Dans les fratries au cinéma, on connaît les Coen, les Dardenne, les Taviani ou les Wachowski (enfin, avant qu’ils ne deviennent sœurs), mais beaucoup moins les Duplass. Le visage de Mark n’est pourtant pas inconnu aux amateurs de la série The League (créée par… les frères Schaffer) ou de la série Togetherness (créée par les Duplass) puisqu’il mène aussi une carrière d’acteur qui l’a mené notamment devant la caméra de Kathryn Bigelow pour Zero Dark Thirty. Par ailleurs, il a également écrit une dizaine de scénarios pour Lynn Shelton, Katie Aselton (son épouse) ou les longs-métrages réalisés avec son frère. Parmi ceux-ci, il faut voir Jeff, Who Lives at Home ou Cyrus qui illustrent parfaitement le ton doux-amer cher aux Duplass.
Sept ans après, John ne s’est toujours pas remis de son divorce. Son ex-épouse est certes devenue sa meilleure amie et l’aide à ne pas sombrer totalement dans la dépression, mais cela l’empêche aussi de faire le deuil de leur relation passée. Jusqu’au jour où, acceptant l’invitation à une fête donnée par son ex et son fiancé, John fait la connaissance entre deux râteaux de la belle Molly, elle aussi divorcée. Cependant, il y a un homme dans la vie de Molly : Cyrus, son fils de 21 ans, qui vit toujours chez elle et qui ne compte pas voir un autre mâle s’immiscer dans le couple mère / fils…
Le point de départ de Cyrus pourrait laisser attendre une classique comédie de situation. Sauf que les Duplass, s’ils ne privent pas le spectateur de réjouissants affrontements entre le fils odieux et le prétendant plein de bonnes intentions, n’évacuent pas la dimension sombre, voire carrément inquiétante par moments, de cette relation à trois. De même, Cyrus navigue joliment et de façon très attachante entre rire et émotion, entre état de grâce et grotesque, à l’image de la superbe scène où John, si maladroit et touchant, se met à chanter sur Don’t You Want Me de Human League avant d’être sauvé du ridicule par l’irruption de Molly…
La réussite du film repose sur des comédiens formidables : de la toujours impeccable Catherine Keener à la trop méconnue Marisa Tomei qui campe ici magistralement une Molly déchirée entre ses deux amours. Quant à Cyrus, il est interprété par l’excellent et poupin Jonah Hill révélé par des comédies (SuperGrave Gregg Mottola, Funny People de Judd Apatow, American Trip de Nicholas Stoller…) avant de montrer que des rôles plus dramatiques (Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese, le récent War Dogs de Todd Phillips) ne lui allaient pas mal au teint. Enfin, il y a l’immense John C. Reilly, l’un des plus grands acteurs en activité, qui de seconds rôles (Boogie Nights et Magnolia de Paul Thomas Anderson, La Ligne rouge de Terrence Malick, Gangs of New York de Martin Scorsese, The Last Show de Robert Altman) en premiers (Criminal de Gregory Jacobs, Ricky Bobby : roi du circuit et Frangins malgré eux d’Adam McKay, Walk Hard de Jake Kasdan, Carnage de Polanski), est toujours formidable.
En dépit de quelques affèteries (caméra à l’épaule et zooms un brin ostentatoires) héritées du cinéma indépendant et du mouvement mumblecore dont ils sont issus, les Duplass signent avec Cyrus un film étonnement juste et sensible.