Les pointures seront bien là pour mener à bien ce moment exceptionnel. Les musiciens de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse seront placés sous la baguette de Ryan Bancroft, chef qu’ils connaissent et apprécient fort. Gustav Holst descend sur terre avec son œuvre phare : Les Planètes. Le Chœur d’État de Lettonie “Latvija“, Māris Sirmais chef de chœur, l’y aidera. Auparavant, Yuja Wang aura mis le feu à son clavier dans le Concerto pour piano et orchestre n° 2 de Serge Prokofiev. Il fallait bien deux dates et c’est donc pour le 5 et le 6 novembre à la Halle à 20h.

Ryan Bancroft © Per Morton
Ce Deuxième Concerto, œuvre qualifiée d’athlétique, extrêmement redoutable, nécessitant le concours d’un interprète musclé et “habité“ par cette musique, c’est bien Yuja Wang qu’il nous faut ! Et c’est à la Halle, après Boston, et avant Dortmund, Paris et Vienne !!, puis Los Angeles, Rome et San Francisco. Eh oui………
Concerto pour piano n°2 en sol mineur, op.16
I Andantino – Allegretto
II Scherzo: vivace
III Intermezzo: Allegro moderato
IV Allegro tempestoso
Durée : environ 30 minutes
« Le Deuxième Concerto pour piano de Prokofiev est un document humain exceptionnel. Avec son scénario de souffrance, de fuite, de désenchantement et de développement de la maturité, il représente l’ultime adieu à un ami aimé. » Alexander Toradze, pianiste – 1997.
Doué d’une prodigieuse technique du clavier, et ce dès son plus jeune âge, Prokofiev semble véritablement s’amuser aussi bien dans son premier concerto pour piano que dans les quatre qui vont suivre. L’“enfant terrible“ du Conservatoire de Saint-Pétersbourg aura terminé le n°1 à vingt ans, en 1911, et le second qui nous occupe, deux ans plus tard. Mais la partition originale va disparaître dans la tourmente de la Révolution de 1917-18 au cours d’un incendie volontaire dans sa maison “squattée“ et il faudra attendre 1923 pour une seconde version, recomposée de mémoire. Prokofiev en profitera pour enrichir surtout l’orchestration.
Ayons à l’esprit son aveu caractéristique suivant : « Le mérite principal de ma vie ou, si vous préférez, mon principal inconvénient, aura été la recherche d’une langue originale, qui me soit propre. Je hais l’imitation, je hais les procédés rabattus…… » Que ce soit par son importance, il dure deux fois plus que son Premier, sa splendeur ou sa matière musicale, ce n°2 montre la détermination d‘un compositeur à vouloir dépasser son travail précédent. Certains, alors, vont en profiter pour parler de virtuosité gratuite pour ne pas vouloir reconnaître à l’œuvre ses qualités et remarquer qu’elle déborde de vitalité et de piquant. Mais le plus frappant reste bien la symbiose entre l’orchestre et le chef dans cette partition où l’un ne peut aller sans l’autre. Et pour cette entente parfaite, on fait confiance absolue à nos deux musiciens, Ryan Bancroft et Yuja Wang. Il doit se produire une sorte de miracle, un lien étrange entre un piano qui se veut alors révolutionnaire par la technique exigée qui va aux limites des capacités physiques du pianiste, et l’orchestre, une sorte de volcan aux éruptions erratiques. C’est un alliage à traduire entre des sonorités complémentaires, bien éloigné d’une certaine élégance occidentale d’alors.

Sergei Prokofiev (1891-1953) – Photo vers 1920
N’oublions pas que la première mouture est contemporaine, 1913, d’un certains Sacre du printemps !! et on sait quelle fut, au départ, la réaction du public.
Présent à Paris ce fameux 29 mai, Prokofiev sera même le témoin privilégié du scandale et du climat insurrectionnel inédit qui anime le microcosme musical gravitant autour du Théâtre des Champs-Élysées. Ce fut d’ailleurs le même comportement en salle, aussi tonitruant qu’à cette fameuse Première, lors de la création de ce Concerto n°2, à Pavlovsk, banlieue de Saint-Pétersbourg, un certain 23 août 1913 du calendrier Julien, avec le compositeur pour soliste. Une soirée qui tournera au cauchemar avec une partie du public qui s’indigne, siffle, quitte la salle bruyamment, hurle. Seule une poignée de présents crient au génie. Un des rares mélomanes, critique en place, écrira : « Prokofiev a un pas d’avance sur son temps. Le public a hué l’œuvre. Cela ne signifie rien. D’ici une dizaine d’années, ce même public se rachètera en faisant une ovation unanime à un compositeur devenu célèbre et reconnu dans toute l’Europe. » Dans sa deuxième version de 1923, le Concerto fut exécuté pour la première fois par Prokofiev en 1924à Paris par l’incontournable Serge Koussevitzky.
Anecdote explicative pour ce Second concerto : le contexte de cette musique est d’une grande importance. Prokofiev a dédié l’œuvre, ainsi que d’autres d’ailleurs de cette époque, au pianiste Maximilian Schmidthof. Ce musicien, extravagant et précoce de talent, avait été l’ami le plus proche de Prokofiev de 1909 à 1913, années de conservatoire. Ils étaient comme des jumeaux. Schmidthof fut un modèle pour le jeune Prokofiev, notamment en raison de son intelligence brillante, de son élégance rare et de son aisance en société. Le compositeur ira même jusqu’à écrire à Ekaterina, la sœur de Schmidthof, que pendant la durée de leur amitié, il n’était plus lui-même, mais qu’il était “à moitié Max“. Avril 1913, Prokofiev reçoit une lettre de son ami, en vacances sur le golfe de Finlande qui disait : « Cher Seroija, je te donne de mes nouvelles : je viens de me suicider……je me suis donné un coup de pétard… ». Prokofiev fut totalement dévasté par ce tragique événement, et on peut supposer qu’un tel choc affectif ait pu avoir une influence certaine sur les idées menant à la composition.

Yuja Wang © Julia Wesely
Sur Yuja Wang, une remarque résume l’artiste qui subjugue littéralement nos oreilles, et nos yeux ! « Sa combinaison d’aisance technique, de gamme “coloristique“ et de puissance pure a toujours été remarquable… mais aujourd’hui, sa musicalité est d’une profondeur toujours plus grande, vous entraînant dans le monde de chaque compositeur avec une immédiateté convaincante. » Financial Times.
La pianiste Yuja Wang, née à Pékin, est reconnue pour son charisme artistique, sa sincérité émotionnelle et sa présence scénique captivante. Elle s’est produite avec les chefs d’orchestre, les musiciens et les ensembles les plus réputés au monde, et est réputée non seulement pour sa virtuosité, mais aussi pour ses performances spontanées et entraînantes. Elle a notamment déclaré au New York Times : « Je crois fermement que chaque programme devrait avoir sa propre vie et refléter ce que je ressens à l’instant présent. »

Gustav Holst par Herbert Lambert en 1921 / Wikimedia
Les Planètes, suite pour grand orchestre de Gustav Holst
Gustav Holst (21-9-1874 Cheltenham 25-5-1934 Londres) est un musicien anglais de naissance et de culture, bien que sa famille soit d’origine germanique et scandinave. Compositeur, chef de chœur et d’orchestre, professeur, organiste, tromboniste de band et d’orchestre, Holst domine son art. Surdoué à l’instar de Mozart, il est bien mal compris. Chez les Holst, le piano est une institution. Les parents de Gustav sont tous deux pianistes (sa mère fut d’abord l’élève de son père), sa tante est également pianiste de talent et côtoie très brièvement Franz Liszt. Que faire alors lorsque le jeune Gustav, inscrit au Royal College of Music à Londres, est atteint d’une névrite de la main droite provoquant de telles douleurs qu’il lui sera impossible de continuer le piano ? Il se met alors au trombone, ce qui lui permet de jouer en orchestre, expérience précieuse pour le compositeur en herbe. Cette atteinte nerveuse physique l’oblige à tout faire de la main gauche, notamment la direction d’orchestre et la correspondance quotidienne, écrite avec une écriture en miroir. Seule la composition reste à la main droite, avec un stylo dont la plume s’attache à l’index.
Et c’est là que nous pensons à Tarmo Peltokoski car : À l’automne 1895, peu après ses 21 ans, Holst fait la rencontre d’une personne dont l’amitié et l’influence seront d’une importance considérable : le compositeur Ralph Vaughan Williams, celui-là même que notre directeur musical tient à nous faire découvrir. Tous deux étudiants au Royal College of Music, ils se nouent rapidement d’amitié grâce à leur passion pour la musique. Mais si Vaughan-Williams est sans doute l’ami le plus proche de Holst jusqu’à la mort de ce dernier en 1934, il sera également son critique le plus coriace. C’est lui qui va l’éloigner de Richard Wagner et parvient à le rediriger vers un style de composition plus original et authentique, puisant dans la musique folklorique britannique. Il discerne en son ami un talent qu’il encouragera et défendra jusqu’à sa mort.
Faisons bref :
C’est en mars 1913, lors de vacances en Espagne (décidément, cette année 1913) que le dramaturge Clifford Bax fait découvrir l’astrologie à Holst, ce qui devient son nouveau « péché mignon » dit-il. Il écrira même des horoscopes pour ses amis. De retour en Angleterre, Holst commence en 1914 la composition de son œuvre majeure, Les Planètes, s’inspirant de sa passion pour l’astrologie et des différents caractères des planètes pour chacun des mouvements. On dit bien astrologie et non astronomie. Mais il existe une autre influence, moins souvent citée, toute aussi importante que l’astrologie : les Fünf Orchesterstücke [Cinq Pièces pour orchestre] d’Arnold Schoenberg. L’étude de la partition l’impressionne, à commencer par comment Schoenberg utilise les différentes forces de l’immense orchestre, tout en discrétion, afin d’y extraire de nouvelles textures expressives. L’influence est telle que Holst prévoit d’intituler sa composition Seven Pieces for Large Orchestra, rappel au titre de Schoenberg.
Anecdote : ne cherchez pas Pluton car sa découverte et sa classification ne datent que de 1930 ! Ni la Terre, (on est dans les Planètes) (et, nous vivons sur Terre et l’astrologie est l’étude du mouvement des planètes et de leur effet sur les habitants de la Terre. Cette dernière ne peut donc pas être considérée dans l’étude astrologique et rejoindre les planètes de Holst.
Chaque mouvement porte le nom d’une planète du système solaire et reflète son caractère astrologique, tel que décrit par Holst :
- « Mars, porteur de guerre » (1914) – Allegro
- « Vénus, porteuse de paix » (1914) – Adagio
- « Mercure, le messager ailé » (1916) – Vivace
- « Jupiter, porteur de joie » (1914) – Allegro giocoso
- « Saturne, porteur de vieillesse » (1915) – Adagio
- « Uranus, le magicien » (1915) – Allegro
- « Neptune, le mystique » (1915) – Andante – Allegretto
L’œuvre est créée en privé le 29 septembre 1918 à Londres sous la direction du chef Adrian Boult.
Créée en public le 15 novembre 1920 à Londres, l’œuvre connaît tout de suite un immense succès. La majorité des critiques sont élogieuses. Comme le souligne le Daily Mail, le langage des Planètes n’est « ni poétique, ni pittoresque, heureusement, mais pure musique ».
Orchestre nationale du Capitole