Le 9 octobre dernier, l’Orchestre national du Capitole invitait pour la première fois le chef britannique Jonathan Nott et la violoniste espagnole Leticia Moreno dans un programme marquant deux anniversaires de compositeurs français, Pierre Boulez et Maurice Ravel. Edouard Lalo et sa célèbre Symphonie espagnole s’insérait brillamment dans ce programme contrasté et virtuose.

L’Orchestre national du Capitole dirigé par Jonathan Nott avec la violoniste Leticia Moreno – Photo Classictoulouse
Rappelons que Jonathan Nott, Directeur musical et artistique de l’Orchestre de la Suisse Romande, a également été nommé Directeur musical du Gran Teatre del Liceu de Barcelone où il prendra ses fonctions dès septembre 2026. Ce chef dynamique et déterminé ouvre le concert sur les Notations I-IV pour orchestre de Pierre Boulez, dont on célèbre cette année le centième anniversaire de la naissance. Le compositeur a tout d’abord écrit en 1945 Douze Notations pour piano, d’inspiration dodécaphonique, alors qu’il finissait son apprentissage auprès d’Olivier Messiaen. Il s’agit de courtes pièces, faisant chacune douze mesures. La symbolique du nombre douze joue à plein ! En 1980, Boulez orchestre les quatre premières de ses Notations. Cette nouvelle version, jouée ce soir-là dans l’ordre proposé par Boulez lui-même (I, IV, III, II), bénéficie d’une formation orchestrale gigantesque qui rappelle aux habitués de la Halle aux Grains le déploiement orchestral de la Turangalîla-Symphonie d’Olivier Messiaen jouée sous la direction de Tarmo Peltokoski en ouverture de la saison symphonique le 27 septembre dernier. En particulier, le pupitre des percussions impressionne par son effectif et la diversité des instruments qui le composent !
Sous la direction précise (une nécessité absolue pour une partition aussi complexe) et passionnée de Jonathan Nott on admire autant la richesse rythmique que celle des couleurs déployées par notre orchestre ainsi galvanisé. Les alternances d’atmosphère sont habilement soulignées, malgré la brièveté de l’ensemble des quatre pièces dont la durée totale reste de l’ordre d’une dizaine de minutes. De l’agitation à l’apaisement, cette diversité s’exerce avec force et conviction.
Le contraste avec l’œuvre suivante, fondamentalement tonale, n’est pas mince. La Symphonie espagnole d’Edouard Lalo, n’est en fait pas une véritable symphonie mais plutôt un grand concerto pour violon et orchestre en cinq mouvements. Mais un concerto dans lequel l’orchestre ne se contente pas d’accompagner l’instrument soliste. L’œuvre, créée en 1875 par le violoniste virtuose Pablo de Sarasate, prend parfois des allures de combat. Leticia Moreno aborde la partition avec un mélange bien calibré d’énergie et de douceur. Son jeu souligne une écriture rythmique pleine de vie et de contrastes, qui participe de la très grande virtuosité de la partition. Soutenue et parfois défiée par la vitalité orchestrale, la soliste souligne les références rythmiques et mélodiques des citations de danses populaires. La plus originale est celle de la habanera du troisième mouvement, d‘une particulière intensité expressive.

Leticia Moreno, soliste de la Symphonie espagnole de Lalo – Photo Classictoulouse
Très applaudie, cette exécution est suivie d’un bis original accordé par Leticia Moreno. Accompagnée par la harpe, la violoniste déclame avec poésie la belle mélodie « Nana », extraite de la Suite populaire espagnole du grand Manuel de Falla.
Toute la seconde partie est consacrée à Ravel et la valse. La familiarité de Jonathan Nott avec ce répertoire est telle qu’il dirige cette section sans partition ! Les huit Valses nobles et sentimentales, dont le titre a été choisi par Ravel en hommage à Franz Schubert, auteur vers 1823 des deux recueils intitulés respectivement Valses nobles et Valses sentimentales, ouvrent cette seconde partie. Le chef en exalte les couleurs, la poésie et les contrastes. Il confère à chaque épisode son caractère particulier. De l’exaltation brillante à la poésie, justifiant ainsi la citation d’Henri de Régnier portée en exergue : « …le plaisir délicieux et toujours nouveau d’une occupation inutile. »

Jonathan Nott au salut – Photo Classictoulouse
Avec le poème chorégraphique La Valse, que Maurice Ravel a composé entre 1919 et 1920, le concert s’achève sur cette progression irrésistible que le compositeur lui-même caractérise comme une « …espèce d’apothéose de la valse viennoise à laquelle se mêle dans [son] esprit l’impression d’un tourbillon fantastique et fatal ». La richesse des sonorités, la trajectoire implacable qui conduit des saveurs charmeuses initiales à la catastrophe finale bénéficie de la direction rigoureuse et passionnée du chef autant que des phrasés et des timbres instrumentaux. L’explosion conclusive, sorte de cataclysme sonore, déclenche une ovation légitime de l’ensemble du public.
Les débuts de la saison symphonique de notre orchestre se déroulent décidément sous les meilleurs auspices.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole