Ils font partie des fondations, ce que l’on appelle encore des valeurs sûres, incontournables, le chef Myung-Whun Chung comme le violoniste Maxim Vengerov. L’orchestre est le Tokyo Philharmonic Orchestra, orchestre japonais centenaire.

Myung Whun Chung © Takafumi Ueno / Tokyo Philharmonic Orchestra
Au programme, le Concerto pour violon et orchestre en ré majeur op. 35 de Piotr Ilyich Tchaïkovsky suivi du Roméo et Juliette de Serge Prokofiev dans une suite établie par le chef lui-même à partir des numéros traditionnels constituant cette musique pour ballet.
Nous ne ferons pas l’affront de vous présenter le chef, figure tutélaire de la direction d’orchestre. Pas un seul des présents sous la verrière ignore cet artiste. Quant à Maxim Vengerov, il aurait pu s’attribuer ces quelques mots de l’un de ses illustres prédécesseurs russes : « Aussi loin que remonte mes souvenirs, je ne me vois jamais sans un violon entre les mains. » Le fabuleux prince de l’archet confirme qu’il est, sans contredit, toujours l’un des violonistes les plus doués de sa génération. On ne tarit pas d’éloges sur son sens des nuances, loin de la pure virtuosité, doué d’une fabuleuse technique, toujours mise au service de la musique. La moindre de ses interprétations est, comme pour les maîtres du passé et les nouveaux maître du présent d’une qualité digne uniquement des plus grands. Et l’on a pu lire le concernant : « Le jeu de Vengerov semble venir tout droit du cœur. Ça lui vient naturellement, c’est tout. »

Maxim Vengerov © Davide Cerati
Le concert ouvre avec l’un des concertos pour violon parmi les plus populaires et les plus joués au monde, le seul écrit par son compositeur, tout comme un Beethoven, Brahms, Sibelius, Grieg, le Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, op. 35, daté de 1878. Et la date a son importance car la période écoulée ne fut pas faste pour le musicien, entre un état dépressif chronique, le refus de se reconnaître homosexuel, son mariage irréfléchi qui le conduit à fuir sa femme et donc, à parcourir une partie de l’Europe. Il s’occupe alors d’orchestrer la Symphonie n° 4 et son opéra Eugène Onéguine, deux immenses chefs-d’œuvre.
Quelques mots sur la gestation fort délicate de ce concerto : Au repos sur les bords du lac Léman avec son frère Modeste, ils travaillent sur une sonate pour piano, qui ne l’enchante guère. Mais, arrive à Clarens un de ses jeunes élèves au cours de théorie qu’il donne au Conservatoire de Moscou, le dénommé Josef (Iosif) Kotek, un des rares présents d’ailleurs à son mariage raté. Ce dernier est un véritable rayon de soleil ! D’abord, il vient d’être engagé à jouer pour une riche veuve, Nadezhda von Meck. C’est d’ailleurs largement par ce biais qu’il en découlera l’extraordinaire correspondance entre la future mécène et protectrice et le compositeur épistolier. Deuxième point positif, les deux musiciens passent des heures à jouer un arrangement pour violon et piano de ? la Symphonie espagnole d’Édouard Lalo, mais oui, récemment publiée et que Tchaïkovki apprécie fort et l’inspire. Adieu la sonate pour piano. Onze jours suffiront pour écrire la partition pour violon et quatorze de plus pour les pages orchestrales. Le concerto est bouclé en un mois. Ainsi débute la carrière du concerto avec Kotek qui sera de plus, à l’origine de la canzonetta qui vient en remplacement du mouvement lent du compositeur. Bizarrement, le concerto ne lui est pas dédié mais c’est au jeune virtuose et violoniste hongrois Léopold Auer qui, après examen de la partition, refuse “carrément“ de le jouer car il trouve trop de difficultés. Quant à Kotek, vexé sûrement, il ne le jouera jamais en public. Auer, lui, le jouera, mais à 45 ans, et après moult révisions de sa part. Ce sera même son concerto favori !
Par contre, la création eut lieu à Vienne, le 8 décembre 1881, par le jeune Adolf Brodsky. Accueil glacial, à ce qu’il paraît. Ça ira mieux quand il le jouera à Moscou en septembre 1882. Accueil alors enthousiaste qui lui vaudra la dédicace du compositeur.
Allegro moderato 19’
Canzonetta. Andante 6’
Finale. Allegro vivacissimo 10’
Difficultés, certes, que l’on peut soupçonner quand on entend le Finale, ce mouvement exaltant qui fait ressortir toutes les possibilités du violon en termes d’éclat, d’agilité et de lyrisme romantique. Et c’est une spectaculaire conclusion dans laquelle l’orchestre et le violon se donnent la réplique dans un joyeux abandon, puis fusionnent dans un accord final retentissant.

Roméo et Juliette – Ford Madox Brown / Musée du Delaware
Serge Prokofiev, Romeo et Juliette, suite
En 1934, à propos de la musique de son ballet, Prokofiev publie dans un journal national Izvestia, un article intitulé Chemin de la musique soviétique : « On pourrait qualifier la musique dont on a besoin ici de « facile et savante », ou de « savante mais facile » … Avant tout, elle doit être mélodique…La simplicité ne doit pas être une simplicité passée de mode, mais une simplicité nouvelle. » Dorigné, Serge Prokofiev, Fayard, 1994, p. 419
Concernant la composition de l’orchestre, il s’agit d’un groupe spécifique “de Prokofiev“ : timbales et grandes batteries fournies, 2 harpes, 2 mandolines ? piano et cloches (les fameuses cloches, souvenir de celles de la cathédrale Sainte-Sophie de Novgorod, berceau de son enfance). Les bois sont par trois, saxophone ténor, les trombones et les trompettes par trois aussi, cornet à pistons, quatre à six cors, le tuba, les pupitres de cordes (60)
Prokofiev tira une série de douze Pièces pour piano, et, tira aussi de la musique du ballet, trois Suites pour orchestre. Mais, rien ne vaut la partition en entier. Le ballet intégral est de 145 minutes environ, en trois actes et comporte 52 numéros !! C’est dans ces numéros que Prokofiev a déterminé ses deux Suites les plus prisées mais, la plupart des chefs d’orchestre maintenant, décident de leur programme et même ne respectent plus une certaine chronologie dans l’histoire. Toutefois, aucun, à ce jour, n’a osé encore faire commencer l’œuvre par, la mort des deux jeunes amants !!

Sergueï Prokofiev
Chung choisira sa propre suite en ce sens qu’il respectera sûrement l’ordre chronologique des différents numéros sauf pour ceux se rapportant à la mort de Tybalt que l’on place en principe, en fin de suite, de par leur grande puissance dramatique.
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