Le samedi 17 mai 2025, Molière, le spectacle musical fait vibrer le Zénith de Toulouse. Dove Attia, figure incontournable des comédies musicales en France, y dresse le portrait d’un Molière rebelle et contemporain, entre pop, rap et slam, le tout porté par des décors et costumes du XVIIe siècle. Pour Culture 31, le créateur-producteur revient sur sa vision de Molière, ses partis pris audacieux et son ambition d’un spectacle aussi populaire qu’exigeant.

Dove Attia, celui que ses troupes appellent « le prof », a créé et produit Molière, le spectacle musical en représentation au Zénith de Toulouse le samedi 17 mai 2025 © Dove Attia / Euterpe Productions
Pourquoi avoir choisi un Molière rebelle au cœur du spectacle ?
Dove Attia : Molière était un auteur libre. Il aurait pu se contenter d’amuser le roi, mais avec Les Précieuses Ridicules, il s’est fait des ennemis. C’était un rebelle. Il a longtemps bénéficié du soutien royal, jusqu’à ce que celui-ci soit contraint de le lâcher. En plus d’être libre, Molière était un chef d’entreprise qui savait parler aux puissants.
Comment avez-vous façonné ce Molière ? Vous êtes-vous inspiré de figures modernes de la musique ou du cinéma ?
Dove Attia : Pas du tout. Autant pour Mozart, je me suis inspiré du film Amadeus de Milos Forman. Pour Molière, je me suis appuyé sur ma propre expérience. Molière est un homme moderne. L’École des femmes est, selon moi, la première pièce féministe. Dire qu’une femme choisit son mari et son plaisir, c’était audacieux à l’époque. Et Madeleine Béjart, qui dirigeait la troupe, incarnait aussi cette liberté artistique.
Quel artiste serait Molière en 2025 ?
Dove Attia : Il n’y avait pas d’images à l’époque, mais tout le monde connaissait Molière. C’est une rockstar, il y a ce côté rebelle qu’on préserve. Aujourd’hui il aurait été libre et engagé. Il faudrait trouver un équivalent de sa stature, est-ce vraiment possible ? Il fournissait les pièces populaires, Racine les drames. La liberté à l’époque n’est pas la même qu’aujourd’hui : la société est très libre de nos jours, mais il aurait été très populaire.
« Il n’y avait pas d’images à l’époque, mais tout le monde connaissait Molière. » – Dove Attia
Quelle facette de Molière auriez-vous aimé explorer plus ?
Dove Attia : Le spectacle musical, c’est un divertissement et non pas un cours d’histoire. Dans le livret co-écrit avec François Chouquet, notre plus grand regret, c’est qu’on ne peut pas tout mettre en 2h15. Il faut puiser dans l’intériorité des personnages, sinon ce serait superficiel. Lully et Molière, deux égos du showbiz de l’époque, avaient une rivalité passionnante que j’aurais aimé explorer. Lully (qui m’a beaucoup inspiré) était à la musique, Molière écrivait les textes. Cela s’appelait la comédie-ballet, ils ont créé la comédie musicale.

Molière a inspiré Dove Attia
Comment l’album reflète-t-il Molière et les combats actuels ?
Dove Attia : Je suis parti du livret. Quand Molière épouse Armande, une femme plus jeune fille de sa comédienne Madeleine Béjart, cela a choqué…
D’ailleurs, personne ne sait si Madeleine et Armande Béjart étaient mère-fille ou si elles étaient sœurs…
Dove Attia : Qu’Armande soit la fille de Madeleine, c’est plus provocateur. On a fait ce choix-là. Le single On se moque est la réponse du couple au sacrilège, leur amour est authentique.
« J’ai trouvé cette musicalité naturelle dans Molière. Je mettais un rythme et je lisais du Molière et ça allait tout seul. » – Dove Attia
Comment la troupe et le spectacle incarnent-ils le XVIIe siècle et la modernité ?
Dove Attia : Molière, c’est un opéra urbain. Il y a du slam avec des rimes et des pieds comme Molière les écrivait, avec en plus cette énergie folle. Les titres sont mélodiques, l’instrumentation rythmée. J’utilise le clavecin et les cordes comme à l’époque mais avec ce groove moderne. Je prends le temps, il y a le facteur chance. Pour tous mes spectacles, il y a plus d’un an et demi de préparation. Tous mes concurrents font des gros castings comme les popstars qui choisissent des danseurs pour leurs tournées. Soit j’ai la personne que je veux, soit le casting peut prendre plus d’un an. PETiTOM, qui incarne Molière, a été pris deux mois avant les répétitions. Il faut remercier Jean-Daniel Vuillermoz pour les costumes, Ladislas Chollat pour la mise en scène, et aussi Catherine Saint-Sever pour les maquillages et coiffures. Dans le dernier tableau de l’acte I, lorsque Monsieur inaugure le Théâtre du Petit-Bourbon, avec la chanson rap pop Aujourd’hui tout va bien, j’aime ça parce que c’est Monsieur qui fête Molière. J’aime ce qui est osé.
Vous avez réussi, plus jeune, le concours d’entrée à Polytechnique. Vous avez été interrogateur en mathématiques. Comment cette rigueur analytique influence-t-elle vos spectacles ?
Dove Attia : Il faut partir à l’envers. J’aimais la musique, les Beatles, les Sex Pistols, Queen. Mes parents me disaient « passe ton bac ». Je ne suis pas entré dans le monde de l’entreprise, sinon j’allais dire adieu à mes rêves. L’enseignement me sert beaucoup. Je suis le prof de la troupe. Mes artistes me disent : “Dove, arrête de jouer au prof”. En ce qui concerne la rigueur, je garde cet esprit de synthèse.

PETiTOM joue Molière dans le spectacle musical éponyme, créé et produit par Dove Attia © Hyronic – Own Work / Wikimédia
Quel risque personnel avez-vous pris avec ce spectacle ?
Dove Attia : Je suis plus créateur que producteur. Je prends des risques, j’investis trois ans de ma vie. Au début, pour Molière, la salle était vide. Molière fait image vieillotte, le mot urbain fait peur. Les chansons très fortes n’étaient pas passées en radio. C’était plus facile de vendre les comédies musicales avant. La trend TikTok pour le single Rêver j’en ai l’habitude, c’est une chance qui nous a aidé.
« C’est le spectacle de ma vie, de la maturité. » – Dove Attia
Pourquoi ce spectacle est-il votre plus accompli ?
Dove Attia : C’est le livret le mieux écrit. La mise en scène est exceptionnelle, les costumes, les décors avec de la modernité : on y croit. La relation avec le père, les échecs, Molière nous enseigne. C’est le spectacle de ma vie, de la maturité. Il s’agit de mon 9e spectacle qui va s’exporter en Chine. J’ai fait des erreurs et j’ai appris. C’est la synthèse de mes huit spectacles précédents. Je ne suis pas un génie, je suis un travailleur. J’ai la chance d’avoir rencontré le metteur en scène Ladislas Chollat (notamment de Résiste, le jukebox musical créé par France Gall des œuvres de Michel Berger, ndlr), le chorégraphe Romain R.B. J’espère que le public toulousain, comme moi, emporte avec lui l’esprit de Molière et que les enfants aient envie de le lire. À mon humble échelle, je veux que le public ressorte du show avec des étoiles plein les yeux.
Propos recueillis par William Alimi