Peu d’années séparent les trois œuvres inscrites au programme du concert du 9 février dernier. Créées au tournant des XIXème et XXème siècles, elles ont été offertes ce soir-là par l’Orchestre national du Capitole placé pour la troisième fois sous la direction du chef hong-kongais Wilson Ng avec la participation du jeune violoniste Luka Faulisi, né et formé à Paris.
Wilson Ng revient à Toulouse après avoir notamment dirigé l’Orchestre national du Capitole en mars 2022, au cours d’un concert de la série Happy Hour. Il avait alors déployé une énergie et un enthousiasme impressionnants qui ont déclenché une belle ovation du public. Chef associé de l’Orchestre philharmonique de Séoul et directeur artistique de l’Orchestre Gustav Mahler de Hong Kong, Wilson Ng a été révélé par sa victoire lors du prestigieux concours Svetlanov en 2018.
Il déploie cette fois encore une vigueur et un engagement remarquables tout au long de cette soirée consacrée à une succession de trois partitions plutôt rarement données en concert.
La pièce brève donnée en ouverture est jouée pour la première fois par l’Orchestre national du Capitole. Il s’agit de l’orchestration réalisée par Maurice Ravel de la Danse pour piano intitulée initialement Tarentelle styrienne de Claude Debussy. Cette version orchestrale distille une joie, un frémissement que l’orchestration lumineuse de Ravel prolonge par une sorte de pointillisme pictural. Ce bonheur sans mélange se manifeste dès le solo de cor initial et se prolonge par un dialogue animé entre les vents et les cordes. Le direction de Wilson Ng en souligne l’intensité et la vigueur des échanges.
La soirée se poursuit avec le très beau Poème pour violon et orchestre du grand compositeur français Ernest Chausson que joue en soliste le jeune Luka Faulisi, formé au CRR à Paris, où il est né. Ce concerto pour violon et orchestre, daté de 1896 et divisé en trois sections enchainées, porte bien son nom. Pour cette mise en musique, Chausson s’est inspiré d’une nouvelle d’Ivan Tourgueniev, Le Chant de l’amour triomphant (1881), récit fantastique situé à Ferrare au XVIe siècle, dans lequel une mélodie jouée au violon produit un envoûtement. Il a dédié l’œuvre au virtuose belge Eugène Ysaÿe. Le jeune violoniste Luka Faulisi transfigure les premières mesures a capella de sa sonorité d’une belle profondeur, d’une rondeur et d’une richesse remarquables. On comprend la boutade du grand Pinchas Zukerman à son propos qui la qualifie de « sonorité d’un million de dollars » ! L’aisance des traits virtuoses, doubles cordes et sons harmoniques, ne masquent en rien la poésie et le sens de la couleur qui caractérisent l’interprétation nuancée du soliste. Même si parfois l’ampleur orchestrale s’avère un peu trop sonore, la nostalgie dont il pare son chant rend pleine justice à cette trop rare partition.
A l’issue de sa prestation, Luka Faulisi offre généreusement deux bis bienvenus. Après l’Adagio de la première Sonate pour violon seul de Johann Sebastian Bach, il ose brillamment une version pour violon de l’emblématique pièce pour flûte seule Syrinx de Claude Debussy. Il ne s’agit d’ailleurs en rien d’une transcription, puisque le violon joue toutes les notes dans la tonalité originale ! Ainsi, la poésie de cette pièce rejoint celle de la première œuvre de ce programme.
Toute la seconde partie est consacrée à la Symphonie n° 1 du très britannique Sir Edward Elgar. On connaît mieux de lui les fameuses Pump and Circumstance, second hymne national anglais, et même cette brillante série de portraits baptisée Variations Enigma. Néanmoins, Tugan Sokhiev l’avait dirigée en octobre 2014 dans cette même Halle aux Grains. Cette première des trois symphonies d’Elgar (la troisième n’existant qu’à l’état d’esquisses), créée en 1908 sous la direction de Hans Richter, fut d’emblée un triomphe public. Son développement en quatre mouvements, dont les deux centraux s’enchaînent, révèle un double caractère, serein et majestueux, d’une part, tourmenté d’autre part. C’est cette dualité que la direction de Wilson Ng souligne avec vigueur.
Le début, Andante. Nobilmente e semplice du premier mouvement évoque irrésistiblement la marche initiale de Pump and Circumstance. Il est suivi d’une série de contrastes tumultueux. Le deuxième volet Allegro molto, animé, vif, léger et comme effervescent, s’enchaîne sans interruption avec le bel Adagio, calme et rêveur, d’un lyrisme mélancolique. Le final, Lento – Allegro, d’abord mystérieux, inquiétant, s’anime vite et devient tumultueux et martial avec la prédominance d’un rythme presque brahmsien. Il s’achève sur le retour triomphal du thème initial.
Chaleureusement applaudi par un public composé d’habitués et de nouveaux venus, le chef invité félicite chaque pupitre de l’orchestre avec insistance et ferveur.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole