La poésie ça ne sert à rien m’a t-on souvent seriné dès mon plus jeune âge, mais j’ai toujours été persuadé du contraire…
Et l’Affiche rouge m’a conforté dans cette conviction.
Si vous n’aviez jamais entendu parler de l’Affiche rouge, si vous ne connaissiez pas le nom de Manouchian, il est difficile de les ignorer aujourd’hui, parce que ce 21 février 2024 Missak Manouchian (1), son épouse Mélinée, et avec eux les 22 Résistants Francs-Tireurs-Partisans de la Main d’Œuvre-Immigrée qu’il commandait, sont entrés au Panthéon. Alors que cette part très importante de notre Histoire nationale a été très longtemps occultée, que la stèle en mémoire de ce héros, français par le sang versé, a été plusieurs fois profanée, comme le 17 février 2017, que de nombreuses réticences se sont faites jour à la première demande de panthéonisation qui s’est soldée par une fin de non-recevoir de François Mitterand, et même pour celle-ci qui a enfin aboutie grâce à l’acharnement des porteurs du projet, soutenus dès son origine par la Région Occitanie.
Celle-ci organisait un hommage lundi dernier devant plus de 500 personnes dont de nombreux lycéens et collégiens, en présence des protagonistes du projet: Pierre Ouzoulias, sénateur des Hauts-de-Seine et vice-président du Sénat, Jean-Pierre Sakoun, président d’Unité Laïque, initiateur et président du comité pour l’entrée de Missak Manouchian au Panthéon, et André Manoukian, pianiste auteur-compositeur, homme de radio à la gouaille bien connue des auditeurs de France Inter. Le témoignage de Hasmik Tolmajian, ambassadrice de la République d’Arménie en France, dont le pays est encore assailli, était particulièrement émouvant.
Mais qu’importe les obstacles puisqu’aujourd’hui celui qui en a tant rencontré dans sa courte vie, depuis le génocide de son peuple, la mort de son père les armes à la mains pour défendre sa famille, le décès prématuré de sa mère, cet orphelin apatride, est honoré comme un combattant français mort pour la France et que de nombreux hommages lui ont été rendus en 2024 partout dans ce pays qu’il aimait à en mourir, couronnés par celui de son entrée au Panthéon. Avec sa chère Mélinée et avec eux tous ces Résistants « étrangers » (c’est comme cela que je l’ai ressenti).
Après un début de vie tragique, Missak Manouchian, orphelin rescapé du génocide arménien de 1915, qui parlait parfaitement le français après son éducation dans un orphelinat du Liban (sous mandat français à l’époque), venu en France, patrie des Droits de l’Homme et du Citoyen, où il travaillait comme menuiser, était passionné par la Culture française, prenant des cours du soir à la Sorbonne et fréquentant la Bibliothèque Sainte Geneviève. Poète lui-même, il a traduit en arménien ses phares, Hugo, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud etc., ainsi que les grands poètes arméniens en français, et il a demandé deux fois la nationalité française, qui lui a été refusée. Avant son exécution, il a écrit à sa femme, la belle Mélinée, une magnifique dernière lettre, -signée Michel il faut le souligner (2)-, où il y a des phrases admirables, comme: « Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand » (un alexandrin parfait), ou « C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. »
Rappelons que l’Affiche rouge (3) était une affiche conçue par les service de propagande français (vichystes) et allemands (nazis) placardée début 1944 partout en France dans le contexte de la condamnation à mort de 23 membres du 1° Détachement FTP-MOI commandé par l’Arménien Manouchian, et de l’exécution à ses côtés de 22 d’entre eux le 21 février 1944, stigmatisant ces « communo-terroristes étrangers », traqués, arrêtés et livrés aux Allemands par la Brigade Spéciale des Renseignements généraux de la Police française, torturés, avant d’être fusillés au Mont Valérien après un simulacre de procès.
La mise en page, très travaillée par la propagande collaborationniste et nazie, marquait une volonté d’assimiler ces dix Résistants et leurs compagnons à des terroristes sans foi ni loi: la couleur rouge et le triangle surligné de noir formé par les portraits apportaient de l’agressivité, les dix photos, pointées par ce triangle, soulignaient « leurs aspects criminels », tandis que sur les ondes de Radio Vichy on les traitait de « métèques », « d’apatrides », « d’étrangers », de « rouges« , et de « juifs » bien sûr, en les vouant aux gémonies, en les livrant à la vindicte populaire.
Mais autour de la figure de proue de Manouchian, -et le symbole qu’il représente dans la communauté arménienne, indissociable de toutes les autres nationalités et communautés qui ont partagé son combat et son sacrifice-, ils sont restés dans l’inconscient collectif après la Libération.
En 1950, dans son recueil « Hommages », Paul Éluard a consacré « À la mémoire de vingt-trois terroristes étrangers torturés et fusillés à Paris par les Allemands » le poème Légion:
Si j’ai le droit de dire,
en français aujourd’hui,
Ma peine et mon espoir,
ma colère et ma joie
Si rien ne s’est voilé,
définitivement,
De notre rêve immense
et de notre sagesse
C’est que ces étrangers,
comme on les nomme encore,
Croyaient à la justice,
ici-bas, et concrète,
Ils avaient dans leur sang
le sang de leurs semblables
ces étrangers savaient
quelle était leur patrie.
La liberté d’un peuple
Oriente tous les peuples
Un innocent aux fers
enchaîne tous les hommes
et, qui ne se refuse à son cœur,
sait sa loi.
Il faut vaincre le gouffre
Et vaincre la vermine.
Ces étrangers d’ici
Qui choisirent le feu
Leurs portraits sur les murs
Sont vivants pour toujours.
Un soleil de mémoire
Eclaire leur beauté.
Ils ont tué pour vivre,
Ils ont crié vengeance.
Leur vie tuait la mort
Au cœur d’un miroir fixe
Le seul vœu de justice
A pour écho la vie
Et, lorsqu’on n’entendra
Que cette voix sur terre
Lorsqu’on ne tuera plus
Ils seront bien vengés ;
Et ce sera justice.
En 1955, Louis Aragon, qui était avant tout un formidable artisan du vers français, en s’inspirant de la dernière lettre de Missak Manouchian, écrivit, à l’occasion de l’inauguration de la rue du Groupe-Manouchian, située dans le 20° arrondissement de Paris, et à la demande du Parti Communiste Français, « le Parti des Fusillés », un poème, Strophes pour se souvenir, paru en 1956 qui recèle quelques-uns de ses plus beaux alexandrins:
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant.
Il est à noter que pour le poète, qui a vécu la Première Guerre mondiale, les vers » Adieu la vie, la lumière et le vent » sont un écho à « Adieu la vie, adieu l’amour, adieu toutes les femmes » de la célèbre Chanson de Craonne se terminant par « Nous sommes les sacrifiés« , cette chanson antimilitariste qui valut le même peloton d’exécution à ceux qui la chantaient (même s’ils refusaient de battre): les condamnés sont aussi des sacrifiés.
Ce poème a été enfin mis en musique et chanté en 1959 par Léo Ferré, un des plus grands auteurs-compositeurs-interprètes du XX° siècle, il ouvre le disque Ferré chante Aragon, où il n’y a par ailleurs que des chansons d’amour.
On a l’impression d’être rassemblés devant les 23 cercueils pour une hommage presque religieux par un petit matin froid. La voix vibrante de Ferré, fidèle à ses convictions, est chargée de son émotion palpable, on entend sa colère difficilement contenue. Le fait qu’il n’y ait qu’un chœur et pas d’instrumentation, permet déjà de mettre en valeur le poème, aucun instrument ne venant distraire l’attention; si la mélodie est simple en apparence, elle est reprise pour chaque couplet, ce qui permet de la retenir facilement. Certains mots sont récités (« Morts pour la France », « Bonheur à tous » etc.), déclamés même, ce qui permet de les souligner et de les mettre en exergue par rapport au reste du texte, le crescendo et le decrescendo comme le trémolo utilisé sur certaines phrases accentuent cette émotion, enfin, après le dernier vers qui évoque l’exécution des Résistants, un roulement de tambour, rompt brutalement la continuité du chant, symbolisant leur mise à mort par un peloton d’exécution: on s’attend presque à entendre la salve.
Par cet arrangement épuré, Ferré avait pour objectif de mettre en valeur la portée mémorielle et universelle du poème comme de leur sacrifice: ces Résistants, « étrangers » pour la plupart, sont devenus le symbole de tous les Résistants morts pour la France à cette époque; et c’est eux qui viennent de rentrer au Panthéon, avec Missak et Mélinée Manouchian, pour rejoindre Jean Moulin.
Pourtant la chanson a été interdite de diffusion sur l’antenne nationale jusqu’à ce qu’en 1982 (!) soit mis fin au monopole que l’État exerçait jusqu’alors sur la diffusion radiophonique.
Heureusement pour moi, en 1962 -j’avais 13 ans-, un vieux Républicain catalan, menuisier de son métier comme Manouchian, Firmin Aguirre, m’a donné à entendre le microsillon 33 tours 25cm sur son tourne disque, et aujourd’hui encore j’ai les larmes aux yeux en l’entendant.
La chanson de Léo Ferré est devenue un classique de la chanson française, un de plus parmi les nombreux qu’il nous a offerts, (Aragon lui-même dira: « Il faudra réécrire l’histoire littéraire un peu différemment, à cause des mises en musique de Léo Ferré »), mais celui-là a une portée historique sans précédent.
Et cette oraison funèbre signée Aragon/Ferré est aussi devenu un chant de résistance et une chanson d’amour éternel.
Arthur Teboul du groupe Feu ! Chatterton, qui vient d’en sortir opportunément une nouvelle version, a eu ce soir l’insigne honneur de la chanter au Panthéon. Mais reprise de nombreuses fois avant lui, elle a été interprétée, à part Léo Ferré, par Monique Morelli, Catherine Sauvage, Marc Ogeret, Leny Escudero, Isabelle Aubret, Francesca Solleville, Juliette Gréco, Cora Vaucaire, Yves Montand, Claude Vinci, Sapho, Catherine Ribeiro, Bruno Ruiz, Huel Manu Lann, Katrin’ Wal, Grégoire, Patrick Bruel, Bernard Lavilliers (dans un version plus rock) etc., mais aussi Jacky Michaelli en corse (Quellu affissu zifrattu) Joan Pau Verdier en occitan (L’ afficha roja), et le rappeur HK dans une version néo-chaâbi, sans oublier les bien oubliés Morice Benin et Jacques Bertin etc. etc.; ils ne doivent pas être les seuls, loin de là…. Tony Hymas l’a interprétée au piano solo, et André Manoukian, le 19 février, lors de son petit concert au Conseil Régional d’Occitanie à Toulouse, ville particulièrement sensible à cette page d’histoire (4), dans l’une de ses improvisations au piano, en a glissé les premières notes, et le public en majorité des jeunes gens et des jeunes filles, a fredonné, comme moi très ému, les premiers vers:
Vous n’avez réclamé ni gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans..
En 2012 lors de la création de notre concert poétique Liberté, j’écris ton nom (Poèmes et Chants de la Résistance 1939-1945), j’ai souhaité que Servane Solana la chante (entre autres) de sa voix superbe accompagnée par Didier Dulieux à l’accordina, et ils en donnent à chacune de nos représentations cette version poignante:
J’ai lu quelque part que Georges Brassens, qui a mis aussi en musique Aragon, et de fort belle manière (« Il n’y a pas d’amour heureux » etc.), en vieil anarchiste bourru, n’a pas voulu chanter l’Affiche rouge, reprochant « à Léo de s’être laissé embobiner par le génie poétique d’Aragon, et de chanter, lui qui se disait anarchiste, ces vers patriotards, lui qui devrait louer l’internationalisme ». Pardonnez-moi, cher Georges, ce jour-là vous fûtes décevant, même si « Mourir pour des idées » est un petit régal d’humour antimilitariste, et qu’il vous sera beaucoup pardonné pour tous les » petits bonheurs » (comme disait Félix Leclerc) que vous nous avez légués. Mais dans l’Affiche rouge, il y a pour moi une sublimation de l’Internationale de ceux qui rêvaient et rêvent encore d’un monde meilleur pour tous, quelles que soient leur origine.
En revanche, cette chanson a inspiré de nombreuses chansons sur ces jeunes filles et ces jeunes hommes prêts à donner leur vie pour la Liberté, comme celle de Jacques Bertin: » Morte pour des idées « .
Le cinéma n’a pas été en reste.
L’Affiche rouge, film de Franck Cassenti en 1976 avec Roger Ibanez, Pierre Clémenti etc. musique de Juan Cedron (celui du Cuarteto du même nom), Prix Jean Vigo, montre le tournage du film de propagande fabriqué par les Allemands avec des « acteurs sous la menace des fusils », sortant de tortures, épuisés, et méconnaissables, dont les 10 qui apparaissaient sur la fameuse affiche rouge, est disponible sur YouTube : L’ Affiche rouge, film de Franck Cassenti
Les Résistants de l’Affiche rouge d’Elisabeth van Zijll Langhout (2023) est le récit de la lutte armée menée par ces jeunes résistants, enfants d’immigrés, qui se rebellaient contre la répression de l’État vichyssois autant que contre l’oppression allemande. Le film met l’accent sur un paradoxe: à Paris, au plus fort de l’Occupation, ce sont des policiers français rassemblés dans des Brigades spéciales et agissant sous le contrôle du commandement militaire nazi qui traquaient des étrangers ayant pris les armes pour libérer le pays qui les a accueillis… Heureusement que c’était une toute petite minorité.
Le film de Mosco, « Des terroristes à la retraite » a été finalement diffusé dans le cadre des Dossiers de l’écran après sa déprogrammation le 02 juin 1985. Des images d’archives y expliquent le rôle de « la bande à Manouchian » pendant la 2ème Guerre mondiale. « La première partie du documentaire est très émouvante, car elle donne la parole à des survivants qui racontent des actions clandestines. Pour moi, c’est l’un des documentaires les plus forts sur la Résistance, même si toute la seconde partie est fondée sur des hypothèses fausses » selon l’historien spécialiste de cette période, Denis Peschanski, auteur lui-même avec Jorge Amat du documentaire « La traque de l’Affiche rouge », disponible sur le site de l’INA. Ce film raconte de manière documentaire, à l’aide de documents d’archives et de scènes reconstituées, la lutte, la traque et la chute des Résistants de l’Affiche Rouge, à Paris, de janvier à novembre 1943.
« L’Armée du Crime » de Robert Guédiguian en 2009, avec Simon Abkarian et Virginie Ledoyen dans les rôles de Missak et Mélinée Manouchian a eu plus d’écho: face à leurs actions musclées et sanglantes, l’Occupant et la police française contre-attaquent, filatures, dénonciations, chantages, tortures… tout est bon pour détruire « cette armée du crime ». Le but avoué du cinéaste (qui lui a été reproché) était « de parfaire la légende pour que cette histoire vraie nous aide encore à vivre aujourd’hui. »
« Manouchian et les héros de l’Affiche rouge » est une série télévisée originale en quatre épisodes, développée par Lumni enseignement avec les éditions Dupuis, entremêlant cases de BD et archives audiovisuelles de l’INA. Elle revient sur la vie de Missak Manouchian et exalte l’engagement des Résistants des FTP-MOI contre l’occupant allemand.
La bande dessinée de Jean-David Morvan et Thomas Tcherkézian enfin se distingue par son attachement à décrire le parcours individuel des vingt-trois membres dont Olga Bancic, la seule femme du groupe à avoir été arrêtée, guillotinée à Stuttgart un peu plus de deux mois après que ses compagnons ont été fusillés au Mont-Valérien, en février 1944. Ou celui de Joseph Epstein, dit « Colonel Gilles », le chef des FTP-MOI de la région parisienne, dont le rôle fut crucial dans la Résistance de la capitale et qui mit au point des tactiques de guérilla urbaine encore utilisées aujourd’hui.
Par contre, ce n’est qu’en 2024 qu’a été enfin édité par la collection Points Poésie « Ivre d’un grand rêve de liberté », un recueil bilingue arménien-français regroupant les poèmes de Missak Manoukian, de bonne facture classique et d’une grande fraîcheur poétique, amoureuse et révolutionnaire, disponible à la Librairie de la Renaissance… fondée en 1944:
https://www.librairie-renaissance.fr/.
L’Art en général, la Poésie et la Musique, la chanson en particulier, ont le redoutable privilège de faire entrer l’Histoire dans la légende, et c’est aussi cela que l’on aime dans cette indispensable émanation du génie humain; à charge pour nous de transmettre cet héritage. Sans Léo Ferré et Firmin Aguirre, j’aurai longtemps ignoré qui étaient Manouchian, Mélinée et leurs compagnons.
Merci Léo, Merci Firmin.
Quand j’interviens dans les établissements scolaires comme je le fais depuis de nombreuses années, j’ai pris l’habitude de terminer, après avoir lu la dernière lettre de Missak à Mélinée, puis en chantant a cappella l’Affiche rouge (5) que je leur ai fait distribuer au préalable, de dire aux élèves que « La Poésie, c’est l’art de traiter les mots avec soin, exactitude et respect: elle incite donc à traiter nos semblables de la même manière. Je crois que c’est un trésor à partager et à transmettre; que démocratiser les œuvres de l’esprit aide à démocratiser ce monde qui en a bien besoin, « menacé de tant de muselières », comme disait Léo Ferré justement. La Poésie peut changer le monde ! »
Je pourrai toujours leur citer en exemple 3 poètes: Ferré, Aragon et Manouchian, qu’ils connaitront désormais, en concluant avec ces vers de celui-ci:
Nous étions en paix comme nos montagnes
Vous êtes venus comme des vents fous
Nous avons fait front comme nos montagnes.
C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée
que je dirai adieu à la vie et à vous tous,
ma bien chère femme et mes bien chers amis.
PS. Le Musée Départemental de la Résistance et de la Déportation a beaucoup œuvré et continue à documenter et à éclairer cette période de notre Histoire en France mais aussi en Europe. Il va consacrer à partir du 4 avril et jusqu’au 22 septembre 2024 tout un travail de mémoire autour de l’exposition Anatomie du Franquisme.
https://www.haute-garonne.fr/service/le-musee-departemental-de-la-resistance-et-de-la-deportation
Nous y donnerons à entendre le jeudi 4 juillet 2O34 Liberté, j’écris ton nom (Poèmes et chants de la Résistance), un concert poétique où vous entendrez (ce n’est pas du tout un hasard)… L’Affiche Rouge chantée par Servane Solana.
https://lacompagniedureveur.blogspot.com/
https://lacompagniedureveur.blogspot.com/
Pour en savoir plus:
1) L’ Arménien Missak Manouchian et ses camarades sont tombés au peloton d’exécution. Résistants communistes des FTP-MOI, Francs-Tireurs Partisans, Main-d’œuvre Immigrée, regroupant les militants étrangers réfugiés qui n’étaient pas Français, mais mouraient pour la France… c’est-à-dire pour la Liberté et pour que les autres, tous les autres, gardent le droit de vivre libres. Comme le rapporte Mr. Sakoun, initiateur et président du comité pour l’entrée de Missak Manouchian au Panthéon, son grand-père lui disait: « Si je suis vivant, c’est parce que Manoukian et ses compagnons n’ont pas parlé sous la torture, et si vous menez une vie libre aujourd’hui, c’est parce qu’ils ont donné la leur ».
« Le symbole que représente à juste titre Missak Manouchian pour nos compatriotes de la communauté arménienne est indissociable de toutes les autres nationalités et communautés qui ont partagé son combat et son sacrifice (…). On peut se demander si la légende et le mythe n’ont pas définitivement triomphé de l’Histoire. A moins que ce ne soit l’Amour. »
Anatomie de l’Affiche rouge Annette Wieviorka Seuil/Libelle 4,90€
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2) Dernière lettre de Missak Manouchian:
Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée,
Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais.
Que puis-je t’écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.
Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous… J’ai un regret profond de ne t’avoir pas rendue heureuse, j’aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d’avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu’un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l’armée française de la libération.
Avec l’aide des amis qui voudront bien m’honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d’être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possibles à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l’heure avec le courage et la sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n’ai fait de mal à personne et si je l’ai fait, je l’ai fait sans haine.
Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t’embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur.
Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari.
Manouchian Michel.
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3) « Des libérateurs ? La libération ? Par l’armée du crime ». Publiée à 15.000 exemplaires, placardée dans Paris et certaines villes de province, cette affiche qui « semblait une tache de sang […] et cherchait « un effet de peur sur les passants » caricaturait les résistants en métèques enjuivés, terroristes arméniens, espagnols, italiens, polonais… Même si sur les dix portraits de ces « Français de préférence »,,comme l’écrit Aragon) figuraient aussi trois Français de naissance, dont un Breton (Georges Cloarec). Voici les noms de ces vingt-trois Résistants, en remarquant une fois de plus le très jeune âge de certains et en soulignant leurs 8 nationalités d’origine:
- Celestino Alfonso, Espagnol, 27 ans
- Olga Bancic, Roumaine, 32 ans (qui sera guillotinée à Stuttgart)
- József Boczor, Hongrois, 38 ans
- Georges Cloarec, Français, 20 ans
- Rino Della Negra, Italien, 19 ans
- Thomas Elek, Hongrois, 18 ans
- Maurice Fingercwajg, Polonais, 19 ans
- Spartaco Fontano, Italien, 22 ans
- Jonas Geduldig, Polonais, 26 ans
- Emeric Glasz, Hongrois, 42 ans
- Léon Goldberg, Polonais, 19 ans
- Szlama Grzywacz, Polonais, 34 ans
- Stanislas Kubacki, Polonais, 36 ans
- Cesare Luccarini, Italien, 22 ans
- Missak Manouchian, Arménien, 37 ans
- Armenak Arpen Manoukian, Arménien, 44 ans
- Marcel Rajman, Polonais, 21 ans
- Roger Rouxel, Français, 18 ans
- Antoine Salvadori, Italien, 24 ans
- Willy Schapiro, Polonais, 29 ans
- Amedeo Usseglio, Italien, 32 ans
- Wolf Wajsbrot, Polonais, 18 ans
- Robert Witchitz, Français, 19 ans
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4) À Toulouse, les FTP-MOI ont été très actifs aux côtés des anarchistes espagnols. Un des patrons de la Résistance communiste est le Brésilien Apolônio de Carvalho. Le biologiste Claude Lévy, collègue de Frédéric Joliot-Curie, a fait partie de la MOI. Avec son frère aîné, éditeur d’art, Raymond, il a rédigé un recueil de dix nouvelles autour de la Résistance, « Une histoire vraie« : la première est consacrée à Michel Manouchian, largement oublié à l’époque. Mais comme l’a justement souligné à l’Instituto Cervantes le professeur Celaya, citant cette phrase d’un responsable gaulliste: « On ne peut pas laisser croire que la Résistance française a été faite comme ça, par autant d’étrangers. Il faut franciser un peu. », la « tricolorisation » de la Résistance en a fait une image d’Épinal occultant les femmes, les guérilleros espagnols, tous les Résistants étrangers et les tirailleurs nord-africains,
Diego Gaspar Celaya est spécialiste de l’exil espagnol en France après la Guerre Civile et en particulier de la participation des exilés dans la résistance française. Il a notamment publié l’ouvrage: La guerra continúa: voluntarios españoles al servicio de la Francia libre (1940-1945). À la même conférence, Henri Farreny a présenté son livre: « Le sang des Espagnols – mourir à Paris ». Entre août 1941 et août 1944, plusieurs centaines d’Espagnols ont résisté à Paris. Nombre d’entre eux ont été emprisonnés, déportés, tués. Leurs noms et leurs actes sont encore méconnus.
https://toulouse.cervantes.es/
aagef.ffi@free.fr
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5) L’AFFICHE ROUGE
Vous n’avez réclamé ni gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant.