Depuis la terrasse ombragée de Belaye, on contemple une plaine inviolée. Pas de poteaux, pas d’immeubles, pas d’usine, sur des kilomètres. Les vignes, les forêts, les méandres du Lot, les collines qui montent vers les causses, sont les seuls témoins de ce qui s’est noué ici il y a 33 ans. Car il y a de cela un tiers de siècle, Roland Pidoux choisissait ce village pour y créer les rencontres de violoncelle. Roland Pidoux a connu une carrière magnifique, entre autres grâce au trio qu’il formait avec Jean-Claude Pennetier et Régis Pasquier. Ces dernières années, il les a consacrées à l’art de transmettre, notamment par ces rencontres de violoncelle, qui mêlent concerts, séminaire d’interprétation public et ateliers pour enfants dans une dense semaine.
Le souhait majeur de l’association qui porte les rencontres est la démocratisation de la musique. Les programmes des concerts sont très variés, dans les formations présentes sur scène comme dans les œuvres jouées. L’un des concerts, gratuit, est réservé aux habitants du village et aux membres de l’association. Les interprètes sont jeunes ; une partie du public l’est aussi. Il semble bien que ce pari soit en partie tenu ; on ne peut que louer le travail des bénévoles, engagés dans une véritable vie associative autour de l’événement musical.
J’ai assisté à trois des six concerts proposés.
Le dimanche 7 août, le concert d’ouverture débute par une pièce de Luise Adolpha Le Beau, compositrice allemande de la fin du XIXème siècle. Roland Pidoux trône, entouré de cordes par huit, dans ces quatre pièces op. 24 au lyrisme romantique puissant. La cadence qui clôt le cycle, dans une Mazurka infernale, met à l’honneur la splendide virtuosité de son geste. Suit une transcription pour violoncelle et piano de la grande sonate pour violon et piano de César Franck. Passé l’étonnement des registres graves un peu sur-exposés, on est saisis par l’effet d’entraînement que nous imposent les deux jeunes interprètes. Un extrait de symphonie de Haydn nous amène au clou du concert : le Trio « à l’Archiduc » op. 97 de Beethoven. Corina Belcea, Antoine Landerlin, Mihai Ritivoiu, quel talent dans ce trio! Les variations de l’Andante sont une splendeur de variété, de timbrage, de fluidité, l’enchaînement avec le finale nous laisse comme asséchés. Un grand moment de musique.
Le mardi 9 août, c’est le fameux concert des « amis ». Porte ouverte, donc. On est en famille, ce qui n’empêche pas l’église d’être pleine à craquer. Neuf courtes œuvres sont enchaînées sans entracte. De ce florilège on retiendra Lullaby et Grotesque, pour alto et violoncelle, de Rebecca Clarke ; une compositrice britannique du mitan du XXième siècle qu’il faut redécouvrir d’urgence. Clin d’oeil à l’actualité, Roland Pidoux proposait à la suite un Cantabile de Cesar Cui (russe, donc) et une Humoresque de Mikhail Bukinik (ukrainien). Enfin un beau moment d’émotion avec un arrangement pour six violoncelles de l’adagio pour cordes de Samuel Barber.
Le vendredi 12 août, après une mise en bouche de Boccherini, nous avons découvert le 2ème Trio de Dvorak. Autant le 4ème, « Dumky » connaît une grande notoriété, autant celui-ci est très peu donné. Même si quelques thèmes originaux percent par endroit, il reste assez formel. Disons que les interprètes en ont tiré toute la saveur possible. La deuxième partie débutait par une Phantasy en fa mineur de Benjamin Britten. Décidément les britanniques nous réservent bien des surprises ! C’est un feu d’artifice de couleurs, d’accord surprenants, de nuances inattendues, d’élans déchirants, que les 5 cordes ont soulevé avec passion. Enfin, sommet du concert et sans doute de la semaine, le deuxième sextuor de Brahms. Accueillie très fraîchement du vivant du compositeur, l’œuvre majeure est donnée ici dans une interprétation remarquablement engagée et lisible qui lui rend parfaitement justice.
Nous attendons maintenant avec impatience le prochain cru des 34èmes rencontres de violoncelle de Belaye. Les choses sont bien faites dans ce bout du Lot : vous trouvez une petite location pour une semaine ; dans la journée vous enchaînez les explorations du pays, les balades sur le Lot, les visites de caves ; puis à 18h30, un concert par soir, qui se conclut logiquement par une guinguette aux étoiles. A l’année prochaine !
Merci à Bernard Custodio pour ses magnifiques photos, cédées pour cet article.