Le 4 février dernier, l’Orchestre national du Capitole retrouvait, pour sa troisième venue à Toulouse, le chef américain Robert Trevino. Le jeune pianiste israélien Tom Borrow animait une première partie de soirée consacrée au Concerto en sol de Maurice Ravel, alors que la seconde partie apportait un contraste explosif avec la Symphonie n° 11 de Chostakovitch.
Rappelons que le chef d’orchestre américain d’origine mexicaine Robert Trevino est aujourd’hui directeur musical de l’Orchestre National Basque, chef principal invité de l’Orchestre symphonique national de la RAI et conseiller artistique de l’Orchestre symphonique de Malmö. Déjà présent à Toulouse en 2021 et 2022, il accompagne donc ce soir-là Tom Borrow qui, quant à lui, a fait des débuts toulousains remarqués en septembre 2021, pour un premier récital au cours du Festival Piano aux Jacobins. Ce soir-là, le poste de premier violon solo de l’Orchestre est tenu par la jeune violoniste coréenne nouvellement nommée Jaewon Kim.
Le concert s’ouvre donc sur ce lumineux Concerto en sol que Ravel composa entre 1929 et 1931, en même temps que son Concerto pour la main gauche, pourtant si différent. Depuis qu’il a remplacé au pied levé Katia Buniatishvili dans cette œuvre, Tom Borrow s’est, en quelque sorte, approprié ce concerto qui l’a révélé auprès du grand public. Il en défend une vision très personnelle. Ainsi il aborde le premier volet Allegramente sur un tempo retenu avec le soutien d’un orchestre assez sonore, mais toujours respectueux de l’équilibre avec le soliste. Une certaine langueur de son jeu contraste avec les interventions colorées des solos instrumentaux. A cet égard, on admire la perfection des traits virtuoses de la trompette de René-Gilles Rousselot et ceux du redoutable solo de cor admirablement joué par Thibault Hocquet. L’Adagio assai se déploie avec poésie sous les doigts du pianiste qui en révèle néanmoins avec finesse un sous-texte non dénué de nostalgie. Une nostalgie que vient souligner le remarquable solo de cor anglais de Gabrielle Zaneboni. Un brin de folie jazzistique vient enfin animer le Presto final dans lequel Tom Borrow combine admirablement virtuosité et profondeur. La coda allume un feu irrésistible que le public acclame longuement.
Tom Borrow offre alors un bis qui pourrait faire le lien avec la musique qui va suivre. Il s’agit d’un des beaux et poétiques Préludes de Sergueï Rachmaninov, joué avec finesse et subtilité.
Toute la seconde partie est consacrée à cette vaste Symphonie n°11 en sol mineur (op. 103), dite L’Année 1905, de Dmitri Chostakovitch. Cette partition, composée au début de 1957 en souvenir de l’insurrection de 1905, ne déroge pas au double langage du compositeur. Une certaine ambigüité expressive offre aux autorités un apparent hommage aux révolutions bolcheviques, alors que sa musique évoque « …un phénomène actuel : il y est question du peuple qui a perdu la foi. Car il y a vraiment eu trop de crimes commis » (Mémoires de Chostakovitch). Cette partition est en fait un poème symphonique dont chaque mouvement porte un sous-titre évocateur des événements tragiques de la révolte de 1905. Elle s’avère être l’une des symphonies les plus rarement jouées en concert. Cette exécution toulousaine est certainement une première. Elle mobilise un effectif orchestral pléthorique, avec notamment pas moins de dix contrebasses !
Tout au long des quatre mouvements enchaînés l’orchestre est littéralement porté à incandescence par la direction passionnée et néanmoins d’une parfaire précision de Robert Trevino. Le premier volet, intitulé La Place du Palais, est un Adagio qui évoque le cadre et la préparation de ce « Dimanche sanglant » de janvier 1905 au cours duquel une manifestation pacifique fut réprimée et fit plusieurs centaines de morts. L’atmosphère lugubre et oppressante qui émerge des cordes pianissimo est rompue par d’inquiétantes sonneries de trompettes. Un impressionnant solo de cor ponctue ces conflits expressifs. Ces deux solos de cuivres sont admirablement joués par les mêmes musiciens qui ont brillé dans le concerto de Ravel. Le vaste Allegro qui suit (intitulé Le 9 janvier), illustre véritablement ces événements sanglants. Cette agitation tragique, scandée par des citations de chants patriotiques, se traduit par un impressionnant déploiement de tous les pupitres de l’orchestre. Désolation, souffrance, colère évoquent ici les forces répressives à l’œuvre.
L’Adagio, sous-titré Mémoire Eternelle, utilise un chant de deuil révolutionnaire joué de la plus émouvante façon par les pupitres d’altos, de violoncelle et de contrebasses. L’émotion est ici à son comble. L’Allegro non troppo final est intitulé Le Tocsin. C’est un nouveau chant révolutionnaire, Enragez tyrans, qui ouvre cet immense cri de révolte. Les incroyables modulations harmoniques imaginées par Chostakovitch, parfaitement réalisées ici, évoquent presque un certain atonalisme. L’épisode Adagio qui suit repose sur un solo bouleversant de cor anglais. Le retour de l’effervescence n’évoque en rien une quelconque apothéose. Il s’agit plutôt d’une véritable menace apocalyptique que soulignent d’intenses sonneries de cloche. L’œuvre s’achève sur une impressionnante explosion finale qui s’interrompt brutalement, de manière soudaine et inattendue. Le long silence qui suit prolonge encore pendant de longues secondes la résonance de ces sonneries de cloches. L’effet dramatique serre la gorge. Les applaudissements finissent par éclater en une ovation triomphale qui salue cette exécution magistrale. Le chef remercie chaque soliste, chaque pupitre de l’orchestre. Les musiciens eux-mêmes manifestent leur satisfaction en incitant le chef à saluer seul sur son podium.
Un grand moment de musique vient d’illuminer la saison symphonique !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole