Même si la canicule, son inconfort et ses drames, sont encore présents dans nos esprits, l’Automne au coin du bois joue de l’harmonica comme l’écrivait Maurice CARÊME:
L’automne au coin du bois,
Joue de l’harmonica.
Quelle joie chez les feuilles !
Elles valsent au bras
Du vent qui les emporte.
On dit qu’elles sont mortes,
Mais personne n’y croit.
L’automne au coin du bois,
Joue de l’harmonica.
Voici revenue la saison de mes coups de cœur… d’automne.
Et d’abord jusqu’au 21 septembre… qui sera le premier jour de l’automne à l’équinoxe.
CARLOS PRADAL
au Musée du Vieux Toulouse – Hôtel Dumay
Carlos PRADAL s’expose au musée du Vieux-Toulouse (1).
Découvrez tant qu’il est encore temps l’œuvre de cet artiste éminent de l’Espagne républicaine en exil à Toulouse, où il est arrivé en 1939 à l’âge de 7 ans, beaucoup plus connu pour son œuvre peinte: il faut absolument aller se « rincer l’œil » grâce à ses talents méconnus de dessinateur.
C’est une autre facette de son art qui se révèle ici, grâce à une soixantaine d’œuvres prêtées par son fils -le guitariste-chanteur-compositeur Vicente PRADAL (2)- et par Pierre Nouilhan, ami de l’artiste et… membre du conseil d’administration de l’association des Toulousains de Toulouse.
La plupart de ces encres et lavis, issus de collections privées, n’ont jamais été exposés; inédits pour la plupart, ils proposent une immersion dans l’univers de Carlos PRADAL, fait de passantes, de toreros, d’amis connus ou anonymes, de femmes, d’enfants, de musiciens et de chanteurs. Un univers où transparait une poésie mélancolique, une gravité qui n’exclut pas les pointes d’humour.
Un univers où l’Espagne, suggérée ou évidente, est toujours à fleur de peau.
« Cette exposition est vraiment une première, souligne Jérôme Kérambloch, assistant de conservation au musée du Vieux-Toulouse. La technique de dessin de cet artiste est très instinctive, révélant le condensé de son sujet en quelques coups de pinceau, en quelques traits de crayon. L’exposition révèle cependant des manières différentes, propres au médium employé: tantôt un lavis au pinceau, tantôt une mine de plomb ou une pointe fine, voire un stylo à bille. La gouache introduit parfois quelques notes de couleur sur un noir et blanc intense proche de celui des photographes humanistes.
Une soixantaine d’œuvres évoquent les sujets de prédilection de l’artiste:
– autoportraits:
– nus, animaux, chanteurs de flamenco et guitaristes dont son fils bien sûr, scènes de tauromachie: le Llanto por Ignazio Sànchez MEJÍAS –matador célèbre mort tragiquement dans les arènes de Manzanares-, de Federico Garcia LORCA, le poète assassiné, son ami, a été mis en musique de façon magistrale par… Vicente PRADAL: A la cinque de la tarde…
– et puis il y a ses phares: j’ai été profondément ému par les portraits de deux autres immenses poètes du XXème siècle, assassinés: Miguel HERNANDEZ
que le regretté Henri GOUGAUD (auquel je vais consacrer un Poète à l’École pour la Compagnie des Écrivains du Tarn-et-Garonne au printemps prochain) a placé dans ses Poètes assassinés:
Dans la colonie pénitentiaire d’Alicante
Miguel HERNANDEZ embrassait les chaussures vides et les morts sur les yeux
« Nous n’appartenons pas à un peuple de bœufs » disait-il.
Il chantait une splendeur innocente
pour son fils mort de faim à dix mois…
et Pablo NERUDA
à qui Louis ARAGON a dédié une splendide complainte:
Absent et présent ensemble
Invisible mais trahi
Neruda que tu ressembles
À ton malheureux pays
Ta résidence est la terre
Et le ciel en même temps
Silencieux solitaire
Et dans la foule chantant…
Je me suis longuement arrêté devant le portrait de Claire PRADAL, la mère de Vicente, la grand-mère de Paloma et Rafael, l’épouse de Carlos (je me suis déjà interrogé sur Culture 31 d’une telle hérédité artistique (!), une grande Dame que j’ai eu la chance de bien connaître
et avec qui j’ai partagé un amour commun pour Don Antonio MACHADO, un des plus grands poètes du XXème siècle, qui a si bien immortalisé les patios de Séville, « ces clairs jardins où mûrit le citronnier » et les petits chevaux de bois de son enfance. Il répétait souvent que ce monde n’est pas viable si la force brutale au front de taureau est investies des pleins pouvoirs.
