blancs et racistes – le dispositif contraignant du plan-séquence finit par se retourner contre le film et nuire à la crédibilité du récit. Exécuté avec virtuosité dans les premiers chapitres, il perd de sa rigueur et de sa vraisemblance lors des courses dans le commissariat. Face caméra, Mariam fuit les policiers qui la poursuivent dans leurs propres locaux, se rapprochant de plus en plus, mais curieusement, comme si le film cédait alors aux piège d’un suspense archétypique, plus elle court plus la distance qui les sépare semble s’accroître à chaque virage, les assaillants ne parvenant plus à l’attraper. Certes l’empathie vis-à-vis de l’héroïne et le processus d’identification ne disparaissent jamais, mais brusquement, l’emprise du cliché fait décrocher le spectateur dans ce passage de l’authenticité au procédé maladroit. Là où dans Victoria, Sebastian Schipper réussissait si bien à ce que son dispositif serve le propos avec la gageure d’un unique plan-séquence, Kaouther Ben Hania échoue à le tenir sur toute la longueur.