Loin de tout. C’est ce que vous éprouverez en découvrant les premières images de Léviathan.
Une mer boréale, belle, sombre, hérissée de vagues. Du vent. Des rochers noirs qui se découpent. Personne à l’horizon. La caméra s’avance encore pour finalement s’arrêter sur une maison aux larges baies, donnant sur un chenal, aux petites heures du matin.
C’est là que Kolia, garagiste d’un petit village perdu au nord de la Russie, vit avec sa femme et son fils, né d’une précédente union.
Kolia n’a jamais connu d’autre vie mais n’échangerait la sienne pour rien au monde.
Pourtant, son avenir n’a plus rien de certain car le maire du village souhaite s’approprier son terrain, sans vraiment chercher avec lui d’issue pacifique. Épaulé de son ami Dmitiri, avocat dans la lointaine Moscou, le pot de terre Kolia va tenter de lutter contre le pot de fer d’une administration impassible et pourrie jusqu’à la moelle.
Le film d’Andreï Zviaguintsev est, n’ayons pas peur des mots, réellement magnifique.
Pas seulement parce qu’il est muni d’une photo de déglinguo et qu’il s’installe dans le décor sublimement désolé des alentours de la mer de Barents où les nuages gris roulent furieusement dans un ciel immense, où le squelette blanchi d’un cétacé échoué tranche sur le sable noir, où une église en ruine aux murs constellés d’icônes en lambeaux accueille les regroupements d’adolescents et où seul le vent du nord entend les suppliques désespérées.
Non, ce serait bien réducteur que de dire cela, le long – métrage de Zviaguintsev ne se résume pas à un film naturaliste, vantant le bon air du grand nord (sinon, vous pensez bien qu’il aurait beaucoup moins déplu à un certain Vladimir Poutine).
Léviathan est un dur et lucide constat de la situation actuelle dans l’ancien empire des tsars, un film qui regarde droit dans les yeux, sans vaciller, les conditions de vie et l’adversité frappant de plein fouet ceux qui ne peuvent (ou n’ont plus la force de) résister.
Si Andreï Zviaguintsev s’oppose à l’étiquette de film social qu’on accole à Léviathan, il est pourtant difficile de la nier totalement.
En effet, le metteur en scène mêle au cœur de sa pellicule les saccages de la corruption, la police méprisable et abusive, l’alcoolisme qui fait oublier mais qui ravage tout.
Au milieu de cette tragédie humaine, des trahisons et des bassesses, de l’injustice qui règne en maîtresse incontestée, inexplicablement, il plane dans Léviathan une sorte d’apaisement, un humour noir assez inattendu (la scène du tir sur les portraits des anciens dirigeants en est le parfait exemple) et l’amour sans limite d’un homme pour celle qu’il aime.
Tous les acteurs y sont remarquables, intenses : Alexeï Serebriakov, Elena Liadova, Vladimir Vdovitchenkov …
Andreï Zviaguintsev réussit le délicat pari de faire un film qui parle des travers de son pays et de l’âme russe en évitant totalement la complainte pleureuse et la sensiblerie de bas étage. Léviathan est juste, beau, vrai.
En vous remerciant.
Pierrette Tchernio