L’entrée au répertoire de l’Opéra national du Capitole de Theodora, somptueux et avant-dernier oratorio de Georg Friedrich Haendel (1685- 1759), vient de se faire lors d’une unique représentation de l’ouvrage donné en version de concert.
Pour cet évènement, Christophe Ghristi inaugure une grande tournée du Chœur et de l’Orchestre de l’Ensemble Jupiter sous la direction de Thomas Dunford. En effet, plusieurs dates suivront, amenant ce spectacle à Paris, Bordeaux, Versailles, Dijon, Montpellier et Bruxelles.

Lea Desandre – photo : James Bort
Pour l’heure, en ce jeudi 2 octobre 2025 et devant une salle archi-comble, nous découvrons (car ce fut le cas pour de nombreux mélomanes toulousains) une œuvre de grande envergure mobilisant ici pas moins de 14 choristes, 27 musiciens et 5 solistes dans des rôles redoutablement difficiles.
Après Sainte Thaïs, voici, toujours au Capitole, Sainte Theodora. Décidément ! Mais il faut bien çà avant de recevoir…Don Giovanni ! Redevenons sérieux. L’histoire de Theodora est celle de deux martyrs chrétiens du IVème siècle et la seule dans la production haendélienne qui ne soit pas issue de la Bible. Theodora aime un jeune officier romain, Didymus, secrètement converti au christianisme. Alors que par décret, tout le monde doit sacrifier à Jupiter, Theodora refuse. Condamnée à la prostitution, elle s’évade de prison grâce à la complicité d’un autre officier romain, Septimius, ami de Didymus, ce dernier prenant sa place. Cela ne finira pas pour autant très bien puisque Theodora se livrera in fine et les deux jeunes gens périront sur le bûcher. La création de l’ouvrage en 1750 au Théâtre Royal de Covent Garden de Londres ne connut qu’un succès d’estime. Et encore… Pourtant de grandes stars de l’époque étaient dans la distribution, dont Giulia Frasi dans le rôle-titre et le célébrissime castrat alto Gaetano Guadagni dans celui de Didymus.

Thomas Dunford – Photo : Julien Benhamou
Il est évident que, de nos jours, seules des interprétations dites informées sont capables de restituer toute la splendeur de pareilles œuvres. C’est bien sûr le cas de l’Ensemble Jupiter dont on ne sait qu’admirer le plus, de la couleur, de la précision, de la dynamique. Thomas Dunford, archiluth en bandoulière, dirige cet ouvrage avec une passion dévorante. C’est la basse Alex Rosen (que l’on a applaudi en Alidoro au Capitole lors des dernières reprises de Cenerentola en avril 2024) qui ouvre le drame en décrétant l’obligation du sacrifice. Son timbre d’airain convient parfaitement au personnage du préfet d’Antioche en charge de persécuter les chrétiens par tous les moyens, ici un sacrifice aux dieux païens. La voix est puissamment projetée et fait incontestablement autorité. Nous découvrons ensuite les deux officiers romains. Didymus est ici confié au contre-ténor Hugh Cutting. Il déploie dans ce rôle une technique affirmée lui permettant de couvrir plusieurs octaves avec une grande efficacité dans l’impact dramatique. Septimius est un rôle également difficile vocalement et dramatiquement car il est entre deux croyances et deux pouvoirs. D’ailleurs, dans une version, il se convertissait au christianisme à la fin de l’œuvre, version qui ne vit jamais le jour officiellement. Le ténor Laurence Kilsby incarne ce personnage terriblement attachant avec une conviction vocale et scénique qui lui valut une véritable ovation au salut final. Remplaçant Véronique Gens initialement prévue, nous découvrons la mezzo-soprano Avery Amereau dans rôle d’Irène, amie, confidente de Theodora et surtout femme de conviction. Elle est un personnage brûlant de toute son âme dans son amour pour Dieu. L’immense Joyce DiDonato en a fait l’un de ses rôles signature, c’est tout dire. Avery Amereau se révèle souveraine dans le phrasé, la couleur chaude de son timbre automnal, les colorations multiples, l’ardeur dans la projection. Lea Desandre en Theodora paraît à côté par trop marmoréenne. Ce n’est pas la splendeur d’un organe parfaitement maîtrisé qui est en cause, c’est plutôt la conception du rôle que l’on aurait souhaité plus dense et engagée. D’autant que tout autour d’elle respire la grandeur dramatique haendélienne.
Une ovation unanimement accordée est venue saluer cette représentation.
Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse