Le dernier concert de la saison des Grands Interprètes, ce 8 juin dernier à la Halle aux Grains, n’a pas manqué de surprendre et d’éblouir. Avec le soutien de l’ensemble Il Pomo d’Oro sous la direction du dynamique Maxim Emelyanychev, la grande mezzo-soprano américaine Joyce DiDonato consacrait cette rencontre à un spectacle étonnant qu’elle a conçu autour du thème de la nature et de l’environnement.
Cet événement hors du commun se démarquait nettement de l’image d’un concert traditionnel. Joyce DiDonato avait décidé de nous entraîner dans son Eden musical ! Tout au long de la soirée, La mise en scène de Marie Lambert-Le Bihan, la participation du comédien Manuel Palazzo et surtout les effets lumineux de John Torres réalisent une scénographie surprenante de la musique jouée et chantée. Des musiques devrait-on plutôt dire, car le large florilège des œuvres abordées est à la hauteur de la diversité et de la richesse du propos sous-jacent.
Ce programme ambitieux s’écoute et se regarde comme un plaidoyer de la cantatrice au bénéfice de la nature. Le choix des textes chantés, celui de leur transposition visuelle convergent vers une sorte d’appel à l’aide pour la sauvegarde de notre environnement. Pour cela, plus de quatre siècles de musique, de la Renaissance à nos jours, se succèdent tout au long de la soirée.
Emergeant de l’ombre qui envahit le plateau, la première pièce, The Unanswered Question (La question sans réponse), de l’Américain du XXème siècle Charles Ives, semble évoquer la naissance du monde. Très astucieusement, la voix de Joyce DiDonato, depuis la salle, remplace celle de la trompette solo de la pièce originale. La réponse à cette question vient d’une partition commandée à la compositrice Rachel Portman par Joyce DiDonato et intitulée The First Morning of the World (Le premier matin du monde), sur un poème évocateur de Gene Scheer. Les transitions, toutes celles qui enchaînent les œuvres parfois apparemment si différentes, s’effectuent tout naturellement, sans hiatus aucun.
Ainsi en est-il de l’insertion de deux des Rückert Lieder de Gustav Mahler, dont le premier « Ich atmet’ einen Linden Duft » précède la Sinfonia terza pour instruments de Marco Uccelini, qui a vécu près de quatre-cents ans auparavant !
L’alternance de pièces chantées et de partitions instrumentales introduit une grande variété d’expressions. La poésie de la mélodie « Nature, gentle mother », extraite des Huit poèmes d’Emily Dickinson, d’Aaron Copland succède à la fureur, à la violence même portée par l’extrait de l’oratorio Adamo ed Eva, du Tchèque Josef Mysliveček (1737-1781). La Sonata Enharmonica de Giovanni Valentini précède la beauté apaisée de l’aria « Piante ombrose » du célèbre opéra de Francesco Cavalli, Calisto.
Deux extraits signé Christoph Willibald Gluck, la Danza degli spettri e delle furie, extraite d’Orfeo ed Euridice, et « Misera dove son ! », de son opéra Ezio, expriment une fois encore la colère et la fureur. L’aria de Georg Friedrich Haendel « As with rosy step the morn » conduit tout naturellement vers le dernier des Rückert-Lieder, l’ineffable « Ich bin der Welt abhanden bekommen », qui semble ramener la paix.
L’adéquation du style de chant adopté par Joyce DiDonato fait ici des merveilles. On ne sait qu’admirer le plus : la beauté et l’homogénéité du timbre, la longueur du souffle, le naturel de la vocalisation, la puissance vocale lorsque l’œuvre l’impose, la finesse et la douceur veloutée appliquée aux pièces nostalgiques. La cantatrice ne se contente pas de (bien) chanter, elle joue de son corps et de ses bras, s’intègre dans une mise en scène chorégraphique. Ainsi elle est amenée à compléter progressivement les arcs d’un cercle, symbole de l’harmonie des sphères en accord avec le sens de sa démarche. En outre, le traitement de la lumière s’avère particulièrement élaboré et judicieusement adapté à chaque séquence musicale.
L’ensemble instrumental Il Pomo d’Oro réalise des prodiges d’adaptation aux styles si divers des œuvres abordées. Une même musicalité anime chaque instrumentiste, que les pièces jouées datent de la Renaissance ou d’aujourd’hui. L’implication à chaque instant de Maxim Emelyanychev dans son travail de coordination s’avère déterminante à cet égard. Notons en passant que le chef et claviériste, que l’on connaît bien à Toulouse pour ses multiples venues, étonne encore lorsqu’il s’empare d’une flûte à bec et se joint au continuo de l’ensemble !
A l’issue de ce large panorama vocal et instrumental, une belle surprise attend les spectateurs. Comme elle le fait lors de chaque représentation de ce programme (elle avoue que celle de Toulouse représente la 32ème !) Joyce DiDonato prend la parole pour prolonger son message écologique et indique que dans chaque ville de visite du programme Eden, un chœur local d’enfants et de jeunes est engagé dans le projet. Chaque chœur participe à des ateliers sur le thème de l’environnement ; ces ateliers sont une partie essentielle du projet aboutissant au concert. La cantatrice appelle alors à la rejoindre le Chœur toulousain d’enfants des Eclats, dirigé par François Terrieux. Suit ainsi une sorte de célébration chorale à la cause commune qui culmine sur la chanson « Seeds of hope » (Graines d’espoir) composée par les enfants du Canterbury Choir de la Bishop Ramsey School du Royaume Unis.
Concert magique de @JoyceDiDonato à #Toulouse! Avec un Maxim Emelyanichev et son ensemble @ilpdo des grands soir! Et la participation du choeur d’enfants Les Eclats. Un concert @GdsInterpretes. pic.twitter.com/v6HpFggsAA
— Thierry d'Argoubet (@T_d_Argoubet) June 9, 2023
Un bis final prolonge encore l’émotion. Joyce DiDonato conclut la soirée avec la célébrissime aria « Ombra mai fu » de l’opéra de Haendel Serse. Une célébration de l’arbre bienfaiteur parfaitement en situation pour conclure cette belle rencontre.
Voici qui couronne avec ferveur la belle saison des Grands Interprètes.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse