CRITIQUE. Opéra. TOULOUSE. Théâtre du Capitole, le 30 septembre 2025. MASSENET : Thaïs. Poda/Niquet/Willis-Sorensen/Christoyannis.
Magnifique prise de rôle dans Thaïs pour Rachel Willis-Sorenzen.
Thaïs est un opéra de Massenet dont presque tout le monde connaît le nom ( sa célèbre méditation) mais que peu de gens ont vu sur scène. En soi voir Thaïs est donc un évènement. On n’en voudra donc pas à Christophe Ghristi d’avoir fait venir la vieille production de Stéfano Poda, créée en 2008 à Turin. Nous passerons rapidement sur cette production qui date et a été vue mainte fois en Europe. Poda nous impose une vision lourde, prétentieuse et vulgaire. Nous connaissons son travail plus récent au Capitole avec des résultats variés dans Ariane et Barbe Bleu, Rusalka, et Nabucco. En 2008 avec cette Thaïs nous retrouvons bien des défauts liés à sa conception totalitaire des choses. Poda assure en effet décors, costumes, chorégraphie, lumières et mise en scène ! Tout cela est évidemment bien trop pour un seul homme qui ne peut avoir tous les talents nécessaires. Donc nous subissons cette production sans direction d’acteurs et un plateau surchargé en permanence. Nous devons renonçer à tout orientalisme, à toute élégance…
Côté musique c’est heureusement tout autre chose. Dans la fosse l’orchestre du Capitole est brillant. Couleurs, nuances et phrasés sont superbes. Hervé Niquet à la direction est très engagé. Il dit tout le texte pour lui-même et prend un plaisir évident à diriger cette vaste partition. Il joue le jeu d’étirer le tempo en début d’ouvrage laissant à une certaine lourdeur de la partition le temps de s’installer pour gagner en intensité et en drame à l’acte deux et surtout au trois. Cette direction à la fois dramatique et hédonique nous permet de déguster l’orchestre riche et parfois surprenant de Massenet.
Les chœurs sont excellents et bien caractérisés à chaque instant. La distribution rassemblée par Christophe Ghristi est comme nous en avons l’habitude parfaitement choisie jusque dans les moindres rôles.
La cantatrice américaine Rachel Willis Sorenzen fait une prise de rôle extraordinaire. L’aisance que son interprétation nous offre est confondante quand on sait la difficulté du rôle. Elle l’aborde avec franchise et éclat. Cette grande voix, large et très riche en harmoniques sur toute la tessiture est un atout. Le chant généreux avec aigus dardés forte, planant lors des pianissimi et un grave sensuel avec un medium très beau et solide est un véritable régal pour le public. Cette générosité vocale assez inhabituelle dans ce rôle, souvent distribué à des voix plus légères, donne beaucoup de profondeur au personnage de la courtisane devenant sainte. Sa diction française est très compréhensible. La beauté de la femme, son port altier associé à la splendeur de la voix rendent sa Thaïs irrésistible.
Son contradicteur, le moine cénobite Athanël, est le baryton d’origine hellénique Tassis Christoyannis. Le personnage est monolithique. L’acteur est livré à lui-même et le personnage arrive à exister malgré cet handicap. Toutefois le personnage est trop figé dans son côté austère et ne peut développer la séduction sulfureuse de timbre et de rhétorique que l’on peut attendre. Le sens du phrasé est parfait, le texte compris est distillé avec art. La bataille théologique entre le moine et la courtisane est terrible avec deux voix et deux tempéraments si forts. Pourtant avec une voix moins large que celle de sa Thaïs, il sera en difficulté face au torrent vocal de la soprano. Alors que son personnage est fort dans l’affrontement, il est moins crédible dans le basculement final. La scène de l’oasis restera dans les mémoires comme un moment d’anthologie.
Jean-François Borras ne fait qu’une bouchée du rôle de Nicias tant vocalement, quel timbre splendide, que scéniquement, avec une très belle présence. En Palèmon Frédéric Caton chante à merveille sa partie et campe un personnage noble et fort. Les deux belles Crobyle et Myrtale respectivement Thaïs Raï-Westphal et Floriane Hassler sont absolument merveilleuses. Timbres pleins et assortis, belle présence scénique et vocale, elles ont les costumes les plus seyants de la production. Leurs moments de duos sont très beaux et dans le quatuor avec Nicias et Athanaël elles tiennent leurs parties à la perfection. Tant la voix agile et fraîche de Thaïs Raï-Westphal que la voix veloutée et chaude de Floriane Hassler nous enchantent.
La Charmeuse de Marie-Eve Munger est parfaite, belle voix et présence engagée. L’Albine de Sveltana Lifar en peu de notes arrive à proposer une présence attachante. Hazar Mürsitpinar, Hun Kim et Alfredo Poesina issus du chœur, sont parfaits dans leurs courtes interventions.
Diffusée sur Radio Classique le 25 octobre, il sera possible de déguster le meilleur de cette production de Thaïs capitoline : la beauté de la partition de Massenet dans une interprétation vibrante dirigée par Hervé Niquet et surtout dans une distribution idéale avec une prise de rôle majeure de la soprano Rachel Willis Sorenzen.
Hubert Stoecklin
Photos Romain Alcaraz