SUITE ET FIN
(toujours illustrées par les Aquarelles de Colette Angelitti)
Comme le dit justement Laurence Rigal, du Château Grand Caumont dans les Corbières, « le métier de vigneron est une histoire de passion et de partage ».
Rien d’étonnant à ce que cette alchimie se retrouve dans le Vin et ait inspiré de si nombreux artistes.
La chanson traditionnelle regorge de chansons à boire, comme ce « Vaudeville » du chansonnier Charles-François Pannard (1689-1765), sur l’air traditionnel « Eh ! pourquoi, quoi, quoi » :
Pourquoi boirions-nous de l’eau ?
Sommes-nous des grenouilles ?
Vous tous qui tendez l’oreille,
Retenez ce bon conseil
Ne buvez jamais de l’eau
Un bon vin ça ravigouille.
Et s’ils sont nombreux à avoir eu le vin triste comme Serge Reggiani (Je bois) ou Jacques Brel (L’ivrogne), ils sont infinement plus nombreux à l’avoir eu gai.
En 1934, Berthe Sylva (1885-1941) chantait On n’a pas toujours vingt ans (paroles de Fernand Pothier et musique de Léon Raiter) :
L’atelier de couture est en fête,
On oublie l’ouvrage un instant,
Car c’est aujourd’hui que Marinette
Vient juste d’avoir ses vingt ans.
Trottins, petites mains et premières
Ont toutes apporté des gâteaux
Et Marinette, offrant le porto,
Dit, joyeuse, en levant son verre:
On n’a pas tous les jours vingt ans,
Ça nous arrive une fois seulement,
C’est le plus beau jour de la vie.
Alors on peut faire des folies.
L’occasion il faut la saisir
Payons-nous un petit peu de plaisir,
Nous n’en ferons pas toujours autant,
On n’a pas tous les jours vingt ans!
Même si le pinard, la vinasse, des pauvres Poilus de 1914 qui allaient se faire trouer la peau au champ d’horreur était plus sympathique que la pervitine (une amphétamine de synthèse) qui faisait courir les soldats allemands comme des lapins en juin 1940, malgré son air entrainant, on oubliera vite La Madelon, un tube de 1914 :
…La servante est jeune et gentille
Légère comme un papillon,
Comme son vin son œil pétille,
Nous l’appelons la Madelon.
Quand Madelon vient nous servir à boire,
Sous la tonnelle on frôle son jupon,
Et chacun lui raconte une histoire,
Une histoire à sa façon…
Mais on se rappellera plutôt avec émotion de la Butte rouge du chansonnier pacifiste Montéhus (1872-1952) , allusion à un sanglant épisode de la Grande Guerre sur le front de Champagne:
Sur c’te butt’-là y’avait pas d’gigolettes,
Pas de marlous, ni de beaux muscadins ;
Ah ! c’était loin du Moulin d’la galette
Et de Panam’, qu’est le roi des pat’lins.
C’qu’ell’ en a bu, du beau sang, cette terre !
Sang d’ouvriers et sang de paysans,
Car les bandits qui sont cause des guerres,
N’en meur’nt jamais, on n’tue qu’les innocents !
Refrain
La Butt’ Roug’ c’est son nom, l’baptêm’ s’fit un matin
Où tous ceux qui montaient roulaient dans le ravin…
Aujourd’hui y’a des vign’s, il y pouss’ du raisin
Qui boira ce vin-là, boira l’sang des copains !
Ou d’Alan Seeger, américain venu mourir en Champagne en 1918, « pour défendre la patrie de la liberté », qui a célébré cette région vinicole mondialement connu dans un hommage bouleversant :
Sous chacune des croix de bois plantées
dans les champs crayeux de Champagne
repose un soldat.
Buvez, vous, les promeneurs paisibles,
dont le pas lent s’attarde aux chemins sans danger,
à ceux qui, tombés là sous des coups invisibles,
vus ont gardé la terre où l’on peut vendanger.
Ne les honorez pas, ces héros obscurs
avec des couronnes-et des larmes,
mais quand vous serez rassemblés-autour d’une table,
bercés par la musique, le visage illuminé de plaisir,
buvez, vous qui foulerez encore les sentiers de la terre,
levez vos coupes-à leur mémoire,
buvez à eux qui ont tout sacrifié à cette terre chérie,
et dans le jus de la vigne qui a muri sur les coteaux où ils tombèrent
oh! trempez ardemment vos lèvres comme pour leur donner-un baiser.
Dans les joyeux banquets
quand les verres seront pleins des perles dorées du vin de France
où se concentrent les rayons du soleil,
buvez- à la mémoire de ceux qui ont versé leur sang sur ce sol où ce vin naquit.