Les Passantes ont établi d’emblée dans mon imaginaire une correspondance avec celles de Brassens, un petit chef d’œuvre que je ne peux résister au plaisir de vous faire partager:
J’ai enfin souri devant les cartons anticléricaux représentant des ecclésiastiques en soutane « confessant » des demoiselles dans le plus simple appareil.
Je suis ressorti, tout rêveur, en pensant à Paul ELUARD qui dans Donner à voir écrivait « Le poète est celui qui inspire bien plus que celui qui est inspiré. Les poèmes ont toujours de grandes marges blanches, de grandes marges de silence où la mémoire ardente se consume pour recréer un délire sans passé. Leur principale qualité est non pas, je le répète, d’invoquer, mais d’inspirer… » Je pouvais le paraphraser: « Le plasticien est celui qui inspire bien plus qu’il est inspiré. »
Une fois revenus dans la cour du magnifique hôtel Dumay après avoir plongé dans l’univers dessiné intime de Carlos PRADAL visible jusqu’au 21 septembre, je me suis rendu au premier étage du musée du Vieux-Toulouse, pour une remontée dans le temps. L’exposition permanente est un voyage dans le Toulouse passé, de remparts en bord de Garonne, dans ses rues blanches avant d’être roses, mais aussi dans sa vie politique avec les capitouls et sa vie artistique foisonnante, et parfois méconnue. J’ai eu un petit pincement au cœur devant un surjoug surmonté de clochettes pour les couples de bœufs comme il y en avait chez ma chère grand-mère Eugénie à la campagne, témoins d’une civilisation rurale bien oubliée.
Rien n’empêche le visiteur venu pour découvrir les œuvres de Carlos PRADAL de faire de même; bien au contraire.
Le musée du Vieux-Toulouse est ouvert du lundi au samedi de 14 heures à 18 heures. Tarif plein 5€, tarif réduit 3€, gratuit pour les moins de 10 ans. Visite guidée sans supplément le mercredi et le vendredi à 15 heures. Exposition Carlos Pradal jusqu’au 21 septembre.
Musée du Vieux-Toulouse 7 rue du May 31000 Toulouse 05 62 27 11 50
INGRES-BOURDELLE
Musée Ingres-Bourdelle Montauban
Dans un autre style, beaucoup plus monumental, et pour cause puisqu’il s’agit de sculptures, -et même si sont présentées ici aussi des œuvres de petite taille-, il ne faut pas rater non plus cette exposition qui met en lumière les correspondances entre deux géants de cet art si puissant à tous points de vue.
C’est déjà un grand plaisir d’aller flâner à Montauban avant de rentrer dans l’ancien palais des évêques, où les œuvres d’INGRES nous sont tellement familières, pour découvrir l’autre enfant de la « plus rose des villes roses. »
La confrontation de ces deux sculpteurs, chacun tour à tour les plus célèbres de leur temps, n’avait encore jamais été organisée, et elle est époustouflante.
Rassemblant plus de 170 œuvres (sculptures, dessins, peintures, photographies et archives), cette exposition retrace les étapes de leur relation faite d’abord de l’admiration du jeune BOURDELLE à l’égard de son maître RODIN, puis d’une nécessaire distanciation, et enfin de retrouvailles d’égal à égal qui permettront à celui-ci de fermer l’histoire de la sculpture du XIXe siècle et au premier de l’ouvrir vers l’avenir.
De L’Homme qui marche et La Centauresse de RODIN à Adam et La France de BOURDELLE, j’ai déambulé au milieu de sculptures au rayonnement intense.
J’ai fait halte devant le Buste d’Arlette X par Alberto GIACOMETTI, dont je garde encore le souvenir de la très belle exposition aux Abattoirs de Toulouse.
Je me suis arrêté plus longuement devant le Portrait de Stéphanie VAN PARYS assise, vers 1905, par BOURDELLE, où il faisait preuve aussi d’un grand talent pictural.
J’ai aussi appris que BOURDELLE qui, auprès de RODIN, a rencontré Camile CLAUDEL (cette immense artiste qui en tant que femme faisait de l’ombre à son frère Paul, comme à RODIN, et qui le paya de sa vie) et a écrit en 1926 ces vers (une corde de plus à l’art du montalbanais) en souvenir de son visage:
« Cette chair de cristal moite de vivre encore
se dés-ombrage aux yeux attestés du soleil […]
Et le marbre émouvant des paupières mi-closes
s’accomplit de rosée au long éclair obscur
Dans le grand regard tiède où s’animent les roses. »
Décidemment « La poésie est le premier millimètre d’air au-dessus de la terre » comme l’écrivait Marina Tsvetaeva (1892-1941) en connaissance de cause.
Muchas gracias à Vicente PRADAL pour les photos des œuvres de son père.
Je vous recommande aussi deux livres.
CEUX QU’ON AIME NE MEURENT JAMAIS
Il y a des livres qui vous marquent pour la vie: Le choix de Sophie de William STYRON et Un homme d’Oriana FALLACI, découverts pendant mon adolescence, sont de ceux-là. Aujourd’hui à 75 ans bien sonnés, Ceux qu’on aime de Victoria HISLOP vient de s’y ajouter.
Il s’agit du portrait d’une femme grecque extraordinaire des années 1930 aux années 1980.
Récemment libérée de l’occupation allemande, la Grèce fait face à de violentes tensions internes. Confrontée aux injustices qui touchent ses proches, alors que son frère policier penche du côté des fascistes, la jeune Thémis décide de s’engager auprès des communistes et se révèle prête à tout, même à donner sa vie, au nom de la liberté. Arrêtée et envoyée sur l’île de Makronissos, véritable prison à ciel ouvert, Thémis rencontre une autre femme, militante tout comme elle, avec qui elle noue une étroite amitié. Lorsque cette dernière est condamnée à mort, Thémis prend une décision qui la hantera pendant des années: elle élèvera son fils comme si c’était le sien. Au crépuscule de sa vie, elle lève enfin le voile sur ce passé tourmenté, consciente qu’il faut parfois rouvrir certaines blessures pour guérir….
En plus d’une fresque sur la terrible période qu’à vécu ce pays dont notre culture a hérité tant de choses, c’est aussi la peinture sensible et pleine de tendresse pour une famille où les extrêmes politiques se côtoient, parfois violemment, pour se retrouver au seuil de la vieillesse, en cultivant le souvenir de ceux et celles qui ont été sacrifié.e.s sur l’autel de l’Histoire politique.
Le titre est un vers de Yànnis RITSOS (1909-1990) tiré du poème Epitafios (3) qui a été mis en musique par le grand Mikis THEODORAKIS
TU N’ES PAS LOIN
Mon fils, entraille de mes entrailles, cœur de mon cœur,
oiseau de l’humble cour, de mon désert la fleur,
Où s’est-il envolé, où suis-je avec ma peine ?
Plus d’oiseau dans la cage, plus d’eau dans la fontaine…
Mon enfant, mon chéri, quelle Moire chagrine
a décidé ce feu qui brûle ma poitrine ?
Mon fils, tu n’es pas loin, dans mes veines tu cours.
Dans les veines de tous entre et vis pour toujours.
Parlant de la Grèce, j’ai toujours une pensée émue pour Angélique IONATOS (1954-2021), trop tôt partie, dont le travail portait sur des richesses immémoriales, et qui a laissé un legs immense à la poésie grecque et française. Merci Angélique !
Et aussi
LE CRI DES FEMMES AFGHANES
La Poésie persane est l’une des plus anciennes et des plus belles du monde, l’Iran a toujours été un pays de Poètes, de Poétesses aussi, comme celle qui apparaît sur une fresque murale dans le palais Âli-Qâpu (XVIIème siècle) à Ispahan: pendant longtemps elles n’avaient pas droit à la parole; et aujourd’hui on leur refuse à nouveau ce droit; ce qui rend cette parole si précieuse.
Au travers d’une génération de femmes contemporaines du mouvement « Femme, Vie, Liberté », on peut ressentir avec douleur la manière dont la répression brutale du régime s’attaque à elles.
On peut en trouver les échos dans le florilège paru aux Editions Bruno DOUCEY, et dans mon cahier de Poésie j’ai noté ce poème Je ressemble à une chambre noire de Roja CHAMANKAR:
À nous
Les gants noirs et silencieux
À nous
Les mensonges faciles
À nous
Les exécutions en masse
À nous
La patrie en déroute
À nous
Les manches de couteaux
Tu sais
Ô combien le goût de l’eau est amer.
Comme sous l’Occupation en France, de nombreuses femmes ont choisi de résister, au péril de leur vie; et l’on tremble pour elles en les imaginant aux mains de leurs bourreaux, encore plus parce qu’elles sont femmes et que le viol est une arme de guerre.
Toujours aux éditions Bruno DOUCEY et traduit par Farideh RAVA, j’ai aussi dévoré Je respire sous la pierre d’Atieh ATTARZADEH, poétesse, cinéaste, un recueil en édition bilingue persan-français:
Certaines d’entre nous meurent
Certaines d’entre nous sont écrasées
Certaines d’entre nous brûlent vives
Parfois on nous crucifie
Parfois on nous arrache la langue
Parfois on nous retire les ongles
Certains d’entre nous restent seulement assis
Nous fumons des cigarettes
Et disons à voix basse :
« Les petites choses ont une importance éternelle »
Et après une toux
À nouveau nous reprenons notre vie.
A ces femmes résistantes j’ai dédié ce petit poème écrit le jeudi 19 août 2021 au Castelet de l’ancienne Maison d’Arrêt St Michel pour le 77ème anniversaire de la Libération de Toulouse, à l’occasion de la représentation de Liberté, j’écris ton nom, notre concert poétique avec Servane SOLANA et Didier DULIEUX dédié à ces quelques poignées de femmes et d’hommes dont la lutte sans relâche et l’espoir « à pleurer de rage d’un monde meilleur pour tous » ont permis de faire lever dans notre pays, la France, « une aube qui a dissout les monstres (Paul ELUARD). »
De Corba de Péreille brûlée vive à Montségur pour sa foi
A Angèle Bettini-Del Rio dont l’étoile rebelle brille toujours
En passant par Olympe de Gouges guillotinée pour ses idées
Et par les Iraniennes de Femmes, Vie, Liberté
Liberté Femmes Liberté flammes
Femmes Résistantes que j’aime
La Résistance continue !
Pour en savoir plus:
3) Épitaphe, écrit en 1936, est l’une des premières œuvres du grand poète grec Yannis RITSOS. Un évènement marquant déclencha l’écriture de ce texte. Nous sommes en mai 1936, à Thessalonique. Au cours d’une grève des ouvriers du tabac, le sang coule. Un jeune ouvrier du nom de Tasos TOUSIS est tué par les forces de l’ordre, en pleine rue. La manifestation ne faiblit pas. Une femme reste là, un long moment, penchée sur le jeune homme. La photographie de cette mère pleurant son enfant mort est publiée le lendemain dans le journal. RITSOS, bouleversé par la scène, s’enferme quelques jours pour écrire; ce sera ce recueil de poèmes titré Epitaphe – Epitafios. Le régime dictatorial de Metaxas a brûlé l’ouvrage en place publique !
Mikis THÉODORAKIS viendra se joindre à l’œuvre écrite, par la présente mise en musique du poème agencé en huit parties. Pour sa part, Michel VOLKOVITCH, grand traducteur de la poésie grecque, explique comment il a abordé Épitaphe: « RITSOS a été plus abondamment traduit en français que SEFÈRIS et ELYTIS eux-mêmes, et il a ses traducteurs attitrés. Je ne comptais pas m’occuper de lui, sauf pour quelques poèmes destinés à l’anthologie Gallimard ; mais voilà qu’en 2000 on m’a commandé la traduction des morceaux [ci-dessous]. C’était pour un disque de mélodies (Nena VENETSANOU Mikis THEODORAKIS, MBI, Athènes). Un travail quasi clandestin, payé en liquide, sans contrat et sans doute sans lecteurs: qui se sera donné le mal de lire les lettres minuscules du livret ? N’empêche que j’ai pris un extrême plaisir à rimailler sur ces petits bijoux.» Puis le traducteur de rappeler comment « Yànnis RITSOS a été de son vivant le plus célèbre des poètes grecs, à l’étranger du moins. Son activité militante, qui lui valut d’être déporté plusieurs fois par la droite, ne pouvait nuire à sa popularité, surtout dans les pays communistes. Mais il a n’a pas volé sa gloire: c’est un poète immense par la stature autant que par le volume de son œuvre. Gigantesque (plus de cent recueils), d’une incroyable variété, elle offre parfois le pire, mais bien souvent le meilleur. On connaît Rìtsos avant tout pour ses grandes envolées lyriques ou épiques, mais il n’est pas moins à l’aise, comme ici, dans un registre simple, proche de la poésie populaire. »