Parcourant sans faillir plus de trois siècles de répertoire lyrique, la soprano Marie-Adeline Henry, rarement entendue à Toulouse, nous offre sa première Jenůfa. Dans cet entretien, la soprano évoque avec beaucoup de justesse ce rôle, mais également, et avec non moins de sincérité, nous parle de sa voix sans pour autant lever le moindre voile sur ses ambitions/souhaits/désirs lyriques à venir.
Classictoulouse : Après avoir été distribuée lors de la dernière apparition d’Elektra à la Halle aux grains de Toulouse en 2010 (une Servante de Clytemnestre), puis, quelques temps après, en 2011, dans la Fiordiligi de Cosi fan tutte, nous vous retrouvons cette saison pour une première, celle du rôle-titre de la Jenůfa de Leoš Janáček, un personnage que vous auriez dû prendre sur notre scène en 2020… Quelles sont les difficultés de ce rôle, tant d‘un point de vue vocal que linguistique (le tchèque) ?
Marie-Adeline Henry : Le tchèque n’est pas une difficulté particulière, le hongrois l’est bien davantage pour moi, par exemple. Peut-être aussi du fait que j’ai été familiarisée avec le tchèque dans ma jeunesse. Nous avons également, dans une production comme celle-ci, un coach pour travailler cette langue particulièrement et l’expression musicale propre à ce répertoire. Le coach présent sur cette production, Ahmad Hedar, a été formidable de patience et de justesse dans ses remarques et petites « astuces ». A travers les personnages de cet opéra, on peut voir combien Janáček connaissait parfaitement la nature humaine, et combien la construction musicale suit le mouvement incessant des émotions, celui-là même que nous connaissons tous dans notre quotidien. Il me semble donc que la plus grande difficulté du rôle de Jenůfa est commune à celle des autres rôles de ce compositeur, à savoir, réussir à incarner avec justesse ces changements, aussi rapides et/ou brutaux soient-ils, tout en gardant la maîtrise de soi-même. Un travail de dentelle qui n’aurait pas pu se faire sans l’aide précieuse de Christian Carsten (ndlr : Christian Carsten est chargé de la reprise de la mise en scène de Nicolas Joel).
Jenůfa est un rôle d’une grande complexité dramatique
MAH : Effectivement, ses rebonds émotionnels nous la montrent tantôt dans la retenue, tantôt dans l’extrême violence d’une colère, d’une angoisse, d’une sidération.
Ce rôle est particulièrement « orchestré »
MAH : Je n’ai jamais eu de problème pour passer un orchestre, c’est le scénario contraire que j’ai eu à gérer durant toutes ces années passées, devant me contenir la plupart du temps… De ce point de vue, je suis contente de pouvoir chanter à pleine voix quand c’est le moment opportun, ou de jouer avec des nuances très douces, voire de faire appel à une voix presque « blanche » ou rauque, pour jouer avec les contrastes vocaux que j’affectionne tant.
Ne pas forcément rechercher le beau, mais magnifier l’imperfection, la fragilité, les failles… l’humanité. Un jeu de couleurs que j’ai eu beaucoup de plaisir à explorer avec le chef d’orchestre Florian Krumpöck. Pour aborder un tel rôle, j’avais besoin d’être bien entourée, et je le suis remarquablement. Il me semble que le rôle véritablement « dramatique » de cette œuvre, est celui de la Sacristine (la belle mère de Jenufa) magistralement interprétée par Catherine Hunold, que je suis vraiment heureuse d’avoir enfin rencontrée.
De Britten à Tchaïkovski en passant par Debussy et bien d’autres, c’est tout de même Mozart qui occupe une grande partie de votre répertoire.
MAH : Mozart aura été terriblement difficile pour moi à chanter, car il m’a obligée bien souvent à contraindre mon instrument, parfois de manière exagérée. Et bien que je reconnaisse que ces années de challenges m’ont apportée beaucoup en terme de musicalité, de souplesse, d’adaptabilité, que je suis heureuse d’avoir pu aborder ces rôles riches et magnifiques, que c’est avec eux que j’ai fait mes armes, mais aussi mes preuves, et que c’était aussi un parcours approprié à mon âge, je n’en suis pas moins soulagée, aujourd’hui, de faire une pause dans ce répertoire.
Quels autres rôles, après celui de Jenůfa, ambitionnez-vous un jour d’aborder/aimeriez-vous que l’on vous propose ?
MAH : C’est une question à laquelle je ne souhaite pas pour l’instant répondre ni même partager mes réflexions sur le sujet car mon répertoire est en pleine mutation. Je dirais simplement que j’ai toujours eu des propositions incroyables tout au long de ma carrière et que cela continue. Je fais confiance aux personnes qui ont, en retour, confiance en moi. Une carrière ne se fait qu’en équipe, et je suis bien entourée, là aussi, pour qu’elle évolue dans le bon sens, et à un rythme convenable pour ma voix.
Propos recueillis par Robert Pénavayre
En savoir plus sur Jenůfa :
> Jenůfa, drame musical mené par les femmes
> Tragédie rurale
> Jenůfa : quel uppercut !!
> Entretien avec Catherine Hunold