La salle Nougaro affiche complet comme toujours tant elle répond aux attentes du public, en particulier pour les musiques du monde et le blues, toutes générations confondues, assoiffées semble-t-il de belles respirations musicales dans une actualité si sombre.
Trois musiciens, basse, batterie et guitare bien sûr, entourent le vieux bluesman Robert Finley, un grand échalas au Stetson en cuir noir, au bouc blanc, aux lunettes noires et aux santiags en peau de crocodile, assisté tendrement par sa petite-fille qui est aussi sa choriste.
Il est venu pour prêcher la bonne parole, celle de ce bon vieux rythme du blues: ce soir, pas de place pour des cuivres ou des claviers, et l’on a droit au contraire, après ses envolées vocales, à des soli de guitare électrique classiques sur un bon vieil ampli Fender.
Le duo formé par le batteur, Charlie Love, et le guitariste, Liam Hast, fonctionne bien; « comme des frères ». Par contre, le bassiste, Ollie Hopkins, est trop discret à mon goût. De même que LaQuindrelyn McMahon, la choriste, la petite fille de Robert Finley selon le dossier de presse, qui danse langoureusement – provoquant un commentaire sexiste de mes voisins de derrière sur « ses formes callipyges » et une remise en place méritée d’un couple à côté d’eux -; mais on s’aperçoit vite que son retrait est volontaire puisque sur les morceaux que son grand-père lui laisse en solo, elle donne toute sa belle puissance de chanteuse de Gospel et de Blues.
Le chanteur laisse aussi le guitariste prendre de superbes soli parfaitement dans l’esprit de cette musique, ses chansons tiennent souvent sur un même accord et il a tendance à faire de petites pauses prégnantes en fin de longues notes dans la tradition de ses prédécesseurs, ce qui donne à sa musique un air hypnotique.
Il danse sur place en descendant sur ses genoux avec une souplesse étonnante pour ses bientôt 70 ans: « Danser est le meilleur exercice pour le corps et d’esprit » affirme-t-il.
S’il n’a pas la flamboyance rock-and-roll d’Otis Taylor, entendu dans cette salle, Robert Finley « croque dans les racines de la mangrove pour un blues puissant, qui vient des tripes » avec son Bayou Noir, comme sur son quatrième album.
Il nous transporte à la Nouvelle-Orléans, dans le Bayou (1) justement, et je repense à l’excellente série Treme, du nom de l’un des plus vieux quartiers de cette ville emblématique de la culture afro-américaine et créole, qui rend hommage à tous ces musiciens qui se retrouvent toujours malgré leurs différences et les difficultés quotidiennes, pour des carnavals, des mardis-gras endiablés, où il se déguisent en Indiens.
Avec sa verve joyeuse et sa malice, il soigne l’image du séducteur qu’il a été selon ses dires, Une dame a fait battre son cœur plus fort, et l’on sent le vieux routier aimant les femmes et le whisky après avoir vécu plusieurs vies, militaire, chanteur de gospel et même menuisier, toujours fidèle aux sources de sa Louisiane natale: une enfance passée à Bernice, commune rurale, où son père était métayer et faisait travailler son garçon dans les champs pour ramasser du coton.
Mais Robert, c’est le chant qui l’intéressait, il va à l’église par conviction, découvre le gospel qu’il intègre encore dans ses chansons: « Avec le blues tu peux exagérer les choses, avec le gospel, tu ne triches pas, tu dis les choses comme elles sont », dit-il; et il va toujours à la messe le dimanche.
Après l’armée en Allemagne, il devient malvoyant, ce qui ne l’a pas empêché de chanter et jouer de la guitare dans les bars et dans les rues, de façon confidentielle. Jusqu’en 2015 où Tim Duffy, de la fondation Music Maker, qui vient en aide aux vieux bluesmen dans le besoin, le découvre dans les rues d’Helena en Arkansas, et lui permet d’enregistrer un premier disque au succès mondial.
WASTE OF TIME
(Robert Finley, Dan Auerbach, Kenny Brown, Eric Deaton, Patrick Carney)
Robert Finley nous conte aussi, comme sur Waist of time ou Sharecropper’s Son, des petites histoires personnelles inspirées de son enfance à l’époque de Jim Crow (2) et de la ségrégation, des souvenirs douloureux ponctués par des éclats de joie et d’espoir qu’il délivre sur des orchestrations blues et de cette soul rugueuse du sud,
Comme les grands bluesmen du Sud, il a cette voix profonde qui vous bouleverse, alternant baryton et falsetto, un chant témoin d’une vie tourmentée pour celui qui, né en 1954, n’a débuté sa carrière discographique qu’en 2016, à 63 ans !
« Ce que je veux que tout le monde sache d’après ma propre expérience, c’est que vous n’êtes jamais trop jeune pour rêver et que vous n’êtes jamais trop vieux pour que votre rêve se réalise. » déclare-t-il.
Belle leçon de vie !
SNEAKIN’ AROUND
(Robert Finley, Dan Auerbach, Kenny Brown, Eric Deaton, Patrick Carney)
De Sneakin’ aroud à Waist of time en passant par Medecine woman, Empty arms et Holy wine, et I’d rather go blind, Je préférerai devenir aveugle plutôt que te voir t’éloigner, te voir t’éloigner de moi, d’Etta James, qui ne manque pas d’humour noir sachant la cécité du chanteur…,
I’D RATHER GO BLIND
(Etta James)
il fait revivre l’âge d’or du Blues, dont les derniers feux semblaient s’être éteints avec Robert Lee Burnside (1926-2005) ou Syl Johnson (1936-2022).
En rappel Alligator bait et Make me feel allright clôturent en beauté ce concert fort réjouissant: Sometimes I get lonely and sometimes I get homely thousand miles from my home, Let me feel allright, avec encore un superbe solo du guitariste au bottleneck (3) pour une salle Nougaro debout et en transe.
Même si je n’ai jamais été un fan de Johnny Hallyday, préférant les originaux à la copie, j’aimais bien la chanson Toute la musique que j’aime, écrite pour lui par Michel Mallory où celui-ci faisait allusion à Mamie Smith et son Crazy blues, Muddy Waters, Robert Johnson ou Bessie Smith.
Et je la reprends à mon compte: toute la musique que j’aime, elle vient de là elle vient du Blues, celui d’avant-guerre (celle de 39-45), jouée sur une guitare en bois ou en métal, en tapant du pied et en chantant avec son cœur et ses tripes, ce bon vieux blues rural, influence majeure de toutes les (bonnes) musiques qui l’ont suivi, existe toujours, et pas seulement en 78 tours ou sur des rééditions en noir et blanc.
Merci Mister Robert Finley.
Toute la musique que j’aime
Elle vient de là elle vient du blues
Les mots ne sont jamais les mêmes
Pour exprimer ce qu’est le blues
J’y mets mes joies, j’y mets mes peines,
Et tout ça, ça devient le blues
Je le chante autant que je l’aime
Et je le chanterai toujours
Il y a longtemps sur des guitares
Des mains noires lui donnaient le jour
Pour chanter les peines et les espoirs
Pour chanter Dieu et puis l’amour…
Pour en savoir plus :
1) En Louisiane, un bayou (du choctaw bayuk signifiant « serpent, sinuosité ») est une étendue d’eau formée par les anciens bras et méandres du Mississipi. Les bayous s’étendent sur tout le sud de l’État de Louisiane, formant un réseau navigable de milliers de kilomètres. Dans les bayous, un courant très lent, non perceptible, va vers la mer à marée basse et vers l’amont à marée haute.
2) Les lois Jim Crow sont des lois nationales et locales imposant la ségrégation raciale (un véritable apartheid) aux États-Unis, promulguées par les législatures des États du Sud de 1877 à 1964, et instaurant un climat de terreur entretenu par le Ku-Klux-Klan en particulier. Avec tous leurs cortèges d’injustice et d’horreur, elles n’ont été abolies qu’au prix de nombreux sacrifices et meurtres des militants des Droits Civiques.
3) Un bottleneck est un tube de verre ou de métal dans lequel le guitariste glisse un doigt pour faire les accords sur le manche, donnant ainsi un son métallique, froid ou chaud selon la matière, spécifique du Blues. Le bottleneck (le mot vient de l’anglais et signifie littéralement « goulot de bouteille ») était à l’origine un goulot de bouteille que le guitariste faisait glisser sur les cordes de sa guitare en le plaçant sur l’annulaire ou sur l’auriculaire.