Le retour du Budapest Festival Orchestra, ce 4 avril dernier à l’invitation des Grands Interprètes, a provoqué un joyeux séisme musical. Sous la direction de son directeur et fondateur Iván Fischer, avec la participation du violoniste Renaud Capuçon, le programme musical et ses prolongations ont permis une fois de plus d’admirer les exceptionnelles qualités de cet orchestre aux spécificités éblouissantes.
Tout au long de la soirée on ne sait qu’admirer le plus : les qualités individuelles de chaque musicien, leur sens des nuances, les parfaits équilibres sonores et expressifs entre les différents pupitres, les couleurs déployées et surtout peut-être la précision avec laquelle Iván Fischer dirige l’ensemble. En outre on observe la disposition particulière des musiciens, différente de celle des orchestres occidentaux, en particulier, la position médiane au fond du plateau, du pupitre des contrebasses.
Les deux volets de ce concert mémorable abordent des répertoires bien différenciés mais finalement subtilement complémentaires. La première partie puise dans la grande tradition magyar avec Ernö Dohnányi et Béla Bartók.
Le concert s’ouvre donc sur une courte et rare pièce du compositeur hongrois Ernö Dohnányi, intitulée Symphonic Minutes. Les cinq mouvements de cette belle symphonie miniature pleine d’effervescence, d’invention harmonique et mélodique permettent l’épanouissement lumineux de rythmes, de couleurs et de sonorités originales. Du vif et scintillant Capriccio initial à l’effervescence du Rondo final, l’écriture musicale témoigne d’une vivacité virtuose et d’une mobilité expressive liées au terreau musical et populaire qui constitue l’ADN de la phalange hongroise. C’est en particulier le cas de la luxuriante Rapsodie et le rôle important qu’elle offre aux pupitres de bois avec, en particulier, deux beaux solos de cor anglais admirablement phrasés ici par la soliste.
Renaud Capuçon rejoint l’orchestre pour le Concerto pour violon et orchestre n°1, Sz. 36 de Béla Bartók. Composé en 1907-1908 cette partition ne comporte que deux mouvements de style rhapsodique, même si Bartók avait planifié d’en écrire un troisième. Il y a beaucoup d’effusion dans ces deux parties écrites dans « une tonalité élargie issue de Richard Strauss et de Wagner », comme l’indique Claire Delamarche dans son ouvrage sur le compositeur. Le soliste ouvre a capella le premier volet Andante sostenuto. Sa sonorité de velours égrène ces mélodies si touchantes avec une tendresse à la fois élégiaque et douloureuse. L’équilibre avec le tutti s’établit magistralement grâce à l’entente parfaite entre le soliste et le chef. Le deuxième volet, Allegro giocoso, multiplie les dissonances, les tensions, les ruptures de rythme. Renaud Capuçon en souligne la vigueur et le caractère implacable qui accompagnent parfois son déroulement. L’orchestre apporte un soutien ardent au soliste dont la virtuosité se déploie sans exhibitionnisme aucun, mais avec un puissant pouvoir expressif.
Le grand succès de cette exécution ramène Renaud Capuçon sur scène pour un double bis très particulier puisqu’il s’agit de deux duos pour violons de Béla Bartók. Il est donc rejoint pour cela par le premier violon de l’orchestre, Guy Braunstein, pour cette succession de deux de ces pièces conçues par Bartók à destination des élèves, la première legato, la seconde intégralement pizzicato. Une belle démonstration de complicité musicale largement appréciée par le public, l’ensemble des musiciens et le chef !
La seconde partie de la soirée est consacrée à un triptyque Richard Strauss. Deux de ses plus célèbres poèmes symphoniques sont séparés par un extrait mythique de son opéra Salomé. Composé à l’âge de 24 ans, Don Juan traduit les aspirations du musicien à créer une sorte de gigantisme de l’orchestre mêlé à de nouvelles combinaisons de timbres. Dès les premières mesures, brillamment déclamées par un pupitre de cors incandescents, l’orchestre déverse une véritable coulée de lave qui donne le frisson. Les épisodes contrastés, de la frénésie de conquête du héros à l’évocation sensible des personnages féminins, se succèdent avec un sens étonnant des silences suspensifs et angoissants.
Cette exécution stupéfiante est suivie d’un intermède qui ne l’est pas moins. Avec la fameuse Danse des sept voiles, extraite de Salomé, la perversion du sujet, la violence quasiment hystérique de cette partition donnent à l’orchestre l’occasion de briller de tous ses feux. Iván Fischer en assume tous les aspects, du rugissement inouï des basses à l’embrasement de tous les pupitres de cordes.
Les mêmes qualités se retrouvent dans la dernière pièce programmée, autre célèbre poème symphonique de Richard Strauss, Till l’Espiègle, dont le titre original, Till Eulenspiegels lustige Streiche, signifie Les joyeuse farces de Till Eulenspiegel. L’embrasement orchestral s’accompagne ici d’une évocation du jeu, de la moquerie, du clin d’œil. On admire surtout la virtuosité impressionnante du cor solo qui déroule son redoutable trait initial avec son cortège de nuances, ainsi celle du hautbois solo et de ses interventions pleines d’humour. L’ovation est à la hauteur de l’exécution.
Au point qu’un groupe de musiciens, indépendamment du chef, offrent une véritable séance d’improvisation jazzistique, une sorte de « bœuf à la tzigane ». Tout débute par une impro sur le thème central de Till Eulenspiegel pour dériver sur un jeu musical élaboré et enthousiaste, au grand bonheur du public, des musiciens, mais aussi du chef assis au sein de l’orchestre.
Oui vraiment, un concert d’exception !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse