C’était l’affluence des grands jours sur le parvis de Notre-Dame-de-l’Assomption, et Dieu sait que les concerts organisés par AVOcACOL (1) attirent du public.
Quand on levait les yeux au-dessus de la scène installée au fond de la nef avec ses enceintes, amplificateurs, retours et lumière, on ne voyait que lui, semblable à une divinité tutélaire, protectrice des musiciens: sa Majesté l’Orgue Cavaillé-Coll (2) -que l’on pouvait admirer sur l’écran géant avant le concert-, avait mis son habit de soirée pour recevoir son petit cousin l’Orgue Hammond, flanqué de ses deux cabines-Leslie (3), qui allait danser sous les doigts (et les pieds) de Lady Rhoda Scott (4), une légende du Jazz et l’une des dernières représentantes de la tradition musicale afro-américaine du début du XXe siècle, et ses Lady All Stars, Julie Saury à la batterie et Lisa Cat-Berro au saxophone alto, qui ce soir étaient accompagnées… par un homme à la trompette, Julien Alour.
L’assistance avait rempli toute ladite nef, des personnalités étaient présentes, Monsieur le Maire de Luchon, son adjoint à la Culture, les présidents de la Communauté de Communes etc.; et ce ne sont pas les Saints, très attentifs, ni le Christ pantocrator et sa bienheureuse Mère au plafond du chœur, qui auraient fait la fine bouche, puisque Rhoda Scott a joué dans de très nombreuses églises du monde au cours de sa longue carrière, commencée il y a bien 70 ans (!).
Et celle-ci rayonnait d’un immense bonheur d’être là et de jouer pour nous.
Deux grands organistes, invités du Festival, David Cassan et Olivier Penin, ont ouvert cette soirée à marquer d’une pierre blanche sur l’hôte de celle-ci donc, ce grand orgue vénérable qui a fêté ses 150 ans en 2020 (Lady Rhoda Scott a souligné que « c’était un grand privilège de jouer sous ses auspices »), par une improvisation à deux puis quatre mains, très jazzy où le grand Bach côtoyait sans forfanterie des thèmes très contemporains, dont le final époustouflant a fait se lever une salve d’applaudissements.
Mon petit-fils, dont c’était le premier concert de « Jazz », a tout de suite remarqué que « la Dame avait les pieds nus » (sur le pédalier de basses comme je le lui ai expliqué, en lui apprenant son surnom de « The Barefoot Lady »), et qu’elle était la seule du groupe à jouer sans partitions. » Il a compris qu’elle dirigeait l’ensemble, mais n’oubliait jamais de mettre en lumières ses partenaires. Personnellement, j’ai retrouvé avec grand bonheur sens inimitable de la mélodie de cette grande Dame et le son inoubliable de son cher Orgue Hammond, une personnalité à part entière, (qui a son régisseur attitré, s’il vous plaît).
Dès le premier morceau, « çà swingue énormément » a remarqué l’un de mes voisins de derrière qui ne peut s’empêcher de taper du pied, comme moi; et il est vrai que ça bougeait beaucoup sur les bancs de bois, dont nous avions vite oublié la dureté.
Les morceaux se sont enchainés selon une playlist bien huilée:
City,
Valse à Charlotte
Tricky Lady,
Ballade #1: Polka Dots and Moonbeams (Jimmy Van Heusen) featuring Julien Alour
R and R
TyTy,
Ballade #2: Nizza (Rhoda Scott) featuring Lisa Cat-Berro
MD Blues
I wanna move
Et il m’a semblé reconnaître une mélodie d’une chanson de Charles Trenet et de Claude Nougaro qui passaient par là, parce que sans doute ils s’abreuvaient aux mêmes sources…
La Dame à la batterie (je déteste le mot batteuse, cela fait agricole), a un pulsion très fine sans oublier d’assurer un tempo impeccable et entrainant; « inspiré de Tony Williams » a affirmé encore mon voisin de derrière. Sa belle composition, TyTy, où elle a pris trois solis fort réjouissants, au début, au milieu et à la fin, est un petit régal.
La saxophoniste alto, non seulement belle mais aussi très talentueuse a fait glisser sur nous un velours musical où son feeling fait merveille, sa composition Tricky Lady lui correspond bien tant elle est fine et presque diaphane dans les lumières blanches crues et tant son jeu est délicat, très pur, avec des reflets blonds comme ses cheveux.
Par opposition à celui du trompettiste, tout en puissance, un peu trop acéré à mon goût, mais qui a enthousiasmé mon voisin de derrière (décidément très connaisseur), car « il est hérité du free-jazz et d’Archie Shepp en particulier. »
Personnellement, j’ai préfé son duo avec Rhoda Scott sur Polka Dots and Moonbeams, la deuxième ballade.
Pour ma voisine de droite, les deux ballades pourtant bienvenues « ralentissaient trop le rythme endiablé des autres morceaux »; j’ai eu envie de lui glisser: « pourtant cela devrait rassurer un peu Monsieur le Curé » (dont j’ignore en fait s’il était présent avec sa belle soutane).
Mon autre voisine qui ne disait mot, sensiblement du même âge que la maîtresse de cérémonie, avait lâché ses béquilles pour marquer le rythme avec ses deux pieds, et ils se sont regardés plusieurs fois en souriant, mon petit-fils, qui rythmait sur ses genoux, et elle; cette connivence musicale entre deux générations très éloignées m’a ému, comme celle, bien que fugitive, après le concert, avec Rhoda Scott qui en lui dédicaçant son disque (je suis sûr qu’il le conservera bien précieusement) quand elle lui a demandé « s’il jouait d’un instrument », et quand il a répondu » du piano », elle lui a conseillé « d’essayer l’orgue. »
En rappel, What I say de Ray Charles où le public entier a chanté avec elle le refrain Now, now, hey hey, hey hey, ho ho… Baby feel so good…Alright now…
Oui décidément, c’était un concert historique dont l’Église Notre-Dame-de-l’Assomption et Bagnères-de-Luchon se souviendront longtemps.
Mon petit-fils et moi, comme le public qui trainait la patte pour sortir de l’Église, nous avons eu du mal à nous séparer de cette grande Dame et de ses ami.e.s, il nous a fallu aller boire un pot au Castel d’Alti: je lui ai dit que, si j’aime toutes les musiques du Baroque aux Musiques du Monde comme le Blues, j’ai un petit faible pour le Rock-and-Roll – je lui ai expliqué qu’il a été ma révolution à 20 ans alors que mon père n’écoutait que du Wagner, et que j’ai rendu hommage à mes phares (The Who, Jimi Hendrix, Jim Morrison et les Doors etc.) dans mon concert poétique Mes Poètes du Rock-, mais que j’écoute aussi souvent des musiciens de « Jazz » que je lui ferait découvrir comme Billie Holliday, Ella Fitzgerald, Louis Armstrong, Ray Charles, Nina Simone, Don Cherry, Keith Jarret, Jan Garbarek… et Rhoda Scott, ce qui lui a fait très plaisir.
Nous sommes rentrés dans nos pénates, la lune pleine rayonnait comme un petit soleil et je lui ai cité Francis Jammes, le poète préféré de ma chère grand-mère Eugénie (qui me jouait sur son clavecin des Nocturnes de Chopin et des Mélodies de Fauré pour m’endormir), amoureux de ses chères Pyrénées: « La lune accuse déjà la silhouette violette des montagnes, elle va noyer dans ses eaux de lumière trembleuse la forêt assombrie, avant de se poser, fruit rouge, sur la branche la plus fine du rosier. »
Et nous nous sommes endormis bercés par les vagues bleues de l’Orgue Hammond de Lady Rhoda Scott.
PS : Bravo au régisseur du son qui a su dompter les 6 secondes de réverbération de la nef pour nous donner à entendre sereinement les sons superbes délivrés par ces musiciens si généreux.
Et un grande merci à Eugénie Sampognaro pour ses photos du concert.
PS2 : Il reste encore trois concerts à ne pas rater dans ce Festival d’Orgue de Luchon 2025:
– Jean-Pierre Rolland (orgue) et Michèle Peladan (mandoline) le 20 août,
– David Cassan le 26 août,
– Erwan Letertre le 7 septembre.
Pour en savoir plus :
1) AVOCaCOL: Association Les Voix de l’Orgue Cavaillé-Coll de Luchon
2) L’Orgue Cavaillé-Coll de l’Église de Luchon
4) Rhoda Scott
Enfant autodidacte, elle remplaçait déjà l’organiste titulaire de l’Église son père Pasteur à Dorothy (New Jersey).
Après s’être aussi formée dans les bals avec un orchestre itinérant et lors d’un passage dans le Club de Count Basie à Harlem, ayant acquis une certaine notoriété, elle s’installe à Saint-Germain-des-Prés où elle s’insère dans la vie culturelle parisienne, avant de se lancer avec son Orgue Hammond dans des concerts autour du monde; et elle n’a pas arrêté depuis.
Elle revisite autant le répertoire sacré et profane, religieux et populaire, de Bach aux Beatles, et les standards du Jazz, elle est la mémoire vivante de centaines de negro-spirituals qu’elle connaît pas cœur. Chapeau Madame !