Buvez ! Dans le vin d’or où passe un reflet rose,
laissez plus longuement vos lèvres se poser,
et pensant qu’ils sont morts où la grappe est éclose,
ce sera pour eux comme un pieux baiser.
Ou encore la Marseillaise aux Viticulteurs d’Auguste Rouquet en 1907, lors de la Révolte des Vignerons du Midi :
Debout ! Viticulteurs !
C’est trop, trop de malheurs !
Luttons ! luttons !
Et, sans faiblir, ensemble nous vaincrons !
De notre vin nous voulons vivre.
Qu’on écoute enfin notre voix;
Que des fraudeurs on nous délivre,
Qu’on nous donne ce qu’on nous doit. (bis)
Accourez ceux de Carcassonne,
De Béziers et de Lézignan,
D’Argeliers, Nîmes, Perpignan,
Coursan, Montpellier et Narbonne !
Fils du Midi, Debout !
Nous irons jusqu’au bout!
Luttons ! luttons !
Et, sans faiblir, ensemble nous vaincrons !
Francis Jammes (1868-1938), le béarnais mystique à la foi du charbonnier, qui voulait « aller au Paradis aves les ânes », a joyeusement sacrifié aux bons vins de son terroir : « Comme disait Rutebeuf, le Poète, qui rudement œuvre avec ses mains en bon travailleur manuel, ne doit point dédaigner un bon verre de vin à chaque repas et plusieurs les jours de fête ; en bon célébrant de la beauté que Dieu a mis dans la vie de tous les jours, le Poète aime le bon vin, et il l’aime dans un grand verre à eau! On n’a le goût du pays Qu’avec le vin de son pays!
Le vin puissant-et liquoreux de Jurançon
Qu’avec de l’ail goûta un royal enfançon,
Le vin de Monein, chaud comme un vin de Madère,
Roux et laissant du caramel au flanc du verre,
Le vin noir, à la langue âpre, d’Irouléguy,
Aimé du basque francet rêche comme lui,
Le vin dit Pique-Poult que l’Armagnac distille
Afin lui passer une flamme subtile,
Le vin rouge, soleil qui dans un rubis veille,
Le vin blanc, soleil vu au travers de la treille,
Aucun vin, ni celui d’Ausone, ni celui
De Racine ne vaut le vin de mon pays!
Comment sera le paradis?
Il y aura des flûtes-et des harpes,
Des poulardes-et des carpes,
Avec un bon vin de chablis!
Mais si ses rêveries bucoliques entraînent-à certaines heures le Poète dans le paradis de Bacchus, n’en déduisez pas pour autant qu’il se trouve en permanence dans les vignes du Seigneur ».
En Amérique du Nord, une délicieuse chanson de 1950 (paroles et musique de James Shelton) Lilac Wine, a été magnifiquement interprétée (entre autres) par Nina Simone, cette grande chanteuse que l’on a empêché de devenir la première pianiste classique afro-américaine, devenue l’égérie de la Lutte pour les Droits civils au Etats-Unis :
J’ai été hypnotisé par un étrange plaisir
Sous un lilas
J’ai fait du vin à partir du lilas
J’ai mis mon cœur dans cette recette
Ce vin de lilas est doux et enivrant, comme mon amour
Le vin de lilas, je me sens instable, comme mon amour
N’est ce pas lui qui vient vers moi ?
Le vin de lilas est doux et enivrant,
Mais où est mon amour ?
Woody Guthrie sur le disque Ballads of Sacco & Vanzetti pour ces italiens accusés à tort de meurtre et exécutés sur la chaise électrique en 1927 parce que syndicalistes à une époque où l’on risquait sa vie pour défendre les droits des travailleurs, a composé Red Wine:
Oh, versez-moi un verre de vin rouge italien,
laissez-moi le goûter et rappeler à l’esprit
Une fois de plus dans mes pensées, une fois de plus dans mon âme
Cette histoire aussi grande, sinon plus grande que toutes.
Et ill fut un temps où les écrivains américains amateurs de grands crus venaient souvent en France pour étancher leurs grandes soifs, comme Hemingway ou Jim Harrison, au prétexte de faire ainsi hommage à la patrie des Droits de l’Homme et du Citoyen ; même s’ils n’avaient pas besoin d’excuse, ils se sentant encouragés par le célèbre critique Charles Monselet (1825-1888) dans un texte très connu à la gloire des Vins de France :
Il est-une heure où se rencontrent
Tous les grands vins dans un festin,
Heure fraternelle où se montrent
Le Lafite et le Chambertin.
Plus de querelles, à cette heure,
Entre ces vaillants compagnons ;
Plus de discorde intérieure
Entre Gascons-et Bourguignons.
Comme aux réceptions royales
Que virent les deux Trianons,
Circulent-à travers les salles
Ceux qui portent les plus beaux noms.
A des gentilshommes semblables
Et non moins armoriés qu’eux,
Les grands vins, aux airs agréables,
Echangent des saluts pompeux.
Pommard, en souriant, regarde
Glisser le doux Brame-Mouton,
Nul ne dit-à Latour : » Prends garde ! »,
Pas même le bouillant Corton.
Volnay raconte ses ruines
Au digne Saint-Emilion,
Qui l’entretient de ses ravines
Et des grottes de Pétion.
» Moi, sans que personne s’en blesse,
J’ai, dit monsieur de Sillery,
Conquis mes lettres de noblesse
Aux soupers de la Du Barry ! »
» Sans chercher si loin mon baptême,
Prophète chez moi, dit Margaux,
A la duchesse d’Angoulême
J’ai fait les honneurs de Bordeaux. »
Le jeune et rougissant Montrose,
Ayant quitté pour un instant
Le bras de son tuteur Larose,
Jette un regard inquiétant,
Et cherche, vierge enfrisonnée,
Rouge comme un coquelicot,
Mademoiselle Romanée
Auprès de la veuve Clicquot.
Certaine d’être bien lotie,
Malgré son air un peu tremblant,
Dans un coin, la Côte-Rôtie
Sourit à l’Ermitage blanc.
Et quel bel exemple nous donnent
Ces vins dans leur rare fierté
Qui s’acceptent-et se pardonnent
Leur triomphante égalité !
Le bon Georges Brassens (1921-1981), même s’il n’a longtemps pas pu s’offrir des bonnes bouteilles, a goulument honoré et célébré « la chaude liqueur de la treille » :
J’suis issu de gens
Qui étaient pas du gen-
re sobre
On conte que j’eus
La tétée au jus
D’octobre…
Mes parents on dû
M’trouver au pied d’u-
ne souche
Et non dans un chou
Comm’ ces gens plus ou
Moins louches
En guise de sang
( O noblesse sans
Pareille! )
Il coule en mon cœur
La chaude liqueur
D’la treille…
Quand on est un sa-
ge, et qu’on a du sa-
voir-boire
On-se garde à vue
En cas de soif, u-
ne poire
Une poire ou deux
Mais en forme de
Bonbonne
Au ventre replet
Rempli du bon lait
D’l’automne…
Pour conclure ce petit florilège, je voudrai évoquer le souvenir d’un ami italien regretté, le cantautore, le chanteur Gian Maria Testa, trop tôt parti, qui amenait toujours sur scène son verre de vin, blanc la plupart du temps. Yann Plougastel commençait ainsi son hommage dans le Monde du 31 mars 2016, au moment des sa disparition : Contrairement à ce que dit la chanson, Gianmaria Testa n’était pas toujours « gai comme un Italien quand il sait qu’il aura de l’amour et du vin ». Mais il aurait pu. Car, italien, piémontais, il l’était, intensément, sensuellement, et il avait fait de l’amour le principal thème de ses mélodies.
Et j’ajouterai que si GianMaria a longtemps vécu dans les Langhe, une partie du Piémont, cœur des cépages Niebbolo, Barolo, Dolcetto d’Alba etc., où les vignes qui enluminent le paysage produisent de si bons vins blancs, son péché mignon, ce n’est pas par hasard.
Ses disques sont des moments de bonheur à déguster dans l’intimité ou entre amis ; et toujours avec une bonne bouteille de bon vin italien. Je me rappelle avec émotion d’avoir partagé avec lui dans la loge de la Salle Nougaro un gouleyant Poggio ai Mori, un chianti classico de la propriété de Marie Ferré que je lui ai fait découvrir (voir ma chronique sur Culture 31) :
Et je songe à l’Hymne aux Vignerons du grand Jacques Prévert :
Bonheur aux nouveaux
Et honneur aux anciens qui ont rejoint le royaume des ombres
Que la fête se termine en beauté
Que les verres se lèvent encore et encore
Et que le bon vin ramène ceux que le bon vent a amenés aujourd’hui.
N’en déplaise aux pisse-froids, les plus grands poètes (et musiciens) ont souvent vécu leur vie entre deux vins, celui de la vigne et celui de la poésie (et de la musique).
Le Vin et les artistes ont toujours été en symbiose, et la savante alchimie qui les unit n’est pas du tout un hasard, comme l’a si bien décrit François Coppée (1842-1908):
Longtemps, dans l’atmosphère humide des caveaux,
Sous la voûte profonde et de nitre imprégnée,
Le jeune vin vieillit dans des flacons nouveaux.
Il faut que dans le calme et l’ombre des tonneaux
La sublime liqueur dure plus d’une année,
Avant que d’accomplir la noble destinée
D’exalter-un instant nos cœurs-et nos cerveaux.
Il en est-ainsi de la pensée humaine:
C’est par un très secret et très lent phénomène
Qu’elle se plie enfin au rythme harmonieux,
Des Muses de la Poésie, ambroisie des Dieux.
.
Si le Vin est à consommer avec modération, les poésies et les musiques qu’il a inspirés (et inspire toujours) sont à consommer sans modération !!!
Avec Vincent Pouchet, violoncelliste de l’Orchestre du Capitole, comme Casimir Delavigne au nom prédestiné, nous avons plaisir
A taquiner la Muse peu sévère
Que nos vieux pères aimaient tant,
La Muse qui laisse, en chantant,
Tomber des roses dans nos verres.
C’est ce que nous proposons avec Les Eloges du Bon Vin, un concert poétique pour violoncelle… avant de déguster avec nos auditeurs les bons crus du pays.
Aquarelles de Colette Angelitti avec l’aimable autorisation de sa fille Marianne Angelitti-De France.
Le Vin : quelle Histoire, que d’histoires ! – 1ère partie
Pour en savoir plus :
1) Dame Colette Angelitti
L’artiste aquarelliste botaniste, ou comme elle se désignait « aquarelliste de la Flore », raconte en aquarelle, avec « Les belles voyageuses », ces fleurs et plantes qui ont traversé les océans et les siècles pour soigner, nourrir ou embellir par leur éphémère et fragile existence C’est en visitant la collection royale du Muséum de Paris et les œuvres de Pierre-Joseph_Redouté le « Raphaël des fleurs » que l’artiste a découvert l’illustration botanique. Elle a mis alors ses pinceaux et pigments au service de cette magnifique passion. Son graphisme affirmé, la délicatesse et la précision de son travail délicat a été très souvent récompensé. On peut trouver des exemples de son travail sur Flore d’aquarelle et le site des peintres botanistes Pommiers.
2) Dans le sud de la France, le site de Terra Amata, près de Nice, daté de 400 000 ans avant notre ère, a livré de nombreux pépins, ce qui permet d’attester que les raisins de lambrusque étaient déjà cueillis et ramassés depuis le Paléolithique inférieur entre -500 000 et -120 000 ans. La carpologie ( la science qui étudie les graines, fruits et autres organes végétatifs et reproducteurs retrouvés en contexte archéologique)nous aide à distinguer les pépins de raisin parmi les graines, comme, par exemple, sur le site d’Olaho II, situé sur le lac Tibériade (Israël), où la présence humaine est datée de 23 000 ans, 90 000 graines et fruits représentant 142 espèces ont été mis au jour, parmi lesquels des pépins de raisins de vigne sauvage.
On situe généralement l’émergence de la viticulture dans les zones montagneuses de Transcaucasie et du Zagros au Proche-Orient. Le passage de la vigne sauvage à la vigne cultivée y serait intervenu entre le VIe et le Ve millénaire avant notre ère. Mais il est probable que la vigne cultivée et la production de vin soient apparues à peu près au même moment dans différents endroits, comme semble l’indiquer la découverte, dans le nord de la Turquie, de grains de blé et de pépins de raisins, peut-être cultivés, sur le site de Çayönu daté du VIIe millénaire.
Les humains de la Préhistoire ont probablement commencé par fabriquer des boissons, fermentées ou non, à partir des raisins sauvages avant de cultiver la vigne. D’autres boissons fermentées existaient sans doute dès cette époque, à base de fruits (baies de sureau), de céréales (bières) ou de miel (hydromel). En tout cas du vin a été bu dès le VIe millénaire. On a en effet retrouvé sur les parois internes de poteries mises au jour sur le site de d’Hajji Firuz Tepe, en Iran, des résidus d’acide tartrique, un des principaux composants du vin. Des traces vieilles de 7 500 ans.
3) Gianmaria Testa : gianmariatesta.com
4) Petite bibliographie succincte :
Le Vin et la Musique, révélations sur des accords divins de Sylvie Reboul(Edition Féret), avec de très belles illustrations.
Petit dictionnaire Absurde & Impertinent du la Vigne et du Vinde Jean-Pierre Gauffre (Edition Féret).
Le Vinde Jean Pruvost (Honoré Champion Editeur).
Traité de bon usage de VinFrançois Rabelais (Editions Allia)…
Sur Internet, on trouve d’innombrables sites consacrés au Vin, ne seraient-ce que ceux qui vantent les produits des très nombreux « châteaux » ou producteurs.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Vin
https://www.hominides.com/html/dossiers/vin-origine-histoire.php
https://www.toutlevin.com/article/l-histoire-du-vin
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