Tel est le mot qu’emploie la basse Nicolas Courjal, Mefistofele dans cette production hybride, enivrante mais tellement belle de l’ouvrage d’Arrigo Boito, intitulé justement Mefistofele. Elle vous attend pour, encore quatre représentations à l’Opéra national du Capitole de Toulouse pour clore somptueusement une saison détonnante, emplie d’émotions de bout en bout.
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Il serait exagéré de dire que, parmi toutes les adaptations lyriques du mythe de Faust, le Mefistofele de Boito est celle qui aspire le mieux à traduire la puissance du drame “goethéen“. Plus fidèle à des sources inépuisables qu’il cherche à apprivoiser coûte que coûte, le librettiste et compositeur italien doit évidemment s’incliner devant son aîné Gounod, insurpassable sur le papier mais, quand on assiste au spectacle proposé par Jean-Noël Grinda, on ne peut que rendre les armes et s’exclamer : Ça, c’est de l’opéra.
Tous les ingrédients sont réunis pour mener à la réussite le Mefistofele de Boito : la musique, le chant et le théâtre. Si l’opéra du compositeur italien, que Verdi fera travailler pour ses deux derniers opéras, et ce n’est pas rien , si donc cet ouvrage est d’abord une tragédie des forces cosmiques, à la structure dramaturgique complexe, il nécessite aussi un protagoniste vocalement prêt à tout, vocalement mordant, grinçant, rythmiquement virtuose, osant le parlant, autoritaire dans le ton, un diable extraverti et donc menaçant, dans le genre “noir c’est noir“, avec pas mal de perversité, un rôle qui exige du volume, vocal j’entends bien et doué d’un impact corsé car éprouvant. Nicolas Courjal réunit tout cela. Bonne pioche encore, diront les jaloux, pour Christophe Ghristi qui imagine depuis plusieurs années la basse dans ce rôle puisque la production était déjà prévue pour juin 2020 et bien sûr annulée en ce temps-là, mais simplement reportée. La ténacité paie quand on note un tel résultat.
Atout majeur de tous les protagonistes dans la gestion côté théâtre, c’est bien la fluidité de ce spectacle de trois heures avec pourtant, de grands tableaux d’ensemble, spectaculaires, qui pourraient conduire à une impression de simple patchwork. Eh bien, non. Toute l’intelligence scénique de Jean-Louis Grinda réussit à caractériser chaque scène tout en maintenant comme une sorte d’unité, du Prologue jusqu’à l’Épilogue. Et puis, tout va avec. Les décors et lumières de Laurent Castaingt, les costumes de Buki Shiff, dès le Prologue avec toutes les Milices célestes et les petits Chérubins, et la foule du dimanche de Pâques, et la nuit du sabbat, tous interpellent. Utilisées à bon escient les vidéos d’Arnaud Pottier parachèvent l’unité.
Les membres du Chœur et de la Maîtrise du Capitole, très sollicités semblent galvanisés par l’ouvrage et son traitement scénique auxquels ils participent. Ils méritent les applaudissements fort soutenus, enthousiastes, tout comme leur Chef de chœur Gabriel Bourgoin. C’est, à n’en pas douter, un travail formidable. Ils sont près de 90, avec deux équipes en alternance pour la Maîtrise.
Quant à la fosse, les musiciens présents de l’Orchestre national du Capitole, de la harpe aux contrebasses, suivent au doigt et à l’œil le chef Francesco Angelico, nouveau venu dans l’arène capitoline, un chef qui mène la fosse et le plateau en accord total avec les options de la mise en scène et bien sûr, en accord avec le compositeur, traduisant toute la richesse d’une partition dite complexe, avec une assurance de chaque instant, sans afféterie mal venu, ni emportement exacerbé. Une performance, oui.
Jane Berbié peut être fière de la réussite de son Mefistofele, Nicolas Courjal, sur lequel j’ai déjà tout dit. Mais, quelle prise de rôle ! Dommage pour lui que, de par sa complexité, l’ouvrage ne soit pas donné plus fréquemment sur les grandes scènes lyriques car ce rôle lui va comme un gant. C’est un glorieux investissement.
Quant à Jean-François Borras chantant Faust, il se joue de toutes les difficultés que Boito a bien voulu écrire, n’en négocie aucune et nous assène un “full à l’as“ parfait. Il ne manque plus pour annoncer un tiercé gagnant que la malheureuse Margherita qui, si elle doit mourir, ce sera avec une sorte de panache vocal. Démonstration accomplie avec Chiara Isotton qui a fait trembler les structures du Théâtre avec toutes les qualités d’une soprano dramatique. Avec JF Borras, leur aria : « Lontano, lontano » fit frémir d’aise la salle ! Quant à sa mort, elle fut…fracassante ! Elle assume déjà plusieurs rôles dans son registre et gageons que nous devrions la revoir et l’entendre à nouveau dans l’un d’eux.
Béatrice Uria-Monzon met tout son talent dans le rôle difficile d’Elena, tout comme Marie-Ange Todorovitch dans son double rôle de Marta et de Pantalis tandis qu’Andres Sulbaran prend ses marques avec bonheur dans Wagner et puis Nereo.
Un tel Mefistofele, si nous n’en profitez pas, ce sera bien, tant pis pour vous car il reviendra sûrement, mais dans trente ans.
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