Tout commence par l’attention, le soin et finit par La Tendresse. La prochaine saison débutera par Care to Carry — dans le cadre de La Biennale —, un projet méditatif à la frontière de différents arts, où le spectateur sera invité à déambuler dans la ville avec une pierre. La Tendresse clôturera l’année avec un questionnement sur la masculinité et huit hommes d’horizons opposés livreront leur identité avec éclat et humour à travers le regard d’une femme, la metteuse en scène Julie Berès.
Véritable laboratoire d’expérimentation théâtrale, La Biennale revient donc cette année pour sa 3ème édition, et propose une trentaine de spectacles dans 25 lieux d’accueil. Ce festival, comme une fenêtre sur la création, « un pas de côté », associe une quarantaine de structures de la métropole, et cherche à fidéliser des artistes, tout en bousculant les codes des arts vivants. L’occasion de glisser dans la moiteur d’un Hammam ou l’étrangeté d’un canapé vivant avec Sofa Project, de réfléchir à la Koulounisation et à la question de la domination, de briser des barrières avec Cécile et de s’engager pour des causes comme l’écologie ou les droits des migrants, ou encore de ne pas détourner le regard devant la nudité des corps dansants de 30 appearances out of darkness d’Arno Schuitemaker (avec La Place de la Danse). Une biennale comme une nouvelle galaxie de projets, avec ces deux énormes pierres en Orbit sur le plateau, ou cette autre installation sans comédien de Stefan Kaegi, Nachlass, qui nous invite à côtoyer la mort à travers les témoignages de 8 histoires réelles, et autant de d’éléments de décor. Cette galaxie résonne de l’opéra contemporain pour piano et musique électronique des caissières lituaniennes de Have a good day et elle casse la baraque avec Minga de una casa en ruinas et son théâtre d’objets, avant de la rebâtir et s’interroger sur notre héritage, notre mémoire et ce qui constitue notre lieu de vie.
Dévoiler le caché, l’invisible, c’est aussi la mission du théâtre. Aurélien Bory lance la saison hors biennale avec invisibili et redonne vie et sens à cette fresque italienne du XVe siècle intitulée Le Triomphe de la mort, avec quatre danseuses, un chanteur et un musicien. L’occasion de célébrer la Sicile, cette terre d’accueil au cœur des enjeux politiques d’aujourd’hui. Autre terre dans la tourmente, la Grèce. Dans Le rêve d’Elektra, les mythes entrent en résonance avec trois histoires mêlées, où l’errance dérive jusqu’au chaos avant d’embrasser l’espoir. D’autres pièces fouillent le magma de nos racines. La compagnie Baro d’evel revient, en couleur cette fois, avec Qui som ? et ce mélange inspiré des disciplines qui la caractérise tant. Dans D’autres familles que la mienne, Estelle Savasta tricote une fiction à partir d’enquêtes sur les familles recomposées, et l’aide sociale à l’enfance. Les paléogénéticiens de Neandertal, quant à eux, remontent avec humour aux sources de notre espèce et de ses conflits ancestraux comme celui fossilisé au mur des Lamentations.
De notre héritage à la famille il n’y a qu’un pas. Un garçon délaissé par ses parents brise le silence dans Laughton. Extra life, conçue par Gisèle Vienne et avec la présence d’Adèle Haenel, vient dénouer un secret entre un frère et une sœur, dans une ambiance embuée de lasers et de danse. Tandis que le performeur et Drag Queen de Dynastie revient sur la transmission et l’identité à travers l’exemple des people, le seul en scène Deux sœurs se penche, lui, sur les conséquences de la migration et du déracinement. Identité et transmission sont aussi en jeu dans Je préfère regarder par la fenêtre : cette pièce, pensée comme un monologue intérieur poétique où la langue des signes se mêle au parler, une fille découvre que son père n’est pas son père.
Et quand la famille se corrompt, se noie, le théâtre est encore là pour briser les tabous. Les Trois petits cochons (à partir de 14 ans, au Théâtre Sorano) affrontent les monstres du passé en utilisant différents codes scéniques et cinématographiques, du thriller à la Nouvelle vague pour ne citer qu’eux. Et pour la deuxième année consécutive, La nuit se lève revient, au Théâtre Sorano cette fois, pour dénoncer la mécanique du silence autour de l’inceste : le combat de ces cinq femmes victimes d’abus s’illumine dans la fougue et l’allégresse malgré leurs douloureuses confessions. De l’espoir il y en a aussi dans Leviathan qui aborde le thème de la justice restaurative : une pièce documentée dans laquelle victimes et coupables renouent le lien brisé afin de surmonter le trauma. Les six femmes psychologues de Psychodrame cherchent aussi une autre façon de soigner en rejouant les drames de leurs patients et en déconstruisant une structure hospitalière sclérosée. Quant au désormais fidèle François Gremaud, lui, fait sa propre thérapie avec Allegretto, en racontant avec la cocasserie qu’on lui connaît, sa passion pour la 7ème symphonie de Beethoven à partir d’un navet de science-fiction. Comme des occasions de revenir à soi et d’apaiser notre histoire, Et tout est rentré dans le désordre décortique le cérémonial de notre propre enterrement et Illusions, orchestré par le duo Viripaev/Stoev, sonde la vie amoureuse de personnages au crépuscule de leur vie.
De Georges Feydeau à Albert Camus en passant par Euripide et son Hécube porté par Tiago Rodrigues, la catharsis littéraire viendra compléter d’autres catharsis, celles de la danse et de la musique avec Bate Fado — pour n’en citer qu’un — (présenté avec La Place de la Danse) et le Carnaval des animaux. Et le public s’émerveillera devant la forêt du conte revisité Blanche-Neige avant d’atteindre le firmament avec Fusées et Cosmos pour conjurer les ténèbres d’un côté et le sexisme de la conquête spatiale de l’autre.
Toute la saison 2024-2025 est disponible sur le site du ThéâtredelaCité.